Édition du 3 décembre 2024

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Migrer comme stratégie de survie et acte d’amour une-amerique-centrale

« Deux constats criants. D’une part, l’absence de démocratisation des sociétés centro-américaines – et l’insécurité physique, sociale, environnementale ou politique qui en résulte – comme ressort premier de la nécessité de fuir la région. D’autre part, les conditions de la migration elle-même – entre politiques migratoires inhumaines et criminalité endémique – comme atteinte systémique à l’intégrité des personnes et au droit à la mobilité ».

Tiré de Entre les lignes et les mots

Dans son éditorial, editorial-de-bernard-duterme-fuir-lamerique-centrale, publié avec l’aimable autorisation des éditions Syllepse, Bernard Duterme souligne que « L’espoir ou l’obligation de fuir son pays natal y sont devenus aussi familiers que la violence – physique, sociale, économique, politique, climatique… – qui mine la région ».

L’éditorialiste aborde, entre autres, l’histoire des migrations, « qui renvoie à celle, structurellement injuste, de la formation de ces sociétés périphériques, de ces terres d’exploitation qui ont elles-mêmes longtemps, très longtemps été explorées, colonisées, négociées, dépossédées, touristifiées…, bien avant que ses propres habitants et habitantes n’entrevoient la possibilité de s’en échapper », les interventions des Etats-Unis pour faire et défaire les gouvernements, le marché de la banane et du café, l’United Fruit Company (UFC), les guérillas révolutionnaires, les militaires et les paramilitaires « se rendant coupables de la mort de plus de 90% des centaines de milliers de victimes humaines, surtout civiles (et mayas au Guatemala ; massacres qualifiés d’« acte de génocide » par l’ONU), ainsi que du déplacement interne et externe de millions de Centro-Américain·es », la non-application des accords de paix, le double « processus de libéralisation politique et économique », la démocratisation « formelle, superficielle, électorale », l’extractivisme, « On n’a jamais autant creusé dans les sous-sols latinos et exporté vers les pays riches que ces vingt dernières années » et la reprimarisation de l’économie, les pouvoirs néopatrimonialistes et les collusions mafieuses, la faible industrialisation et les « zones franches » (maquiladoras), l’évolution des niveaux de vie et d’accès à l’éducation, la concentration des patrimoines, la culture dominante « d’un machisme et d’un sexisme dévastateurs », les lois anti-avortement, la logique de « prédation capitaliste »…

L’auteur aborde les violences criminelles et répressives, « La violence politico-idéologique des pouvoirs militaires et des révolutionnaires d’hier a fait place à une criminalité débridée oppressante », l’insécurité alimentaire, la précarité sociale, la vulnérabilité climatique, les frustrations sociales et le manque de perspective, les maras (« ces microsociétés totalitaires aux marques d’appartenance et aux rites d’obéissance aliénants ») et le conditionnements « à leur allégeance des pans entiers de la vie sociale et économique des quartiers », la corruption et les collusions, la faiblesse structurelle d’institutions publiques, le climat de terreur politique au Nicaragua et les effets de la crise sociale.

«  Le profil des partant·es évolue, diffère selon les situations, mais laisse aussi apparaître des traits communs qui renvoient non seulement aux causes des migrations – l’insécurité physique, sociale, environnementale ou politique, objective ou ressentie, qui provoque la décision de fuir –, mais aussi aux dispositions et perspectives des individus ou des familles qui se lancent dans l’aventure ». Mais fuir l’insécurité n’est pas sans péril, « La migration proprement dite demeure pourtant une démarche extrêmement périlleuse ». Bernard Duterme aborde, entre autres, les violences et les viols, la nouvelle visibilité avec les « caravanes », les fermetures des frontières, l’externalisation de la frontière étasunienne, les politiques de Donald Trump et de Joe Biden. L’auteur termine sur les droits des migrant·es et la démocratisation des sociétés centro-américaines, « Deux constats criants se dégagent des pages qui précèdent. D’une part, l’absence de démocratisation des sociétés centro-américaines – et l’insécurité physique, sociale, environnementale ou politique qui en résulte – comme ressort premier de la nécessité de fuir la région. D’autre part, les conditions de la migration elle-même – entre politiques migratoires inhumaines et criminalité endémique – comme atteinte systémique à l’intégrité des personnes et au droit à la mobilité ».

Sommaire
Causes structurelles et conjoncturelles
Lizbeth del Rosario Gramajo Bauer : Causes, crises et enjeux migratoires dans le corridor centro-américain
Delphine Marie Prunier, Sergio Salazar Araya : Fractures, frontières et mobilités centro-américaines face au covid
Gabriela Díaz Prieto : Femmes d’Amérique centrale en quête d’asile en Amérique du Nord
Politiques nord-américaines
Aviva Chomsky : Ce que Washington devrait (ne plus) faire en Amérique centrale
Jazmín Benítez López, Solangel Nazaret Rejón Apodaca : Politique migratoire mexicaine et « Triangle Nord » centro-américain
Juan José Hurtado Paz y Paz : Droit à la migration et politique anti-migratoire des Etats-Unis
Nicaragua, Salvador, Honduras, Guatemala…
José Luis Rocha : Explosion post-2018 de l’émigration nicaraguayenne
Mario Zúñiga Núñez : Migration et gangs : du Salvador aux Etats-Unis, et retour
Sergio Salazar Araya : Enjeux du « retour » au Honduras des migrant·es expulsé·es
Ruth Piedrasanta Herrera : Ressorts et ressacs des migrations guatémaltèques
Carolina Rivera Farfán : Travail précaire des guatémaltèques dans le Chiapas mexicain

Quelques élements choisis subjectivement.

Dans son article, Lizbeth del Rosario Gramajo Bauer discute de la réalité migratoire dans le corridor Amérique centrale / Amérique du Nord, des causes et des motivations des candidat·es au départ, des « crises migratoires » de la dernière décennie et notamment de la situation des mineur·es, des caravanes de migrant·es, de l’impact de la pandémie, des effets des « guerres civiles », de recherche de travail, des effets sociaux des ouragans ou des tremblements de terre, des causes multiples des migrations, de situation irrégulière et de vulnérabilité « à différents abus sur les lieux de travail et dans les espaces publics », des politiques de regroupement familial, de déracinement, de fermeture de frontière et d’externalisation de celles-ci, d’expulsions, d’hostilité envers les personnes migrantes. En conclusion, l’autrice souligne la nécessité de s’attaquer aux causes structurelles des migrations. Elle ajoute : «  Mais la recherche d’alternatives doit aussi passer par une réflexion critique sur les politiques migratoires du principal pays de destination. Les alternatives à l’exode des Centro-Américain·es sont à chercher des deux côtés de la frontière »…

« Entre les mesures d’endiguement des migrant·es et le renforcement d’un mode de développement basé sur la main-d’oeuvre bon marché, la pandémie accentue les lignes de fracture et les asymétries ». Delphine Marie Prunier et Sergio Salazar Araya abordent le Mexique comme zone de transit au sein du couloir migratoire, les effets de la fermeture des frontières, les logiques d’ouverture et d’exclusion, « de libéralisme économique et d’autoritarisme politique  », les cultures d’exportation et leurs effets sociaux, les marchés du travail et les mobilités régionales, les mobilités féminines et leurs caractéristiques, les conflits armés, les impacts de la pandémie, « Contrôle militaro-policier, stigmatisation et discrimination », les mesures de rétention, l’entassement de populations dans les zones frontalières, les enfermements dans des centres de détention insalubres, les expulsions des Etats-Unis, l’aggravation de la vulnérabilité, la faim transformée en famine, l’accentuation des lignes de fracture et d’asymétrie socio-territoriales…

Gabriela Díaz Prieto parle plus particulièrement des femmes en quête d’asile en Amérique du Nord, des causes de départs, « L’exploitation, la discrimination et l’exclusion des femmes défavorisées, appartenant à une ethnie indigène ou afrodescendantes, sont également normalisées et acceptées, tout comme la violence patriarcale structurelle », des femmes comme « objets de vengeance et de mépris  », de la violence des gangs, des conditions d’accueil aux USA, de la situation au Mexique, du viol du principe de non-refoulement, de genre et de statut de réfugiée, de la nécessité d’inclure la perspective de genre pour aborder l’assistance aux femmes demandeuses d’asile ou réfugiées…

Dans une seconde partie sont abordées les politiques nord-américaines, la volonté de réduire le flux de migrant·es centro-américain·es, l’obsession d’en finir avec l’immigration, les effets sociaux des dettes « insoutenables et impayables », la liberté de circulation et les modèles de migration circulaire, les politiques migratoires mexicaines, la violation des droits humains lors des détentions arbitraires, la persécutions des populations migrantes, le manque infrastructures d’accueil…

« Malgré un changement d’administration en 2021, les Etats-Unis poursuivent leur politique raciste, xénophobe et pauvrophobe vis-à-vis des migrant·es, notamment celles et ceux originaires d’Amérique centrale ». Je souligne l’article de Juan José Hurtado Paz y Paz. Les politiques de dissuasion, l’instrumentalisation de la pandémie, la non reconnaissance des populations migrantes comme contributrices à l’économie, le manque d’alternatives et les violences dans les pays d’origine, la migration comme drame humain et comme espérance, les droits fondamentaux, « Un·e migrant·e est avant tout une personne. Rien ne justifie de ne pas reconnaître sa qualité d’être humain et de ne pas respecter tous ses droits »… Le titre de cette note est emprunté à cet article.

Le numéro se termine par des études plus particulières sur les situations au Nicaragua, Salvador, Honduras ou Guatemala…

Les auteurs et autrices mettent, entre autres, l’accent sur les persécutions politiques, les violences, le « cycle juridique de tout·e migrant·e sans papier », l’exil et les activités politiques, les gangs et leurs traditions historiques, les retours des migrant·es expulsé·es, le secteur informel, les liens entre personnes migrantes et leurs familles, les situations de non-droit, les plantations agro-exportatrices, le travail précaire, la vulnérabilité de la main d’oeuvre étrangère, la précarité sociale et la violence structurelle…

Alternatives sud : Fuir l’Amérique centrale
CentreTricontinental &Editions Syllepse
Louvain-la-Neuve (Belgique) et Paris 2022, 180 pages, 13 euros
https://www.syllepse.net/fuir-l-amerique-centrale-_r_24_i_885.html

Didier Epsztajn

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