Édition du 30 avril 2024

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Histoire

Les rapports moraux de Marcel Pepin (1965 à 1976) : Pour vaincre (1972)

C’est au fond de sa cellule du centre de détention d’Orsainville que Marcel Pepin signe, le 20 mai 1972, son rapport moral intitulé Pour vaincre. La conjoncture politique, économique et sociale est loin d’être au beau fixe. Avant de nous intéresser au contenu de ce document, commençons le tout par un bref rappel du contexte de l’époque.

Un contexte politique, économique et social très mouvementé

Sans remonter au déluge, rappelons que Maurice Duplessis a été premier ministre du Québec de 1936 à 1939 et de 1944 à 1959. Son règne a souvent été qualifié (et cela n’est ni exagéré ni faux) d’autoritaire face au mouvement syndical. À son décès en septembre 1959, Paul Sauvé d’abord et Antonio Barrette ensuite lui succéderont à la tête de l’Union nationale et du gouvernement du Québec. Le chef du Parti libéral de l’époque, Jean Lesage, parviendra à se hisser au pouvoir en 1960. Ce sera sous sa gouverne que le Québec entre, dès le début de la décennie des années soixante, dans une nouvelle dynamique de changement qui a été qualifiée de Révolution tranquille en raison des nombreuses réformes économiques, administratives et surtout de la mise en place de services pris en charge par l’État en santé et en éducation. De 1966 à 1970, l’Union nationale revient au pouvoir à Québec sous la direction d’abord de Daniel Johnson et ensuite de Jean-Jacques Bertrand. Contrairement à toutes attentes, la gouverne de l’Union nationale s’inscrit en continuité avec la modernisation introduite par le gouvernement libéral dirigé par Jean Lesage. Lors de l’élection du 29 avril 1970, le nouveau chef du parti libéral du Québec, Robert Bourassa, obtient une majorité parlementaire. Le Parti québécois (PQ), un nouveau parti politique qui a vu le jour deux années plus tôt, obtient 24% du suffrage populaire et fait élire 7 députés. Le PQ se dit en faveur de la souveraineté-association et se prétend social-démocrate (sans avoir aucun lien organique avec le mouvement syndical organisé). Quelques mois plus tard, ce sera la Crise d’octobre 1970. Deux cellules felquistes kidnapperont, dans un premier temps, un diplomate britannique et, dans un deuxième temps, un ministre du gouvernement du Québec. Les membres de ces cellules lanceront un ultimatum au gouvernement fédéral. Ils exigeront, entre autres choses, la libération d’une vingtaine de « prisonniers politiques ». Le gouvernement fédéral, qui a à sa tête celui qui veut mettre au pas les indépendantistes du Québec, Pierre Elliot Trudeau, riposte en proclamant, en pleine nuit du 16 octobre 1970, la Loi des mesures de guerre. L’armée canadienne envahira certaines rues du Québec. Près de 500 citoyennes et citoyens (dont plusieurs personnes issues du mouvement syndical) seront détenuEs arbitrairement.

Les investissements étrangers, lire les investissements américains, ont la partie facile au Québec et les gouvernements fédéral et provincial les accueillent sans exiger quoi que ce soit en retour. Les dirigeants politiques du pays et de la province se comportent devant ces investisseurs étrangers en véritables vassaux ou serviteurs asservis.

Les deux mois qui ont précédé l’ouverture du Congrès de la CSN de mai 1972 ont été marqués par les événements de mars et d’avril 1972 mettant aux prises le gouvernement du Québec et le Front commun intersyndical CSN-FTQ-CEQ. Rappelons quelques faits : les 210 000 salariéEs syndiquéEs des secteurs public et parapublic déclenchent des arrêts de travail. Le gouvernement Bourassa s’adresse aux tribunaux en vue d’obtenir des injonctions interdisant ces interruptions de service. Ce moyen ne fonctionne tout simplement pas. Les leaders syndicaux invitent leurs membres à défier les ordres des juges. Ce sera via l’adoption du projet de loi 19 (une loi spéciale de retour au travail) que le gouvernement Bourassa réussira à mettre un terme aux arrêts de travail dans les secteurs public et parapublic. L’adoption d’une loi spéciale mettant un terme à l’exercice du droit de grève est maintenant un moyen de plus en plus utilisé par le gouvernement du Québec lors de certains conflits syndicaux. C’est dans la foulée de ces événements que les présidents des centrales syndicales CSN (Marcel Pepin), FTQ (Louis Laberge) et CEQ (Yvon Charbonneau) seront condamnés à une année d’emprisonnement.

Ce rappel de certains éléments spécifiques à la conjoncture de l’époque amène Marcel Pepin à conclure que le mouvement ouvrier organisé fait face à une répression systématique et considérable en provenance du « régime ». Cette répression devenait, précise-t-il, « inévitable » pour que les dirigeants politiques soient en mesure de protéger leurs « intérêts mesquins au détriment de la justice sociale ». Face à l’oppression judiciaire qui s’abat sur les syndiqués, le mouvement syndical risquait de s’effriter ou de voir certains de ses membres opter pour la voie de la soumission. Pour Pepin, cette voie est à écarter, à ce sujet il mentionne ceci : « J’ai choisi de vous dire n’écoutez pas la voix de la peur ni de la résignation, mais écoutez plutôt la voix du courage et de la liberté ». « J’ai choisi de vous dire continuons notre combat pour construire une société plus juste, plus démocratique, plus humaine. Le régime actuel donne des signes d’éclatement. La peur est installée dans le camp adverse. »

Pour le président de la CSN, dans sa pratique et dans ses luttes surtout, le mouvement syndical se heurte à un pouvoir et pas n’importe quel : « le Super Pouvoir », celui des « hommes politiques, juges appuyés par les hommes de la finance qui n’acceptent pas de modifier le fond des choses. » Devant cet état de fait, l’approche du mouvement syndical semble être, selon Marcel Pepin, la bonne, car, ce qui importe c’est : «  de prendre conscience de toute la réalité et de prendre les moyens « nos propres moyens », pour faire comprendre aux autres, fussent-ils américains ou canadiens anglais, que nous n’existons pas qu’au seul titre de consommateurs, d’idéologues et de technologies américaines. »

Dans Pour vaincre, Marcel Pepin dénonce l’influence omniprésente des intérêts américains dans la société québécoise. Il ajoute qu’ils sont «  au centre de tout », « qu’ils contrôlent nos richesses naturelles presque en totalité » et que ces faits nous entraînent « à épouser leurs idées, leur conception de la vie ». Du même coup, il condamne l’impuissance des autorités fédérales qui ont « laissé aller les choses et endormi volontairement le peuple canadien », sans jamais « intervenir sérieusement pour contrer des transactions qui auraient pu être néfastes pour le peuple et pour notre liberté ».

La place des Américains au Québec et impacts sur la classe ouvrière

Pour Pepin, les Américains occupent une place prépondérante au Québec. Ils contrôlent la majorité de nos richesses naturelles (sauf l’électricité), ils accordent d’énormes prêts à la « Belle Province », ils achètent des biens produits au Québec à des prix qui leur conviennent. En retour, le Québec se procure des États-Unis plusieurs produits finis ainsi que plusieurs produits de consommation qui nous entraînent « à épouser leurs idées, leur conception de vie ». Le Canada et le Québec se présentent dès lors comme de « simples » satellites de Washington. L’économie du Québec est posée comme une économie dépendante qui subit les contrecoups des politiques d’austérité des États-Unis. Les pouvoirs politiques fédéral et provincial « protègent […] presque exclusivement les droits et les intérêts d’une classe, celle des investisseurs sans se gêner pour leur concéder plus de nos richesses naturelles et leur accorder des privilèges exorbitants  ». La présence d’investissements étrangers est nuisible, car elle oblige l’État à s’assurer que la main-d’œuvre soit docile. Ce qui contraint l’État à développer largement certaines armes répressives (lois, tribunaux, armée, police) prêtes et disponibles à intervenir rapidement pour protéger les intérêts étrangers.

Une vision Top down…

Le fonctionnement de la société est illustré à travers un schéma top / down, c’est-à-dire allant du haut vers le bas. On y retrouve au sommet des politiciens, des magistrats, des policiers qui ont pour mandat de tenir le «  mauvais peuple en respect  ». Les personnes au sommet de la société n’acceptent pas « que les participants à la démocratie aient un rôle véritable à remplir  ». Pour illustrer ce fonctionnement de « haut en bas », Pepin décrit le processus de la manière suivante : c’est le « cabinet des ministres [qui] propose l’adoption de lois-cadres, donc très générales, lui permettant de faire les règlements à sa guise. Ainsi, c’est lui qui prend peu à près toutes les décisions sans qu’il y ait même un débat public. […] Il importe donc, dans une telle situation que toute une machine de répression soit édifiée pour assurer cette souveraineté et cette infaillibilité. L’action des citoyens sera ainsi déterminée par des autorisations discrétionnaires, des injonctions, des décrets, des permissions. Dans le cas d’abus grossiers, la police « politique » n’intervient pas contre ceux qui abusent, mais contre ceux qui osent protester  ».

Pepin dénonce par la suite le processus de nomination des juges et souhaite leur démission (les politiciens nomment les juges, ces derniers dans la majorité des cas sont d’anciens politiciens). Il propose l’établissement d’un nouveau processus de nomination qui reposerait sur des critères plus démocratiques, visant à redonner la confiance du peuple dans le fonctionnement de cette institution.

Le régime Bourassa dans ce nouveau contexte

Pepin est d’avis que le régime Bourassa considère que le Québec «  doit s’intégrer, se fusionner, dans ce grand tout politique qu’est le Canada » où la Bourgeoisie canadienne accepte « l’état de dépendance  » devant les États-Unis, car de cette situation elle en tire profit ». Pour Pepin, le régime Bourassa s’est montré décevant face aux aspirations « démocratiques » de la classe ouvrière. Il a préféré donner suite aux aspirations de la bourgeoisie américaine ainsi que canadienne-anglaise en assurant la docilité « de la main-d’œuvre québécoise devant la présence de capitaux étrangers dans le Québec  ».

Marcel Pepin juge sévèrement le « régime Bourassa ». Mentionnant « l’oppression considérable » du régime et « les assauts particulièrement féroces » dont il s’est rendu coupable contre les travailleurs dans son désir de protéger les intérêts de la classe dominante, le président de la CSN invite les travailleurs à s’unir pour abattre le gouvernement Bourassa aux prochaines élections. Il explique très longuement (p. 77 à 97) qu’une action politique de cette nature est dans la ligne de la tradition militante de la CTCC-CSN.

Le moyen préconisé pour abattre le régime Bourassa

Pour atteindre cet objectif d’abattre le régime Bourassa, le président de la CSN propose de constituer dans chaque circonscription électorale des comités populaires chargés de combattre le candidat libéral et d’établir des structures permanentes d’action politique. Ces comités seront formés de syndiqués (à l’exclusion de la CSD qui est en cours de formation et donc non mentionnée dans Pour vaincre) et de non-syndiqués et resteront indépendants des centrales syndicales. Ce type d’action politique est qualifié par Pepin d’action électorale non partisane. Il n’est pas question ici d’envisager la formation d’un parti politique ou d’accorder un appui formel à un parti politique déjà établi (le Parti québécois est une formation politique récente qui a vu le jour en 1968, soit quatre ans plus tôt). Il s’agit d’un type d’action politique au sens large dont l’objectif est l’union des travailleurs organisés du Québec quant aux questions d’ordre politique et qui vise également le remplacement des « agents des nantis » par des députés qui condamneraient le capitalisme. Il s’agit donc d’un rapport moral qui invite à un dépassement de l’action syndicale du cadre d’action rigide imposé par le Code du travail (lire : la création de syndicats accrédités et la négociation d’une convention collective)[1].

Pepin propose aux syndiqués de poursuivre leur examen du régime, notamment par l’étude du document Ne comptons que sur nos propres moyens » qui doit servir les délégués à définir la nouvelle orientation idéologique de la CSN et de poser des gestes « surtout » sans plus se contenter de résolution de vœux pieux.

« Avec tout ce que le régime actuel a fait, avec tout ce qu’il n’a pas fait, son manque de courage (sauf pour tenter d’abattre les travailleurs), son absence de détermination devant les problèmes culturels, son incurie dans le domaine social, sa veulerie devant les intérêts étrangers au prix d’un chômage éhonté, sa faiblesse congénitale devant Ottawa, pour l’utilisation de ses matraques judiciaires et législatives, il me semble que nous n’avons pas le choix et que nous devons prendre les moyens pour abattre le régime Bourassa. »

C’est là, croît M. Pepin, un objectif réel « qui pourrait nous permettre un début véritable pour transformer radicalement les choses au Québec », tout en conservant à la CSN, par la voie de comités populaires indépendants, sa liberté de manœuvre et son indépendance des partis politiques.


Sur la nature du document Pour vaincre

Nous sommes ici à coup sûr en présence d’un réquisitoire contre le régime en place à l’époque : «  Gouvernement, police, juges, tout est utilisé pour brimer, pour conditionner, pour enrôler dans le régime les travailleurs ». Pepin constate l’aliénation très poussée de nos pouvoirs de décision au profit d’intérêts étrangers. Il déplore la complaisance d’Ottawa et de Québec devant le phénomène des investissements étrangers qui multiplient leurs ramifications au Canada et au Québec. Le régime Bourassa est qualifié de « faux ». Il est taxé non seulement d’impuissance, mais aussi de complicité active avec le processus qui tend à confirmer la vocation du Québec « comme colonie économique des États-Unis et comme colonie politique d’Ottawa ». « Il faut abattre le régime Bourassa » : « il faut combattre avec acharnement tout candidat du parti libéral » : « le temps est venu de détruire le régime ».

Les termes qui sont utilisés pour décrire l’objectif face au régime en place sont forts. Pour ce qui est des moyens, ils sont plutôt assez bien circonscrits. Le président de la CSN rejette d’abord la lutte armée, il reconnaît « que les travailleurs ne sont pas prêts à faire la lutte armée » et que ce serait une grave erreur de dire que c’est la seule issue possible au Québec. Il rejette ensuite un appui formel de la CSN à une formation politique : «  Je voudrais, déclare-t-il, que l’on résiste à l’une et l’autre de ces hypothèses, non seulement parce que ce serait une rupture avec le passé, mais aussi parce que le mouvement peut garder sa liberté de manœuvre, son indépendance, ses possibilités d’action beaucoup plus de la façon que je le propose  ». Ces voies étant exclues, il reste l’action électorale au niveau des comtés et des candidats. C’est celle qu’il préconise sous la forme de comités d’action populaire qui agiraient au niveau de chaque comté. Ces comités seraient soutenus par des militants des diverses centrales et seraient indépendants financièrement et politiquement des centrales.


Conclusion sur les constats et les pistes d’action

Dans ses grandes lignes, le rapport moral Pour vaincre dresse les constats suivants :

1- Le régime Bourassa est un régime oppressif qui sert les intérêts de classe de la « Bourgeoisie américaine » ainsi que ceux de la « bourgeoisie canadienne-anglaise » ;

2- Ce régime a orienté le fonctionnement de certaines institutions en fonction des intérêts de ces deux « Bourgeoisies » ;

3- Le régime Bourassa demeure inerte devant la présence de capitaux étrangers il en facilite même l’entrée sur le marché québécois sans se soucier des conséquences que cela risque d’entraîner ;

Quel moyen les ouvriers ont-ils pour renverser la dépendance et la soumission devant le « capital financier ? Avant de répondre à cette question, Pepin précise ceci : « comme les travailleurs ne sont sûrement pas prêts à faire la révolution armée et d’ailleurs ce serait tragique et une grave erreur de dire que c’est la seule issue possible pour le Québec », il ne reste plus qu’à « abattre » le « Régime Bourassa », c’est-à-dire remplacer les députés libéraux par d’autres députés. Mais pas par n’importe quels. L’action à favoriser pour abattre le régime repose sur une action « légale. Et « démocratique » qui ne serait reliée structurellement «  avec aucun parti politique ».

Sur cette base, Pepin propose les pistes d’actions suivantes :

1- La création de comités populaires dans chaque district électoral du Québec ;

2- Ces comités regrouperaient les membres des trois centrales syndicales ainsi que tout autre travailleur désirant s’y joindre à part entière ;

3- Ces comités veilleraient à présenter un candidat ou à appuyer un candidat lors des élections provinciales, mais il est entendu que les comités combattraient avec acharnement tout candidat du parti libéral ;

4- Le candidat qui serait appuyé devra endosser formellement « des positions économiques et sociales des trois centrales syndicales, mais plus particulièrement des positions reposant sur la condamnation formelle du capitalisme et du libéralisme économique » ;

5- Le candidat appuyé par les comités populaires devra s’engager à présenter les positions, ainsi que se faire le porte-parole des comités à l’Assemblée nationale ;

6- Advenant la possibilité de l’appui d’un comité à un candidat d’un parti politique existant, avant de se faire, le comité devra s’assurer que les objectifs du candidat et de son parti se rapprochent et correspondent à ceux du comité populaire.

On comprendra pourquoi il y a une section dans ce rapport moral qui porte le titre suivant : « Honni soit le parti libéral – et tous ses semblables ! »


Le marxisme et la question des femmes…

La tentation peut être grande ici de voir dans le rapport moral Pour vaincre une adhésion de la CSN à la grille marxiste. Avant de tirer trop hâtivement cette conclusion, il importe de lire certains des amendements adoptés par le congrès dont celui qui est reproduit à la page 137 du document : « Il est entendu cependant que les comités combattraient avec acharnement tout parti politique qui par toutes sortes de moyens cherchent à étouffer les mouvements syndicaux et les travailleurs en général. »

« Que les comités condamnent formellement les inégalités, l’injustice et la misère sociale engendrées par la forme actuelle du capitalisme, du libéralisme économique et du marxisme. »

Voici maintenant un autre amendement intéressant, adopté par le congrès, qui parviendra à s’imposer sur la longue durée :

«  … les femmes sortent de leur mutisme pour combattre à part entière en vue de la promotion des intérêts des travailleurs. »

La féminisation des textes à la CSN sera adoptée officiellement lors de la décennie suivante…

Yvan Perrier

18 avril 2022

9h

yvan_perrier@hotmail.com

[1] Pepin est pleinement conscient que le type d’action qu’il met de l’avant sort des sentiers traditionnels dans lesquels les autorités en place veulent limiter l’action syndicale, à ce sujet, il note ceci : «  On voudrait en certains milieux empêcher les travailleurs organisés de critiquer le système, de poursuivre leurs recherches sur les problèmes économiques (la CSN a publié le manifeste Ne comptons que sur nos propres moyens) et de dire ce qu’ils pensent pour laisser ce privilège aux nantis, aux éditorialistes et aux politiciens (à l’époque il n’y a qu’une seule femme députée à l’Assemblée nationale) : or, on a le droit de dénoncer l’oppression du régime et d’en exiger l’arrêt. L’union des travailleurs sera le fondement de la nouvelle société qui remplacera un jour « celle qui a été improvisée par les élites québécoises autour d’un pouvoir étranger qu’ils veulent protéger à tout prix.  »

Aux éteignoirs qui ne croient plus dans « la force et la liberté de la vie », M. Pepin rappelle que tous ont d’abord cru à la possibilité de changer des choses à l’intérieur du système ; nous n’avons rien changé fondamentalement […] parce que «  le pouvoir, le super pouvoir, les hommes politiques dirigés et appuyés par les hommes de la finance n’acceptent pas de modifier le fond des choses. » Toute la réflexion de M. Pepin à ce sujet est ensuite encadrée par un long exposé des vices incurables du régime et de la longue tradition d’engagement politique de la CSN qui, en cinquante ans d’existence, a toujours vu dans l’État un moyen de « dompter la libre entreprise » et le levier des objectifs économiques, culturels et sociaux des travailleurs. »

Relativement aux vices du régime, M. Pepin s’en prend tour à tour à l’arrogance des investisseurs américains et à l’incurie des gouvernements canadien et québécois qui ont accepté de devenir de « simples satellites de Washington ». «  Les Américains sont au centre de tout » : ils dominent nos richesses naturelles, achètent notre production et nous vendent la leur, sont insatiables de subventions et de dégrèvements d’impôts, exigent pour conserver un climat social sympathique que le gouvernement « mate les indigènes par tous les moyens » contrôle la croissance de l’État (canadien) et l’État lui-même auquel ils ne laissent que la liberté d’un gérant de succursale. Ni Ottawa ni Québec ne défendent notre patrimoine […] : ils protègent exclusivement les droits et les intérêts d’une classe, celle des investisseurs. Ottawa n’a aucune stratégie de développement industriel […] et quand il eut des velléités de contrôler les investissements étrangers, il se ravisa en retardant la publication du rapport Gray, due à une « fuite », et n’en retint même pas les solutions mitigées.

Quant au « faux régime Bourassa », « il se fait l’apôtre de l’intégration de gré ou de force du Québec dans la société industrielle nord-américaine » et fonctionne avec l’argent des Américains d’un côté, la menace de l’armée canadienne de l’autre devant les fermetures d’usines et le sous-emploi, il se contente de « planifier notre misère » avec la sécurité sociale et de réprimer le mécontentement ouvrier par la police, les tribunaux et la « matraque législative » instrument du pouvoir.

Yvan Perrier

Yvan Perrier est professeur de science politique depuis 1979. Il détient une maîtrise en science politique de l’Université Laval (Québec), un diplôme d’études approfondies (DEA) en sociologie politique de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) et un doctorat (Ph. D.) en science politique de l’Université du Québec à Montréal. Il est professeur au département des Sciences sociales du Cégep du Vieux Montréal (depuis 1990). Il a été chargé de cours en Relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais (de 2008 à 2016). Il a également été chercheur-associé au Centre de recherche en droit public à l’Université de Montréal.
Il est l’auteur de textes portant sur les sujets suivants : la question des jeunes ; la méthodologie du travail intellectuel et les méthodes de recherche en sciences sociales ; les Codes d’éthique dans les établissements de santé et de services sociaux ; la laïcité et la constitution canadienne ; les rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec ; l’État ; l’effectivité du droit et l’État de droit ; la constitutionnalisation de la liberté d’association ; l’historiographie ; la société moderne et finalement les arts (les arts visuels, le cinéma et la littérature).
Vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : yvan_perrier@hotmail.com

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