Édition du 16 avril 2024

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Arts culture et société

Pétition - Notre-Dame de la Défense et Mussolini

Nous déplorons que l’image d’un dictateur dans un lieu de culte dont la vocation est de promouvoir des valeurs de fraternité, d’unité et de paix, au sein d’une ville, Montréal, qui se distingue par son respect de la diversité et des principes démocratiques, soit présentée sans explications aux nouvelles générations.

à l’attention de :

Honorable Steven Guilbeault, Ministre de Patrimoine Canada
Madame Nathalie Roy, Ministre de la Culture et des Communications du Québec
Madame Valérie Plante, Mairesse de Montréal
Mgr Christian Lépine, Archevêque de Montréal

et pour information à :

S. Exc. Luigi Bonazzi Nonce apostolique au Canada
Madame Silvia Costantini, Consule Générale d’Italie à Montréal

Pétition - Notre-Dame de la Défense et Mussolini

Cette lettre a été rédigée par un comité de membres de la communauté italienne et signée par des citoyens d’origines diverses, de convictions politiques et de confessions religieuses différentes travaillant dans le monde de la science, de la culture, du social et de l’associationnisme.

Nous voulons présenter une proposition au sujet de la fresque située dans l’église Notre-Dame de la Défense à Montréal (un monument national sous la protection du gouvernement) dans laquelle sont représentés, entre autres, le pape Pie XI, le scientifique Guglielmo Marconi et le dictateur Benito Mussolini. Dans cette fresque, on peut également identifier les hiérarques fascistes Italo Balbo, Michele Bianchi, Emilio De Bono et Cesare Maria De Vecchi, qui ont mené les « chemises noires » dans la « marche sur Rome » en 1922.

Cette fresque a été réalisée par le peintre Guido Nincheri en 1931 en hommage aux Accords du Latran signés entre le Saint-Siège et l’Italie pour mettre fin à des décennies de divergences. On est dans une période où les idées du fascisme trouvent aussi des adeptes à Montréal à cause de l’influence des associations, des journaux et de l’Église catholique. Par exemple, dans une étude publiée par le Centre d’histoire de Montréal, la chercheuse Julie Noël affirme que le père Maltempi, une figure influente dans la communauté italienne, véhiculait «  l’idée qu’un bon Italien est un bon catholique et un bon fasciste  ».

Il nous semble nécessaire d’amorcer une réflexion sur la nécessité de distinguer, dans le respect de la mémoire de la communauté italienne, l’histoire de l’Église de Montréal de la trajectoire du fascisme en Italie, à Montréal et dans le monde.

Le seul document qui fournit une contextualisation historique de la fresque à l’intérieur de l’église - une petite brochure - ne mentionne pas le fait que la présence du fascisme à Montréal a créé de profondes divisions et maintes disputes au sein de la communauté italienne locale. En outre, le texte omet de mentionner le nom des quatre hiérarques fascistes.

La brochure semble également justifier la présence de la fresque par le fait qu’elle a été peinte avant la «  méchante alliance avec Hitler  », que nous supposons être l’alliance militaire de 1939. Une telle affirmation est extrêmement problématique, car une affinité idéologique entre le fascisme et le nazisme a toujours existé. La première vraie faute de Mussolini n’a pas été de s’allier à Hitler, mais d’avoir instauré une dictature implacable des années auparavant. En fait, il est important de rappeler qu’il n’y a pas deux Mussolini ni deux fascismes et que les crimes commis dans la phase finale du régime fasciste sont la conséquence directe d’une idéologie et d’une politique basées sur la violence et la répression.

Entre 1922 et 1925, Mussolini s’empare du pouvoir en ayant recours à des assassinats politiques, comme celui du prêtre Don Minzoni. De nombreux autres opposants au régime ont été emprisonnés ou envoyés en exil forcé. Don Sturzo, fondateur du premier parti catholique en Italie, était l’un d’entre eux.

Avant la signature du pacte d’acier de 1939, l’Italie fasciste a commis des crimes atroces en Libye et elle a envahi l’Éthiopie, causant ainsi de nombreux morts dans la population civile au moyen d’armes chimiques. Elle a aussi attaqué la République espagnole en accord avec Hitler et a promulgué les lois raciales de 1938.

Plus tard, après le début de la Seconde Guerre mondiale, l’Italie de Mussolini a participé au génocide des Juifs et des Roms et a créé des dizaines de camps de concentration en Italie et en ex-Yougoslavie. De nombreux massacres de civils ont été commis en Grèce, dans les Balkans et en Italie. Jusqu’à 750 000 soldats italiens qui refusent de s’engager avec les fascistes, ainsi que des milliers de partisans et d’homosexuels, sont déportés en Allemagne. Les massacres nazis-fascistes sur le sol italien entre 1943 et 1945 sont innombrables.

Au Canada également, les Italiens ont dû subir les conséquences de l’entrée en guerre de Mussolini. En raison de la présence sur le territoire de sympathisants du régime, plus de 600 citoyens italo-canadiens, automatiquement et souvent injustement associés à l’idéologie fasciste, ont dû subir le traumatisme de la détention dans le camp d’internement de Petawawa. Ils ont en effet été déclarés « enemy aliens » par le gouvernement canadien pendant la Seconde Guerre mondiale, ce qui constituait une suspension parfaitement arbitraire de leurs droits civils.

Nous déplorons que l’image d’un dictateur dans un lieu de culte dont la vocation est de promouvoir des valeurs de fraternité, d’unité et de paix, au sein d’une ville, Montréal, qui se distingue par son respect de la diversité et des principes démocratiques, soit présentée sans explications aux nouvelles générations. En raison d’un manque d’approche historique et critique de la période en question, on suppose souvent qu’il n’y avait pas de catholiques antifascistes et d’Italo-Canadiens à Montréal, et que l’adhésion au fascisme en dehors de l’Italie était généralement considérée comme une simple manière d’affirmer son identité.

Cette proposition s’inscrit dans la foulée d’un mouvement critique populaire qui considère qu’il est nécessaire de rebaptiser les rues et de retirer les monuments dédiés aux personnalités racistes et anti démocratiques. Comme la présence de Mussolini dans cette fresque fait partie d’une œuvre plus vaste et plus complexe, nous considérons une voie alternative, c’est-à-dire celle d’expliquer, de contextualiser et d’éduquer. Nous vivons un moment historique crucial. Nous assistons à la recrudescence des mouvements nazis-fascistes, racistes et négationnistes. Il est donc urgent de s’interroger sur le sens de notre héritage historique et de se demander honnêtement, en tant que communauté italo-canadienne et montréalaise, si ce sont là les racines dans lesquelles nous voulons nous reconnaître. Il est essentiel de fournir les outils qui pourront permettre aux citoyens d’évaluer les erreurs historiques de notre passé et le rôle que les représentations artistiques dans l’espace public peuvent jouer dans la transmission d’idéologies négatives.

La réflexion sur cette fresque est donc l’occasion pour nous tous et toutes de nous confronter aux pages noires de notre histoire.

C’est ce que nous proposons :

1. Qu’un ou plusieurs panneaux explicatifs soient placés à l’intérieur et/ou devant l’église, avec un texte rédigé par un comité d’historiens et d’experts reconnus dans le domaine et représentatifs de la diversité de notre communauté et de notre ville.

2. Que les mêmes experts soient chargés de réécrire, dans les deux langues officielles et en italien, le texte de la brochure.

3. Qu’il y ait dans l’église une plaque à la mémoire de Don Minzoni tué par les fascistes en 1923, symbole des nombreux catholiques et prêtres antifascistes.

4. Qu’il y ait à l’extérieur de l’église, ou dans le parc Dante adjacent, une plaque ou un monument aux victimes du fascisme et à la mémoire des soldats canadiens et montréalais morts sur le front italien.

Notre initiative veut commémorer et mettre en valeur l’histoire des émigrants italiens qui, entre souffrance et sacrifice, et malgré les actes de discrimination dont ils ont été victimes, ont grandement contribué au développement économique, social et artistique de Montréal. L’église Notre-Dame de la Défense a historiquement eu une fonction fondamentale en tant que pôle socioculturel et point de référence religieux pour la communauté italienne. Un rôle dû avant tout au travail extraordinaire de l’Église catholique dans la gestion des paroisses et des bénévoles locaux, toujours en première ligne pour les pauvres, les émigrants, les familles et les communautés.

Nous pensons qu’un dialogue ouvert avec la paroisse, ses visiteurs, les Italo-Canadiens et la grande communauté de Montréal sur l’histoire du fascisme et les effets que ce passé a eu sur notre ville et notre communauté jusqu’à ce jour est fondamental. L’installation de panneaux explicatifs et la révision du pamphlet permettraient de contextualiser cette fresque qui a une grande importance historique sans « normaliser » l’influence du fascisme dans les communautés d’hier et d’aujourd’hui. Les pierres tombales à la mémoire des morts aideraient à se souvenir des nombreux Italiens et Canadiens qui ont combattu le fascisme. En particulier, la commémoration de la figure de Don Minzoni nous rappelle qu’il y avait également au sein de la Résistance des brigades de partisans catholiques (les nazis-fascistes ont exécuté près de 300 prêtres).

Nous sommes convaincus que l’introduction de tels instruments historiques et contextuels rendrait justice aux valeurs de démocratie, de tolérance et d’engagement civil propres à la ville de Montréal, et elle enrichirait également la Petite Italie de nouveaux exemples d’art et de culture. Nous espérons que cette proposition recevra votre soutien et que vous pourrez vous joindre à nous.

Le comité :

Marta Boni (Professeure agrégée, Université de Montréal)

Cassandra Marsillo (Enseignante, Dawson College)

Giuliana Minghelli (Professeure agrégée, McGill University)

Marco Piana (Professeur adjoint, Smith College)

Giovanni Princigalli (Cinéaste et membre du centres de recherche CHORN)

Luca Sollai (Chargé de cours, Université de Montréal)

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