Édition du 3 décembre 2024

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Canada

Les comités d'examen de la loi C-51 ; Méfions-nous de l'écran de fumée.

Le gouvernement Harper a imité ceux de Jean Chrétien et Paul Martin et a fait adopter encore un peu plus de lois toxiques et répressives contre ce qu’il nommait la terreur. C’est son héritage le plus destructeur. Il a doté de nouveaux pouvoirs tout l’appareil de surveillance du Canada, le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), le Centre de la sécurité des communications (CSC), l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) et la Gendarmerie royale. L’an dernier, Justin Trudeau a honteusement voté pour la loi C-51 (Loi contre le terrorisme 2015) en soutenant que ce vote lui était nécessaire pour renforcer sa candidature (au poste de Premier ministre).

Matthew Behrens,i rabble.ca, 17 février 2016,
Traduction, Alexandra Cyr.

Au cours de la campagne électorale fédérale, les Libéraux ont promis de la revoir, d’y apporter des amendements qui, selon eux, la rendrait plus acceptable. Récemment, le Ministre de la sécurité publique, M. Ralph Goodale a mis en place un processus de consultation avec une commission parlementaire et vise, dit-il, un débat plus large sur les enjeux de sécurité nationale. Ça ressemble aux plans libéraux typiques : beaucoup d’écoute avant qu’ils n’appliquent que ce qu’ils ont déjà prévu. Mais cela nous donne quand même un certain espace pour soulever des questions importantes quant aux rôles traditionnels et actuels que ces organes de sécurité jouent aussi bien que d’autres en violant les droits des personnes qu’ils ciblent comme ceux des habitants des communautés vulnérables.

La création du SCRS en 1984 à partir de ce qui restait du Service de sécurité de la Gendarmerie royale suite au scandale qui l’avait entachée, n’a rien changé dans la dynamique répressive au pays. La plupart des agents de ce secteur de la Gendarmerie ont tout simplement déménagé leurs pénates au SCRS. Il faut donc se saisir du moment qui nous est donné pour discuter du démantèlement du SCRS qui n’est pas contrôlé légalement et constitue un appareil dangereux. Comme il a souvent été écrit dans nos colonnes, le SCRS a, depuis 30 ans, perpétré toute une série d’activités illégales et non éthiques. Il a été complice dans des tortures, il a défié des jugements de cour, ses membres ont mentit à des juges en étant sous serment, il a illégalement enregistré des conversations entre des avocats-es et leurs clients-es, il a terrorisé des communautés entières, il a agit comme recruteur pour le groupe armé État islamique, ciblé des syndicats, des militants-es pour la paix, des Amérindiens-nes et des environnementalistes. Il existe aussi une longue liste d’actions qui ont mis la vie de Canadiens-nes en danger. Malgré tout cela, chaque année, le SCRS reçoit l’autorisation de continuer sa tâche telle quelle. Parfois il est gratifié d’une petite tape sur les doigts de la part du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS), son chien de garde.

Ceux et celles qui se battent pour que nous soyons protégés-es des véritables dangers qui menacent notre sécurité collective auraient la vie plus faciles si des agences comme le SCRS et la GRC ne les avaient pas constamment à l’œil. Les luttes contre les changements climatiques, le développement toujours plus important de l’industrie de l’armement au Canada, contre les guerres, contre les écarts de revenus de plus en plus grands, le racisme et le colonialisme enraciné dans notre pays et l’épidémie de la violence contre les femmes (sont devenues suspicieux-ses aux yeux des agences de sécurité). Cindy Blackstock a été étiquetée « menace à la sécurité » parce qu’elle a exposé les désastreuses conditions de vie des enfants amérindiens. Les membres de la communauté arabe musulmane seraient plus sereins s’ils n’avaient pas à s’inquiéter de savoir si leurs enfants n’ont pas été mis sous pression pour devenir des espions dans leur environnement pour prouver leur loyauté au Canada. Et sans un SCRS aussi actif, il y aurait sans aucun doute beaucoup moins de procès pour des menaces terroristes. Plusieurs de ces causes sont soit introduites ou facilitées par les agents de l’État. La cause Nuttallii actuellement devant la cour en Colombie Britannique en est une forte illustration.

Méfiez-nous de l’écran de fumée

Au lieu de se questionner sur les mandats et les pratiques de fond de ces appareils secrets non imputables, les efforts portent sur les moyens de sauver le système. On tente de créer un bel écran de fumée et de développer des moyens parallèles pour arriver à un gouvernement encore plus secret. Alors qu’il n’y a aucun signe que le retrait de la loi C-51 serait dommageable pour la sécurité des Canadiens-nes, pas plus d’ailleurs que la suppression de toutes les lois dites « anti terroristes » adoptées dans la foulée du 9 septembre (2001), certains universitaires et membres de la communauté sécuritaire démontrent une préférence pour les puissants en tentant d’élaborer des mesures qui permettraient de la conserver telle qu’elle sans perdre la face.

Une des manières consiste à rétrécir l’enjeu en une simple question technique et de détails législatifs comme le font les professeurs Kent Roach et Craig Forcese. Alors qu’au fil des ans, ils font état de beaucoup de recherches sérieuses sur les mesures sécuritaires pour les États, ils écrivent quand même dans leur livre, False Security, publié en 2015 : « Nous nous sommes rarement opposés à de telles lois même si souvent elles devraient être raffinées et améliorées et de toute urgence. Nous n’avons pas non plus critiqué les lois C-51 et la précédente C-44 quand aux objectifs annoncés et surtout pas les moyens et les omissions qu’elles comportent. Notre objectif a toujours été d’améliorer les lois sur la sécurité adoptées en 2015, pas de les enterrer. Nous nous sommes ainsi mis à distance de groupes de droite avec qui nous travaillons et que nous admirons ».

C’est là que repose le danger pour toute discussion à propos de C-51 et plus largement, de l’appareil sécuritaire d’État et ses retombées. Notre but ne devrait pas être de renforcer, rendre plus efficace, un réseau fondamentalement oppressif et invasif et des agences qui violent les droits humains qui en plus, s’introduisent brutalement dans nos vies privées.

Alors que les sondages rapportent que la plupart des Canadiens-nes s’opposent à la loi C-51, Ms Roach et Forcese semblent avoir pris sur leurs épaules de la sauver avec leur publication et les suggestions législatives qui l’accompagne et circulent à Ottawa en ce moment. « Bridging the National Security Accountability Gap » milite pour que la révision se situe à un niveau supérieur à la sécurité nationale grâce à un « super SCRS ». Le mandat de révision serait ainsi élargi à plus d’agences gouvernementales, à un comité des Communes secret et à un « surveillant indépendant » qui travaillerait, selon les termes proposés, à temps partiel quand « les agents se comportent correctement ». En théorie c’est une bonne idée. Elle serait particulièrement utile pour l’ASFC dont les processus ne sont pas du tout révisés en ce moment. Mais cette organisation de révision en silo et qui ne concerne que les agissements déjà passés ne permet pas plus de questionner les agissements actuels de l’appareil de sécurité national qui créent tant de problèmes à tant d’individus, de familles et de communautés.

Pire, élargir les révisions ne fait rien pour rendre ces agences imputables. Il n’y a aucune ouverture pour que les responsables de ces agences puissent être poursuivis-es pour les mauvaises pratiques qui ruinent des vies. Il n’y a pas non plus de proposition qui permettrait à des autorités indépendantes d’intervenir pour mettre fin à des opérations illégales qui mettent à risque l’intégrité d’individus. Par exemple le travail de « renseignement » bâclé, des évaluations exagérées de la menace, des profilages erronés et tous les autres problèmes systémiques qui sont la marque du SCRS depuis sa constitution.

Des examens qui ne peuvent évaluer les cibles actuelles,

Ces révisions ne font rien pour le pauvre diable enfermé dans une prison syrienne ou égyptienne, soumis à des tortures liées à des informations fournies par un des services de renseignement canadien comme c’est arrivé dans au moins 6 cas depuis le 9 septembre (2001). Les examens scrutent le passé. Ils ne font rien pour le manque de balises et encore moins ils n’arrêtent pas les pratiques abusives spécialement quand les données recueillies ne déclenchent pas de poursuites contre des fonctionnaires qui agissent en secret et mettent pourtant en péril la vie de personnes bien concrètes.

Il faut bien commencer quelque part pour arriver à contrôler et désarmer ces agences. Mais ces études universitaires semblent se préoccuper plus des réactions du SCRS que de celles des victimes de la politique de la sécurité d’État. Leur manière de procéder avec ces organisations qui se caractérisent par une longue histoire d’incompétence, de malhonnêteté et de manque de soucis pour la vie humaine, est misérablement du plus bas niveau : « faire confiance mais vérifier ». Est-ce que la conduite du SCRS, de la GRC et de l’ASFC ont eut dans le passé permet qu’on leur laisse autant de liberté ? Dans une société démocratique et transparente où l’abolition de ces services n’est pas à l’ordre du jour, la base de travail face à des agences secrètes qui n’ont de comptes à rendre à personne ne devrait-elle pas être du plus haut niveau ? Il faut les approcher avec méfiance, assumer que des illégalités sont commises, les comportements ancrés depuis des décennies le permettent, chercher la moindre possibilité de rendre les fonctionnaires imputables, et s’assurer qu’ils ne feront pas d’autres dommages dans l’avenir. Le parti pris des professeurs Roach et Forcese est clair ; en disant que les « révisions contribuent à la légitimité d’un service, ils tombent dans les mêmes ornières que le Comité de surveillance des activités de renseignement et de sécurité (CSARS) qui se voit comme le lien entre le SCRS et le public et tente d’expliquer les agissements de l’agence par tous les moyens. Par exemple, en 1995 le CSARS écrivait : « Notre but est de fournir une importante base d’informations à propos de ce que fait le SCRS, expliquer pourquoi c’est nécessaire et comment il s’y prend pour accomplir ses mandats ». Le CSARS comprend son mandat comme s’il était l’agence de promotion du SCRS plutôt qu’être son chien de garde qui cherche les comportements fautifs.

Présumons que les révisions soient la bonne réponse aux problèmes que nous soulevons. Ms Forcese et Roach ont raison de dire qu’elles devraient être indépendantes du gouvernement et des services qui sont révisés. Mais il reste un autre enjeu : les personnes qui seront mandatées pour procéder aux révisions devront avoir subit et réussit une enquête de sécurité qui aura été menée par ce gouvernement précisément. Est-ce qu’une personne qui a une connaissance précise des modes de travail des services secrets et donc les capacités de poser les bonnes questions, serait acceptée pour faire parti de ces comités de révision ? Pensons à ceux et celles ayant subit des tortures en Syrie ou en Égypte et qui reviennent au pays. Vous n’êtes pas convaincu de la réponse ? Sachez que le gouvernement libéral continue de s’opposer aux plaintes déposées par trois Canadiens qui ont été torturés à l’étranger avec la complicité des services canadiens. Il s’agit de Ms Abdullah Almalki, Ahmad El Maati et Muayyed Nureddin qui ont subit du harcèlement important au Canada et la torture à l’étranger sous des gouvernements libéraux antérieurs.

Mais les préoccupations pour les victimes du SCRS et de la GRC ne sont pas ce qui guide la proposition de loi. Au contraire, les espions n’auraient rien à craindre. C’est pour cela que Ms Forcese et Roach proposent que le comité parlementaire de surveillance des agences de sécurité d’État soit restreint. Cela le rendrait plus susceptible de gagner « la confiance des services de renseignement qui devraient leur fournir des informations privilégiées ». Mais c’est le le SCRS et la GRC doivent gagner notre confiance ; pas l’inverse.

Faire taire les lanceurs d’alerte

En plus, l es professeurs Forcese et Roach introduisent dans leur proposition de loi l’obligation du secret chez les membres de ce comité parlementaire restreint. Dans n’importe quelle autre circonstance ils pourraient devenir des lanceurs d’alerte quand ils sont témoins d’actes ou propos inadéquats derrière les portes closes. Pourtant ces professeurs signalent que la plupart du temps le secret ne vise pas tant la sécurité que l’embarras qui pourrait toucher le gouvernement et les espions des services secrets. Mais les restrictions imposées aux parlementaires finissent par avoir du sens si on accepte que les révisions visent d’abord à légitimer ces organisations et leur image. La proposition de Ms Forcese et Roach vient donc compliquer la vie des parlementaires des membres du comité de la Chambre ; s’ils sont convaincus-es que certaines informations devraient être rendue publiques il leur faudra envisager de briser leur serment qui les obligent à garder le secret en toutes circonstances. Conséquemment, ils devraient faire face à des poursuites qui pourraient leur valoir jusqu’à 14 ans d’emprisonnement.

Ces universitaires soutiennent aussi que le gouvernement ne devrait pas avoir le droit exclusif de déterminer ce qui peut être rendu public. D’accord ! Mais c’est pourtant ce qu’ils mettent de l’avant dans leurs travaux. Dans leur section concernant l’obligation du secret dans les rapports annuels du comité ils donnent au procureur général le pouvoir de refuser la diffusion de certaines informations. Imaginez le scénario : les parlementaires apprennent au cours de leurs travaux que le SCRS est complice de la torture de citoyens-nes canadiens-nes quelque part dans le fond d’une prison égyptienne. Ils veulent rendre ce fait public. Le SCRS s’y oppose et la demande est dirigée vers le procureur général qui la présente à la cour fédérale pour plaider que selon la Loi sur la preuve au Canada, l’information ne devrait pas être rendue publique et qu’en plus, toute l’audience devrait être menée en secret. De telles procédures peuvent prendre des années.

La transparence, l’imputabilité et la supervision démocratique qui sont les buts de ces révisions se retrouvent dans le corset du secret qui s’étend de plus en plus chez les fonctionnaires des appareils de sécurité de l’État. Encore une fois, le pauvre diable qui pourrit au fond de sa prison en Égypte n’en tirera rien et les parlementaires qui en parleraient publiquement risquent la prison. Voilà la proposition de nos chers universitaires.

Dans ce cadre, la demande d’étendre les révisions grâce à un« Super CSARS » pose des problèmes qui ont été identifiés même par ceux et celles qui favorisent le pouvoir. Même pour Wesley Wark, qu’on ne peut qualifier de critique radical du SCRS, un bon rapport avec un service secret « peut travestir les obligations critiques d’indépendance d’un corps de surveillance. Il y a danger de sur évaluer la relation entre le réviseur et le révisé aux dépends de la fonction d’un groupe public de révision ».

Cela a surement été le cas du CSARS qui avait commencé son travail en étant très critique du SCRS. Mais au fil du temps, il s’est transformé en un dispensateur de médailles d’or et de rapports flatteurs. Il est arrivé que le CSARS fasse de bons coups. Son personnel a rédigé d’excellents rapports identifiant de sérieux problèmes dans le service. Mais il fonctionne avec une dynamique qui pointe les problèmes individuels et n’est pas capable de condamner les abus structurels et de s’intéresser concrètement au plan plus large de l’organisation. Dans son rapport annuel de 1991, on peut lire : « Nos critiques ne portent plus sur des divergences solides et fondamentales avec la vision que le SCRS a du monde. Elles visent bien plus des différences d’opinion quand à la manière dont le service actualise ses politiques. Dans le passé, nous nous opposions aux politiques elles-mêmes ».

Les recommandations du CSARS n’ont pas d’effet contraignant pour le SCRS. Mais supposons que les révisions soient une approche convenable pour s’occuper de l’imbroglio de la sécurité nationale. Est-ce qu’elles peuvent prévenir les abus ? La seule réponse est un NON haut et fort ! Arrêtez-vous simplement sur le manque de réactions au rapport du CSARS qui identifiait le fait que le SCRS avait erronément eut accès sans mandat aux dossiers personnels de contribuables à Revenus Canada. Personne n’a été arrêté ni accusé et encore moins n’a dû démissionner. Pour ce que nous en savons, cette pratique se poursuit parce le CSARS n’a aucun pouvoir d’y mettre fin et même pas les ressources pour en poursuivre la surveillance.

Les limites des révisions, une étude de cas,

Examinons maintenant le long dossier du SCRS quant à sa pratique de collecte d’informations par la torture. Nous le faisons sur la base d’événements réels, ceux qui ont mené à l’extradition d’Abdullah Almalki, de Maher Arar, d’Ahmad El Maati et de Muayyed Nureddin. Tous ces faits ont été mis au jour par deux enquêtes judiciaires. Le gouvernement y a déchiré sa chemise en clamant qu’après le 11 septembre (2001) les exigences étaient différentes et qu’il était impossible d’éviter de tels agissements.
C’étaient des arguments absolument faux comme ce cas d’école nous le montre. Les inquiétudes à propos de l’attitude du SCRS face à la torture remontent à des décennies. Au début de son existence, il était clair que l’agence voulait échanger des informations avec les personnes impliquées dans la torture de l’administration G.W. Bush et ses alliés. Ces actes seront plus tard condamnés parce que contraire aux conventions de Genève. En 1989, le CSARS à soulevé des questions face à la décision du SCRS de se séparer du Service de liaison avec l’étranger. Son rapport soulignait que ce service pouvait servir d’intermédiaire et lancer des alertes sur les manières incorrectes avec lesquelles les informations étaient disséminées à l’étranger. Pendant les décennies qui ont suivi les avertissements et les préoccupations ont été passés sous silence. En 1991, le CSARS dit clairement : « Nous continuons à avoir des inquiétudes à propos des relations (du SCRS) avec des États qui ont des comportements indésirables face aux droits humains ». Le SCRS avec son style classique donne sa frustrante plate réponse au CSARS : « Nous reconnaissons qu’il est souhaitable que nous maintenions un minimum d’ententes pour nous assurer que nous recevons les informations à propos des menaces probables contre la sécurité du Canada ». Outre que le mot « menace » est si vague qu’il peut vouloir dire n’importe quoi, il existe un nombre effarent d’exemples dans tous les rapports de l’agence à l’effet qu’elle exagère les faits, utilise de mauvaises formulations et invente des menaces. Mais rien sur le problème que constitue le fait de recevoir des informations très probablement obtenues sous quelque forme de torture que ce soit. En quoi est-il souhaitable de maintenir des relations avec les « bouchers » de M. Assad ou avec les « brutes » de M. Moubarak ?

Est-ce que les inquiétudes exprimées par le CSARS dans son rapport de 1991 à changé les comportements du SCRS ? Non. Dans la révision de 1992-93 il est noté que l’agence : « apparemment n’agit pas avec toute la prudence et le sérieux nécessaire eut égard aux directives ministérielles (…) pour s’assurer que des précautions particulières sont respectées dans les transferts d’informations aux pays qui ne partagent pas le respect que le Canada porte aux valeurs humaines spécialement quand les informations concernent des citoyens-nes canadiens-nes ou des résidents-es permanents-es. À ce chapitre, l’agence a transmis à un service étranger, les détails du plan de voyage à l’étranger d’une personne qui, présumément, allait rencontrer les membres d’un groupe associé à des activités terroristes. La présomption reposait sur les supputations d’un informateur et ont été transmises même si le SCRS était au courant de rapports quant à des abus des forces de sécurité dans les pays en question. L’agence ne connaissait pas l’identité réelle de la personne, ni son statut civique et ne détenait aucune information préalable à l’effet qu’elle ait pu être impliquée dans des activités terroristes si ce n’est la conviction des agents qu’elle avait recueilli des fonds en faveur d’un groupe extrémiste engagé dans un conflit. Nous pensons que les conséquences pour cette personne et pour sa famille auraient pu être très sérieuses s’ils avaient été identifiés en arrivant à l’étranger. Une probable tragédie a été évitée plus par chance que par jugement adéquat. Heureusement, dans ce cas, les personnes n’ont pas été identifiées et ont pu revenir au Canada en toute sécurité ».

Personne ne devrait être rassuré de savoir que le CSARS se contente de cela et qu’une tragédie n’a été évitée que grâce à la chance.

Est-ce que les pratiques ont changé après que le CSARS ait tourné le dos ? Non. Dans son rapport de révision de 1993-94 des termes clés vont servir aux deux enquêtes juridiques sur la complicité canadienne dans la torture, menées par les juges O’Connor et Iacobucci une dizaine d’années plus tard. Encore une fois, le CSARS répète ses inquiétudes à propos : « Des possibles conséquences pour les individus, que le Service porte à l’attention des autorités dans la région où nous avons tenu des auditions. Des informations défavorables au sujet de quelqu’un-e qu’on pense être un-e extrémiste peuvent avoir des conséquences dévastatrices pour cette personne et sa famille. La validité des informations transmises par le SCRS doit faire l’objet de la plus haute considération tout autant que l’importance de l’enquête elle-même…Nous voulons noter que le Service a cru bon de donner des informations à des agences à propos de personnes qu’il ne considérait pas engagées dans des activités terroristes ».

Comme d’habitude, les réponses du SCRS envoyaient balader les réviseurs du CSARS en les assurant de leurs bonnes intentions et continuaient les mêmes pratiques dangereuses. En 1994-95, le SCRS a conclut de nouvelles ententes avec des pays d’Amérique latine et d’Afrique peu regardant en matière de droits humains. (Le CSARS notait) « Le Comité a de sérieuses réserves à propos des nouveaux arrangements avec ces agences. Nous nous basons sur des informations accessibles publiquement. Le SCRS à déclaré s’appuyer sur les informations fournies par le Ministère canadien des affaires étrangères quant aux enjeux des droits humains dans ces pays. Nous croyons que le Service devrait aussi s’intéresser à des informations venant d’autres sources étant donné les possibilités que les informations qu’il transmet à l’étranger mènent à des abus ».

Le SCRS ne tient pas compte des violations des droits humains

Dans ce même rapport, le CSAR soulève ses inquiétudes sur la manière par laquelle le SCRS tient compte des abus envers les droits humains dans certains pays : « Deux résultats de vérification n’apparaissent pas. Ce sont des informations dont il aurait fallu tenir compte. Des organismes de surveillance des droits humains rapportent une augmentation de divulgations d’emprisonnements arbitraires et de torture qui souvent impliquent des éléments des appareils de renseignements et de sécurité de pays étrangers…Nous notons également que l’expertise du SCRS ne tient pas non plus compte d’allégations de corruption dans les services de sécurité étrangers et passe par-dessus des incidents politiquement significatifs qui se sont déroulés dans ces pays en 1994. En omettant ces sources d’information, le Service ne présente pas une vision juste des agences avec lesquelles il échange des renseignements. Cela nous inquiète. Il se défend en disant que les enquêtes sur les violations des droits humains ne font pas parti de son mandat. Nous avons déjà traité de cette position dans le passé : le Service devrait s’autoriser à prendre en compte dans ses mises à jour d’informations redues publiques par des ONG fiables et par les autres agences du gouvernement. Il serait ainsi capable d’avoir une vision plus différenciée des agences avec lesquelles il échange des renseignements ».

Depuis longtemps, le CSARS soulève ses réserves quant au refus du SCRS de tenir un registre de ses échanges aves les agences étrangères de sécurité. Cela complique le travail de vérification (et permet au SCRS de garder dans la zone d’ombre ses pratiques peu recommandables). Pour expliquer sa position, il invoque, « l’absence de traces écrites qui permettraient de savoir ce qui est échangé avec les agences étrangères ».

Il arrive aussi au CSARS de vérifier les circonstances des demandes de renseignements par les agences étrangères : « à cause de la présence réelle ou présumée de citoyens-nes canadiens-nes dans une région en conflit. La section du contre terrorisme a déclaré qu’elle était alerte quand aux enjeux de diffusion d’informations à des agences étrangères. Elle nous assurait que le centre des opérations et l’officier de liaison de la sécurité étaient conscients des conséquences possibles que pouvaient entrainer leurs réponses à ces demandes. Mais nous ne sommes pas à l’aise face à certains cas, non pas parce que ces Canadiens-nes représentent une menace à la sécurité du pays, mais à cause du statut peu reluisant de ces pays en matière de droits humains ».

Donc, encore une fois le CSARS soulève la possibilité que le CSRS échange des informations sensibles à propos de Canadiens-nes qui voyagent à l’étranger. Cela pourrait avoir des conséquences catastrophiques. Est-ce que le SCRS a changé ses pratiques ? Non. En 1995-96, nous avons constaté qu’il avait fourni des informations à une agence de sécurité étrangère « à propos d’un membre de la famille d’une personne qui intéressait le service. Plus tard, il est apparu que les informations ainsi transmises violaient le code de restrictions sur les types de données à fournir aux service étrangers ».

Est-ce que le SCRS a changé de conduite ? Non. En 1996-97, le CSARS a souligné que l’agence a : « fourni des renseignements défavorables au sujet d’une personne à deux ministères fédéraux et à l’agence de sécurité d’un pays étranger allié ». On y décrivait la personne comme « un-e collaborateur-trice » d’un service de renseignements étranger ». Une déclaration de cette sorte peut faire bien des dommages. Nous n’avons vu aucune preuve documentaire pour la soutenir. En plus, la personne qui devait enquêter à son sujet, n’avait pas été autorisée correctement. On ne tenait pas compte de son statut à l’immigration comme le stipule les règlements. Plus tard, le SCRS a corrigé son erreur. Encore une fois, le problème inhérent au CSARS est posé clairement : il ne peut pas découvrir ce type de problèmes, il ne peut pas expliquer comment exactement le SCRS a corrigé son erreur, quel dommage à déjà été fait et comment il n’aura pas à ramener de telles préoccupations dans ses rapports dans le futur.

Le SCRS refuse de changer ses pratiques

Cette même année, en révisant un message du SCRS à l’étranger, le CSARS : « a découvert que malgré des situations déplorables en matière de droits humains, d’une instabilité politique généralisée dans les pays de la région visée par le message, avec en plus un très haut taux de corruption dans certaines de ces agences avec lesquelles il collabore, elles continuaient de recevoir ses avis favorables de la part du SCRS ».

Est-ce que cela a changé quelque chose aux pratiques du SCRS ? Non. La méfiance et l’aveuglement volontaire a persisté tout au long de 1997-98. Le CSARS mettait : « l’accent sur le caractère constable de certains échanges d’informations avec des services de renseignements étrangers » alors qu’il faisait l’examen d’une demande particulièrement importante « de la part d’une agence judiciaire canadienne pour que le SCRS demandent à des services étrangers alliés de faire enquête sur plus de 100 personnes soupçonnées d’implication dans le crime international ». Le CSARS est arrivé à la conclusion que certaines de ces demandes manquaient de sérieux, étaient peu valides. Par exemple, la demande soutenait qu’une des personnes visées avait été prise en « flagrant délit de vol à l’étalage ».

Aux cours des années qui ont précédé le 9 septembre (2001) le SCRS a continué son travail comme d’habitude. Le CSARS laissait toujours entendre dans ses rapports annuels que l’agence : « devrait prendre toutes les précautions pour s’assurer que les informations qu’il transmet ne soient pas utilisées pour faciliter des violations des droits humains ». Que de telles recommandations reviennent année après année signifie que le SCRS a continué de fonctionner avec ses propres compréhensions, sous ses propres règles. Ces problèmes semblent systématiques puisque, chaque année, le CSARS les retrouve lors des plus petits examens qu’il exerce. (Ce sont des vérifications limitées puisque le CSAR ne dispose que d’un minimum de personnel et de budget qui l’empêche d’en faire de plus importantes).

Dans les années qui ont suivi le 9 septembre (2001) des Canadiens-nes étaient torturés-es en Syrie et en Égypte, des détenus subissaient des procès secrets ici au pays sur la base d’informations obtenues grâce à ces tortures. Les rapports du CSARS notent que les échanges entre le SCRS et les agences de services secrets étrangers sont devenus incontrôlables. Typiquement, ces rapports insistent sur le fait que les espions-nes : « devront faire preuve de vigilance pour s’assurer que les informations que leur transfèrent ces agences (étrangères) ne soient pas le produit de violations des droits humains et que celles fournies de leur part ne soient pas utilisées pour de tels abus ».

Des enquêtes judiciaires et des jugements de cour ont suivi. Ils ont mis au jour la complicité du SCRS et de la GRC dans la torture. Malgré cela, ces agences, sous les directives ministérielles de l’ère Harper, ont continué leurs opérations avec la permission de transiger avec les tortionnaires. Même lorsque de telles permissions n’étaient pas émises, le SCRS n’en est prévalu comme les rapports d’examen du CSARS l’ont démontré.

Les énoncés dans les rapports du CSARS sont ceux d’un bon professeur un peu sévère qui exerce son tutorat en donnant des avis disciplinaires importants mais qui n’a aucune autorité pour imposer ses décisions ou pour engager des poursuites judiciaires. En 2001, le SCRS a mentit au juge d’une cour ontarienne. Il demandait un mandat l’autorisant à poursuivre son action contre le citoyen canadien Ahmad El Maati sur la base d’informations qu’il savait avoir été obtenu sous la torture. Pendant ce temps, le CSARS saluait l’agence vieille de 17 ans en lui rappelant qu’elle : « devait viser la plus grande rigueur quand elle demandait des mandats en s’assurant que les affidavits rapportaient les faits exactement et que c’était soutenu par une documentation adéquate ».

Que faire ?

Il est clair que les agences de sécurité canadiennes agissent hors des lois. Elles s’engagent dans des opérations douteuses et des comportements d’intimidation qui terrorisent les communautés au pays et mettent des vies à risque à l’étranger. S’attaquer à cet enjeu exige une approche bien plus critique que celle proposée par les deux académiciens (dont il a été question plus avant). Ils ont été transformés en héros par les médias dans la lutte contre la loi C-51 même s’ils ne militent pas pour son rappel.

Il vaudrait mieux questionner les mandats de ces agences et s’enquérir de leur compréhension du monde. Les professeurs Roach et Forcese savent qu’elles commettent des abus au nom de la sécurité. Ils devraient avoir honte de proposer un simple pansement pour cacher le mal alors qu’il faut mettre à nu les opérations de sécurité au Canada. Au lieu de cela, ils proposent des lois qui ne vont qu’augmenter l’étanchéité des secrets d’État et acceptent la définition que donne C-51 des activités qui : « minent la sécurité du Canada ». Il faut nous souvenir que cette définition est si large qu’elle peut inclure n’importe qui, qui lit ces lignes. Elle inclut ce qui : « affecterait négativement la stabilité de l’économie canadienne, le système financier, ou n’importe lequel marché financier canadien sans justification raisonnable économiquement ou financièrement ». Cette section vise les autochtones qui résistent à l’exploitation de leurs terres par l’expansion des oléoducs (…).

Elle met aussi l’accent sur n’importe qui : « qui endommage une propriété en dehors du Canada parce qu’une personne ou une organisation qui a un intérêt dans la propriété ou son occupation a des relations avec le Canada ou une province (canadienne) ou fait des affaires avec ou au nom du gouvernement du Canada ou une province (canadienne) ». Il y a des chances pour que cela vise ceux et celles qui se battent contre les minières canadiennes qui détruisent les terres des autochtones à l’étranger.

Cette définition s’appliquent aussi aux militants-es pour la paix et tout un chacun qui : « porte atteinte ou menace les forces armées canadiennes dans leurs capacités opératoires ou toute autre partie de ces forces, ou interfère avec le design, le développement, la production de quelque arme que ce soit ou quelque équipement de défense que ce soit, ou à l’intention de le faire, ceci inclut tout matériel informatique, conceptuel informatique ou système qui fait parti ou est associé à de telles armes ou équipement de défense ». On ne peut douter que cela vise toute personne ou groupe qui tenterait d’arrêter la production et la vente des véhicules blindés légers au régime d’Arabie saoudite le régime qui pratique la décapitation.

Si nous finissons par avoir une véritable consultation sur la sécurité d’État, peut-être pourrons-nous commencer par retirer toutes ces définitions ridicules des menaces et nommer celles qui en sont de véritables pour notre futur. D’abord et avant tout il faut retirer la loi C-51 et presque tout ce qui l’a précédé. Ensuite il faut refuser de croire les fausses idées par rapport à notre sécurité nationale ; elles sont diffusées par les agences de sécurité et par les partis politiques à la Chambre des communes. Tout ce beau monde utilise négligemment le terme « radicalisation » sans se préoccuper des dommages qu’il fait dans les communautés visées. Faire moins que cela ne va que perpétuer la violation des droits humains que des députés-es tenus-es au secret et les membres d’un super CSARS tel que proposé par Ms Roach et Forcese, vont colliger derrière les portes closes alors que tous les autres, y compris les victimes seront gardés dans le noir.

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