20 mai 2025 tiré de la revue International Viewpoint | Photo : Le vice-président des États-Unis J. D. Vance et son épouse Usha Vance posent avec le personnel de la base spatiale de l’armée américaine Pituffik, au Groenland, le 28 mars 2025.
https://internationalviewpoint.org/spip.php?article9006
Le long combat pour protéger l’Arctique et les peuples inuits contre la guerre et la militarisation traverse une crise profonde. La menace d’une course aux armements au sommet du monde, et d’une nouvelle ruée effrénée vers les ressources naturelles de la population locale, menace non seulement l’existence des Groenlandais·es, mais aussi celle du monde entier. La plus grande garantie de paix et la seule gestion viable de l’Arctique résident dans les organisations et instances représentatives des peuples autochtones, y compris le Parlement groenlandais, l’Inatsisartut, et le Conseil circumpolaire inuit.
Trump dit tout haut ce que l’impérialisme danois « poli » cherche à dissimuler : que dans la logique du capitalisme, les pays, les personnes et les peuples sont, au mieux, des marchandises – au pire, des butins de guerre. C’est pourquoi l’exigence de Trump de renégocier l’alliance vieille de près de 200 ans entre les bourgeoisies danoise et américaine a plongé le Danemark dans une hystérie coloniale complète. Le summum de cette hystérie est sans doute la censure du documentaire sur l’exploitation minière de cryolithe par le Danemark, retiré d’internet cette semaine sous une pression politique évidente impliquant les plus hauts niveaux de l’État. Cette censure profondément partiale, accompagnée de la suppression des sources, rend désormais difficile, voire impossible, pour de nombreux·ses citoyen·nes de s’orienter dans un débat de société crucial.
L’importance de la cryolithe
La panique bourgeoise au Danemark doit être comprise à la lumière de l’immense richesse que les capitalistes danois ont réussi à piller au Groenland par l’extraction de cryolithe. Malgré le fait que l’État danois ait fait payer les capitalistes danois pour leur permettre de voler les ressources minières du Groenland, les héritiers de Theobald Weber (fondateur de l’usine de cryolithe de l’Øresund) ont chacun touché un rendement d’au moins 40 % du million reçu à la mort de leur père. De tels revenus ne proviennent pas d’activités économiques normales, mais uniquement de monopoles et de rentes coloniales. La réinjection de ces profits a bâti le Danemark tel que nous le connaissons aujourd’hui. C. F. Tietgen, le parrain de la bourgeoisie danoise moderne, est à l’origine de la construction de la mine d’Ivittuut. L’extraction de cryolithe doit donc être considérée comme une étape décisive de l’accumulation primitive qui a permis la transformation du Danemark en société industrielle.
Sans la cryolithe, l’aluminium ne serait probablement jamais devenu un métal d’usage courant, et ses potentialités n’auraient pas profité à l’humanité. Le Danemark et les États-Unis se sont partagé les profits de l’exploitation de la cryolithe plus ou moins équitablement. Pour les États-Unis, elle a permis le développement rapide de leur aviation militaire, qui, depuis la Seconde Guerre mondiale, leur garantit une influence décisive sur le marché mondial. La richesse et la puissance qui en ont découlé ne peuvent être quantifiées. Ce que valait le fait d’avoir un lieu unique au monde où ces minéraux rares étaient disponibles à ciel ouvert – utilisés par la population locale pour tanner les peaux – s’est perdu dans les débats éthiques historiques. Comme d’autres peuples colonisés, les Inuit du Groenland se retrouvent avec un trou dans le sol là où auraient pu se poser les bases du développement de leur propre société et de leur propre économie.
Colonialisme aux États-Unis – et au Danemark
La revendication brutale de Trump pour le contrôle du Groenland n’est que la poursuite du raisonnement colonial, impérial et raciste qui a longtemps défini les politiques danoise et américaine envers le Groenland. Grâce à une longue et difficile lutte politique, le peuple groenlandais a conquis des droits juridiques et formels à l’indépendance. Mais l’impérialisme américain voit d’un œil profondément suspicieux toute formation étatique autochtone. C’est pourquoi, même sous direction démocrate, les États-Unis ont œuvré activement à influencer l’élite groenlandaise et à l’arrimer aux intérêts américains.
Le simple fait que cette exploitation soit aujourd’hui révélée déclenche une hystérie coloniale au Danemark, où le racisme colonial envers nos concitoyen·nes groenlandais·es se déchaîne librement – notamment à travers des idées selon lesquelles l’indépendance du Groenland devrait avoir des conséquences pour les Groenlandais·es vivant au Danemark. Il faut rejeter catégoriquement que le statut du Groenland ait la moindre incidence sur celles et ceux qui vivent au Danemark et font partie de la société danoise. Il est également profondément critiquable que le gouvernement danois, qui affirme pourtant soutenir le slogan groenlandais « Rien sur le Groenland sans le Groenland », ait sillonné l’Europe – sans le Groenland – pour obtenir un appui à la défense du « Royaume » ! Le gouvernement groenlandais est parfaitement capable de négocier les questions de sécurité – comme il le fait déjà pour les concessions et le commerce.
Nos tâches
La classe ouvrière danoise et la gauche ont une responsabilité particulière envers le peuple groenlandais. Il est malheureusement vrai qu’une complaisance marquée a caractérisé une grande partie du mouvement ouvrier danois à l’égard des Groenlandais·es. À quelques exceptions près, trop d’entre nous ont estimé qu’il suffisait de « laisser les Groenlandais décider », évitant ainsi d’avoir à affronter les questions historiques et contemporaines complexes qui concernent le Groenland. Il faut remédier à cela.
Cela commence par l’organisation de débats sur l’histoire et la réalité actuelle du Groenland, en invitant des activistes et des Groenlandais·es vivant au Danemark à partager leurs analyses et points de vue – pas seulement sur le Groenland, mais dans toute la société danoise. Nous pouvons le faire dans tous les milieux où nous sommes actifs. En parallèle, nous voulons que l’enseignement de l’histoire du Groenland et du colonialisme danois soit intégré aux programmes scolaires. Aucun enfant ne devrait voir l’Église de marbre sans savoir qu’à l’époque de son achèvement, elle était aussi surnommée « la mine d’aluminium ».
Nous devons également approfondir notre compréhension des conflits postcoloniaux et des angles morts des populations colonisatrices, notamment parmi les classes populaires. Un exemple monstrueux de cette ignorance est visible lorsque des « experts économiques » s’autorisent à vitupérer, presque sans contradiction, contre l’évaluation de la valeur brute d’une matière première (la cryolithe) comme mesure de ce qu’un pays colonisateur a pris à un pays colonisé. Même si des chercheurs en colonialisme soulignent la pertinence de cet indicateur – puisque pratiquement toute cette valeur a été transférée du PIB groenlandais à celui du Danemark. Il faut également accorder une attention particulière à la question des droits reproductifs et aux efforts délibérés de l’État danois pour empêcher la naissance d’une demi-génération d’enfants groenlandais.
Revendications pour soutenir la lutte des Groenlandais·es pour l’indépendance
Tout en soutenant pleinement le désir d’indépendance du Groenland et en comprenant que les Groenlandais·es ne peuvent croire à un traitement égalitaire, nous voulons entretenir les meilleures relations possibles avec le peuple groenlandais. Nous sommes liés non seulement par l’histoire, mais aussi par des relations familiales et d’amitié. Toutefois, ce désir n’a de sens que si le Groenland est soutenu dans sa pleine maîtrise de son territoire, et nous devons exiger qu’aucune pression économique ne soit exercée pour influencer les choix politiques du peuple groenlandais. De même, nous exigeons que les déplacements entre le Danemark et le Groenland soient rendus abordables pour toutes les personnes ayant de la famille au Groenland. Nous nous opposerons à toute indépendance contrainte par des concessions destructrices ou par des pressions militaires. Nous rejetons aussi toute démarche visant à court-circuiter le peuple groenlandais au profit d’élites réduites.
Nous exigeons donc que le Groenland ait un accès complet et sans entrave à toutes les études sur son sous-sol, et que tous les accords militaires concernant l’Arctique soient soumis à la population arctique. Lorsque l’État danois et la bourgeoisie danoise continuent de clamer combien il est « difficile » de faire de l’argent avec le pillage de l’Arctique, nous exigeons que tous les comptes soient publiés, y compris les paiements de dividendes.
Le développement d’un programme digne de ce nom concernant la relation entre le Groenland et le Danemark, ancienne puissance coloniale, doit se faire avec la pleine implication et l’indépendance du Groenland. Nous saluons à ce titre la contribution de la gauche danoise au parti Inuit Ataqatigiit, et nous leur souhaitons bonne chance pour les élections.
23 février 2025
Traduit par SAP à partir de [Socialistisk Information → https://socinf.dk/for-et-frit-og-afmilitariseret-arktis-forsvar-groenlands-selvstaendighed-forsvar-den-groenlandske-befolkning-og-natur/.**]
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