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Asie/Proche-Orient

« Oslo », la stratégie des fake news. Faut-il changer le nom de la capitale norvégienne ?

tiré de : Entre les lignes et les mots 2019 - 22 - 1 juin : Notes de lecture, textes et pétitions

Publié le 1 juin 2019
Bien avant que les fausses nouvelles (fake news) ne fassent partie de nos vies, de concert avec son parent légal, Donald Trump, le champion en titre du genre était « Oslo ». Cette référence à Oslo (les accords d’Oslo dès 1993) est devenue synonyme de dissimulation de la réalité par le biais de fausses informations et de leur diffusion par des voies officielles respectées. Si j’étais Norvégienne, je lancerais une pétition pour changer le nom de ma capitale.

Et pourquoi ne proposerais-je pas simplement une pétition demandant que le nom de la capitale norvégienne soit retiré du nom officieux mais commun des accords qu’Israël a signés avec l’OLP à partir de 1993 ? Parce qu’étant donné l’énorme puissance mondiale d’Israël, aucune pétition de ce genre n’aurait la chance d’être entendue.

Il est très commode pour Israël que ses mesures calculées pour détruire l’espace géographique des Palestiniens et user la société palestinienne au point de susciter des pensées suicidaires et des rêves d’émigration restent à jamais enveloppées dans le manteau de la respectabilité scandinave, blonde et froide.

Mon obsession pour « Oslo » en tant que mot de code pour la tromperie et la malice israéliennes provient de mon implication presque quotidienne dans la bureaucratie créée par ces accords, dans mon rôle de correspondante pour les affaires impériales. Prenons, par exemple, l’histoire des biscuits et autres snacks produits par la société Sarayo al Wadiyeh dans la bande de Gaza.

Avant le blocus imposé par Israël à Gaza en 2007, cette « usine » vendait environ 80% de sa production en Israël et en Cisjordanie. Les guimauves et les gaufrettes enrobées de chocolat ne sont pas vraiment mon truc, mais les rayons des supermarchés de Ramallah et de Bethléem, qui sont chargés de ces produits, montrent que les propriétaires de la société n’exagèrent pas quand ils disent qu’il y a une demande pour ses marchandises en Cisjordanie.

Le blocus a été un peu levé en 2010, et depuis novembre 2014, les Gazaouis peuvent exporter des produits agricoles, du mobilier et des textiles. Mais le nombre de camions transportant des marchandises de Gaza à l’extérieur des frontières du territoire ne représente encore que 20% du niveau d’avant 2007.

Les modalités de transport des marchandises par le point de passage de Kerem Shalom avec Israël (longues attentes, inspections de sécurité, transfert de marchandises d’un camion à l’autre) endommagent également les marchandises. Pourtant, les producteurs de ces produits appartiennent à une minorité heureuse et approuvée qui n’inclut pas les fabricants d’aliments transformés.

Il en est ainsi même si, jusqu’en 2007, environ un tiers de toutes les marchandises de Gaza vendues en Cisjordanie étaient constituées d’aliments transformés tels que des biscuits, des jus, des en-cas à la guimauve recouverts de chocolat et des produits en conserve. Il s’agit d’une industrie ancienne et traditionnelle, à forte intensité de main-d’œuvre plutôt que de haute technologie, et qui n’est pas très rentable. Et après chaque attaque militaire ou fermeture hermétique, cette « industrie » essaie de se rétablir.

Les propriétaires de Sarayo al Wadiyeh ont donc tenté de reprendre la vente de ses produits en Cisjordanie. Avec l’aide du groupe de défense des droits Gisha (ONG israélienne), ils ont essayé de trouver comment faire parvenir leurs produits dans les magasins de Cisjordanie, car ils n’y étaient pas parvenus seuls.

Même avant le blocus, les accords d’Oslo ont créé un système complexe de bureaucratie israélo-palestinienne. Il faut beaucoup de patience et d’intervention de la part des groupes de défense des droits de la personne pour obtenir des permis simplement pour transporter une petite quantité de personnes et de biens.

Le coordonnateur israélien des activités gouvernementales dans les territoires a déclaré qu’en principe, il n’y a pas d’interdiction de vendre des produits non agricoles de Gaza en dehors de la bande de Gaza, et que la vente des produits de Gaza en Cisjordanie est une question palestinienne interne dans laquelle Israël ne joue aucun rôle. Félicitations, la fin des temps est arrivée ! C’est l’Autorité palestinienne qui prend les décisions, a dit le COGAT (Coordinator of Government Activities in the Territories, dépendant du ministère de la Défense), alors s’il y a des problèmes, plaignez-vous auprès d’elle.

Mais malgré ce qu’affirme le COGAT, sans connaître la réglementation israélienne, sans la signature et le permis d’un fonctionnaire israélien, et sans explications sur la façon de faire passer les marchandises par les contrôles israéliens, les responsables palestiniens ne peuvent se déplacer. Ils ne peuvent pas prendre de décisions, formuler des recommandations ou fournir des explications.

Les propriétaires de l’usine et Gisha ont tenté leur chance à la Haute Cour de justice. Mais le juge Uzi Vogelman a accepté l’affirmation de l’Etat selon laquelle le problème était palestinien et que tout irait bien si l’entreprise présentait sa demande de commercialisation de biscuits en Cisjordanie à l’Autorité palestinienne.

Donc, voici un rappel : s’il y a un endroit où les fausses nouvelles sont acceptées comme étant la vérité – avant même que le ministre de la Justice Ayelet Shaked ne commence à menacer les juges – c’est bien la plus haute cour de justice d’Israël.

Article publié sur Haaretz en date du 20 mai 2019, traduction A l’Encontre

http://alencontre.org/moyenorient/israel/israel-oslo-la-strategie-des-fake-news-faut-il-changer-le-nom-de-la-capitale-norvegienne.html

Amira Hass

Amira Hass est journaliste pour ce quotidien, elle a longtemps été correspondante à Gaza et dans les territoires occupés. Deux de ses livres ont été traduit en français, aux Editions La Fabrique, retraçant les conditions d’existence et les questions politiques des Palestiniens à Gaza et en Cisjordanie dans les années 1990 et le début des années 2000 : Boire la mer à Gaza (2001) et Correspondante à Ramallah : 1997-2003 (2004).

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