1ᵉʳ octobre 2025 | tiré de Breach media
La semaine dernière, Mark Carney a déclaré que la poste n’était « pas viable » et a annoncé des plans pour mettre fin à la livraison porte-à-porte.
Le gouvernement entend remplacer les facteurs et factrices par des boîtes postales communautaires, accélérer les livraisons grâce à une main-d’œuvre de pigistes sous-traité-es, et céder discrètement les routes les plus rentables à des messageries privées.
Et pourtant, une entreprise Postes Canada renouvelée, tirant parti de son infrastructure publique essentielle, représente l’exemple même du genre de projet de « construction nationale » que Mark Carney prétend vouloir promouvoir.
Alors que les postiers ont cessé le travail la semaine dernière pour protester contre ses plans, les gros titres médiatiques se sont concentrés sur les déficits et les retards, occultant la véritable question : **qui profite de la perturbation — et qui en paie le prix**.
Ce contexte est crucial : les milliardaires ont tout à gagner du démantèlement de Postes Canada, et leur rôle caché façonne l’ensemble du conflit.
Une demande croissante, mais des conditions dégradées
La livraison à domicile est en fait plus demandée que jamais. Mais ce service essentiel est de plus en plus assuré par des travailleuse et des travailleurs surexploités plutôt que par des employé-es de Postes Canada.
Ces travailleurs et travailleuses, employé-es par des méga-entreprises comme Amazon et d’autres firmes technologiques antisyndicales, sillonnent les rues dans des véhicules polluants, aggravant la congestion, tandis que d’innombrables sous-traitants éphémères se livrent une course effrénée pour arracher chaque seconde de productivité à leurs employé-es épuisé-es.
Des milliardaires pro-Trump comme Jeff Bezos engrangent d’énormes profits tirés de cette exploitation des travailleuses et des travailleurs — profits réalisés au détriment du temps de déplacement, des pistes cyclables et de l’environnement.
Pendant ce temps, les responsables gouvernementaux déclarent gravement que Postes Canada doit réduire la livraison à domicile et fermer des bureaux de poste ruraux.
Mais alors que les milliardaires et leurs alliés politiques poussent à la privatisation, Postes Canada dispose des outils nécessaires pour mener à bien un projet bien plus ambitieux. Au-delà de la livraison du courrier et des colis, elle pourrait devenir un **centre de services communautaires**, une **source d’autonomisation économique locale**, et un **modèle d’infrastructure publique** au service des besoins des Canadien-nes plutôt que des actionnaires.
Ne regardez pas les milliardaires derrière le rideau
Toute cette casse syndicale, cette pollution et ces embouteillages urbains sont dissimulés dans une véritable poupée russe de relations de sous-traitance à la performance.
Plutôt que d’embaucher des employé-es — et de risquer qu’ils et elles se syndiquent ou réclament des droits élémentaires —, des entreprises comme Intelcom (qui livre une part importante des colis d’Amazon au Canada) font appel à des firmes anonymes dirigées par de petits entrepreneurs opportunistes.
Ces firmes peuvent elles-mêmes sous-traiter à des individus payés à la pièce, au colis livré. Résultat : des personnes dont les revenus dépendent de leur capacité à courir sans relâche, mettant en danger non seulement leur sécurité mais aussi celle des habitant-es des quartiers qu’elles desservent.
Le modèle d’Amazon ne se contente pas de remplacer des emplois postaux par du travail précaire et sous-payé ; il redéfinit à la baisse les normes de toute l’industrie. En tirant les salaires vers le bas, en normalisant la surveillance algorithmique et en traitant les travailleurs et travailleuses comme des variables jetables, Amazon force ses concurrents à imiter ses méthodes pour survivre.
Lorsque le gouvernement présente la question comme un moyen de rendre Postes Canada « compétitive », il dit en réalité que les postiers et postières devraient subir les mêmes cadences, la même précarité et le même antisyndicalisme qui caractérisent les opérations d’Amazon.
Des médias complices de la privatisation
Les médias et commentateurs-ices jouent, quant à eux, le rôle de sténographes des soi-disant évaluations « neutres » de la viabilité commerciale de Postes Canada.
Un récent panel de Radio-Canada a conclu que le syndicat ne pouvait pas gagner le débat sur l’avenir financier de Postes Canada. Peut-être. Mais ces mêmes observateurs contribuent à **occulter les acteurs-ices** qui profitent de l’offensive anti-ouvrière du gouvernement.
Ne parlez surtout pas des vassaux de Bezos qui se cachent en plein jour ! N’évoquez pas leurs liens étroits avec le Parti libéral ! Tel semble être le credo des journalistes couvrant Postes Canada.
Inutile même d’ouvrir le registre des lobbyistes pour comprendre ce qui se passe. **Intelcom**, par exemple, est dirigée par **Jean-Sébastien Joly**, frère de la « ministre de l’Innovation » **Mélanie Joly**. L’alliance du Parti libéral avec les démolisseurs du service postal est, littéralement, une affaire de famille.
Mais le duo des Joly n’est pas une exception. Un rapide coup d’œil au registre révèle des activités de lobbying du gouvernement par **UPS**, **Amazon**, **Pitney Bowes**, ainsi que par plusieurs banques (nous y reviendrons). Notre service postal prétendument « déclinant » attire en réalité beaucoup d’attention de la part des entreprises privées.
Une propagande comptable
Pour justifier son programme accéléré de privatisation de facto, le gouvernement répète que Postes Canada « perd 10 millions de dollars par jour ». Cette affirmation est douteuse : elle repose sur une année marquée par des conflits de travail non résolus et des coûts exceptionnels.
Mais surtout, **aucun autre service public n’est évalué de cette façon**. Par exemple, combien « perd » l’armée canadienne chaque jour ? Réponse : **169 millions de dollars**.
Faut-il accepter l’idée absurde que la valeur d’une infrastructure postale universelle se limite à sa capacité de générer des profits ? Bien sûr que non. Mais même si c’était le cas, prétendre que Postes Canada pourrait devenir viable en abandonnant les segments les plus rentables de l’économie — tout en sacrifiant l’accessibilité pour les citoyens et les citoyennes— relève du pur non-sens.
Alors que les postiers et postières affrontent un gouvernement allié aux pires abuseurs du travail et de l’environnement, **c’est peut-être la mise en lumière de ces liens avec les milliardaires** qui déterminera si ce service public inestimable survivra.
Inutile de le préciser : dans la grève à forts enjeux qui a débuté vendredi, **le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP)** mérite tout notre appui.
Pour atteindre l’avenir lumineux de Postes Canada, il faut franchir le « dernier kilomètre »
Tandis que les médias d’entreprise reprennent docilement les éléments de langage du gouvernement sur une poste à « privatiser de facto », les propositions innovantes des travailleurs et travailleuses, ignorées depuis des années par les gestionnaires nommé-es par l’État, restent sous le radar.
Les postiers et postières sont pourtant parmi les mieux placés pour comprendre la nécessité d’adapter Postes Canada. En marchant entre les maisons ou pendant leurs pauses au tri du courrier et des colis, ils ont eu une foule d’idées ingénieuses.
Sous la bannière **Livrer le pouvoir aux communautés (Delivering Community Power)**, ils et elles ont rassemblé certaines des meilleures de ces propositions.
Ils et elles n’ont pas seulement couché ces idées sur le papier mais aussi mené une campagne nationale, organisant des actions vibrantes dans les bureaux de poste du pays pour imaginer la poste de demain.
Parmi leurs propositions, déjà détaillées dans *The Breach* l’an dernier :
* la création d’un **service bancaire postal**,
* la production d’énergie et des **bornes de recharge rurales**,
* des **visites de courtoisie** aux aîné-es vivant seul-es,
* et la **transformation des bureaux de poste en centres communautaires** pour la prestation de services publics.
Le **service bancaire postal** est sans doute l’exemple le plus clair de la façon dont Postes Canada pourrait générer de nouveaux revenus tout en répondant à des besoins sociaux non comblés.
Pourtant, tant les gouvernements libéraux que conservateurs ont refusé de l’autoriser, redoutant une confrontation avec les grandes banques canadiennes.
Si Mark Carney était sérieux à propos de « l’investissement dans la construction nationale », c’est précisément ce genre de propositions qu’il devrait adopter. Au lieu de cela, on nous ressert le même programme éculé de bris syndical.
Pour sauver Postes Canada
Le meilleur moyen de sauver Postes Canada serait tout simplement **d’appliquer les normes de travail, les règles environnementales et les réglementations de sécurité** aux flottes de sous-traitants liés aux libéraux.
Mais une telle approche exigerait un courage politique que les gouvernements libéraux excellent à diluer jusqu’à rendre toute réforme inoffensive.
Un autre aspect des propositions des postiers et postières touche directement le cœur de l’attaque gouvernementale, et constitue le plus grand défi au modèle d’affaires des milliardaires américains et de leurs vassaux canadiens :
**Donner à Postes Canada le monopole des livraisons du dernier kilomètre**, avec de bons salaires pour les travailleurs et travailleuses, permettrait d’imposer des normes de travail, de réduire la congestion, d’améliorer la sécurité des quartiers et de redistribuer la richesse indue des barons voleurs américains.
Cela impliquerait aussi une confrontation directe avec certaines des plus puissantes machines politiques du pays.
Mais une fois démasquées pour ce qu’elles sont réellement, **on pourrait découvrir qu’elles sont beaucoup moins puissantes qu’elles ne le paraissent.**
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