Édition du 26 mars 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Élections québécoises 2012

Québec solidaire malgré tout

Les trois partis néolibéraux sous la bannière bleu royal, comme le remarquait la porte-parole femme de Matane-Matapédia à la conférence de presse de présentation de la candidate de ce comté, ne méritent que le rejet du peuple québécois tant de par leur bilan, y compris celui de l’ancien ministre de l’éducation du PQ aujourd’hui chef de la CAQ, et leur base sociale affairiste que de par leurs plate-forme électorales. Celles-ci sont surdéterminées par l’atteinte à court terme de l’équilibre budgétaire et par celle de la réduction du fardeau de la dette publique, par des degrés divers de corruption, par des politiques sociales mêlant parcimonie et démagogie et par leur nationalisme identitaire à saveur nauséabonde.

Par défaut, Québec solidaire apparaît le bon choix. Même si sa plate-forme ne confronte en rien la dictature sous-jacente de la finance et des transnationales qui empêcheraient ou pervertiraient l’essentiel de sa réalisation, et que son discours électoral réellement existant émascule ses propositions les plus antilibérales, elle est nettement plus à gauche et consistante que ses concurrentes. Québec solidaire se démarque aussi par ses multiples liens avec les mouvements sociaux malheureusement restés informes du fait de son mode d’organisation purement électoraliste.

Malgré sa présence très visible aux grandes manifestations étudiantes, Québec solidaire aura abandonné la lutte étudiante durant la campagne électorale autant que le mouvement étudiant, radicaux et modérés confondus, a laissé tomber Québec solidaire. Ce divorce ne compte pas pour rien dans la fin de la lutte étudiante malgré toutes ses promesses pour l’avenir, pas nécessairement lointain.

Un scénario à la grecque au bout du nez des trois partis néolibéraux

L’objectif de l’atteinte de l’équilibre budgétaire pour l’année fiscale 2013-14 garanti par les trois partis néolibéraux, sans aucune mesures fiscales sauf des rabais marginaux aux « classes moyennes » pour la CAQ et des hausses marginales envers les riches et les minières pour le PQ, signifie la continuelle asphyxie des services publics. Le PQ promet même une baisse du taux de croissances des dépenses publiques hors dette, en deçà de celle des Libéraux. Cet équilibre hors dépenses d’infrastructures se double d’une volonté de carrément réduire la dette publique et d’une dénonciation virulente de sa croissance par les Libéraux parfaitement explicable par la combinaison de la crise des infrastructures et celle économique. Adieu donc toute relance économique par de vastes projets d’infrastructures anti ou pro écologiques. Cette fermeture à double tour du robinet garantit, dès l’enveniment de la crise, un scénario à la grecque.

S’y ajoute le coût de la corruption induite par le complexe ABC (asphalte-bois-ciment) qui pénètre de ses tentacules les gouvernements québécois et ses municipalités jusqu’au trognon. La campagne électorale, en particulier les débats télévisés, n’a pas manqué de révéler que la corruption n’était pas que l’apanage des Libéraux. Même le chef de la CAQ, dont la lutte contre la corruption s’avère le fil de plomb de sa campagne, a fermé les yeux, en tant qu’ex ministre du PQ, sur les détournements de la loi pour financer la caisse électorale du PQ, sans compter qu’il n’a pas été tout à fait transparent sur le financement de son organisation avant qu’elle devienne un parti reconnu, qu’il ne rend pas public l’état de sa fortune d’homme d’affaires à succès, pas plus que la chef péquiste dont le conjoint est un financier devenu discret, et qu’il a dû accepter la démission de son agent officiel éclaboussé par un scandale financier sans compter qu’il a été contraint à défendre la réputation de son candidat grand justicier mise à mal par le financement douteux de sa campagne électorale à la mairie de Montréal il y a quinze ans.

On devine le scénario habituel de la découverte, après coup, de l’absence de marge de manœuvre pour mettre en place les quelques mesure progressistes ou populistes promises en matière sociale. Les quelques engagements de la part de la CAQ, en autant qu’elles tiennent la route, pâlissent à côté de l’hécatombe d’emploi promise dans les services publics… sans baisse de service, bien sûr, tout ça à la mode du gouvernement Conservateur tout comme sa déclaration de guerre contre les syndicats. Les Libéraux, tout aussi enthousiastes à copier le parti Conservateur sur la façon d’éviter les débats sur leur bilan économique et social et de cacher leur attachement au statu quo, se contentent d’un saupoudrage pour des « clientèles » très ciblées sauf à promettre un quart de million de nouveaux emplois sur cinq ans… soit l’équivalent de la création naturelle de l’emploi hors crise, c’est-à-dire de laisser faire le marché. Le PQ reste fidèle à sa tactique de parler à gauche… puis de gouverner à droite. Il faudra un mouvement étudiant aux aguets pour que le PQ ne renie pas à terme ses promesses de gel des frais de scolarité indexé au coût de la vie et d’annulation de la répressive loi 12, ex-78 lors de la grande messe promise entres acteurs sociaux, art dans lequel il est passé maître. Qu’est que ça sera si la deuxième vague de la crise partie de l’Europe déferle outre-Atlantique comme les toutes dernières statistiques sur l’emploi et le PIB pourraient le laisser entendre, suffisamment en tout cas pour miner la crédibilité des cadres financiers de tous les partis, Québec solidaire compris ?

Question nationale ou question identitaire ?

C’est cependant à propos de la question nationale que les trois partis bleu royal laissent le plus clairement percer leur idéologie droitière. Tous, prétendument pour un État laïc, défendent au nom du patrimoine la présence du crucifix à l’Assemblée nationale, clair reniement symbolique de la séparation de l’État et des religions chrétiennes. Le PQ, au nom d’une charte de la laïcité, s’oppose au port de « signes ostentatoires » pour tout fonctionnaire, quelque soit ses fonctions, ce qui vise explicitement musulmans, juifs et sikhs, principalement les femmes musulmanes, mais pas nécessairement les médaillons chrétiens. La CAQ, héritière de la campagne de l’ex ADQ, qu’elle a absorbée, contre les islamophobes « arrangements raisonnables », veut restreindre l’immigration. Quant aux Libéraux, qui prétendent être des parangons de tolérance au nom du multiculturalisme canadien, ils se sont fait déculotter au débat télévisé de Radio-Canada pour ne pas avoir condamné les propos ouvertement islamophobes du maire de Ville-Saguenay contre une candidate péquiste, lesquels propos avaient appuyés par un ministre Libéral.

Pour ne pas prendre à bras-le-corps l’oppression nationale du peuple québécois, qu’ils nient tous, les trois partis néolibéraux réduisent la question nationale à une question identitaire qui tend rapidement à se ratatiner à une question Québécois-pur-laine-de-tradition-chrétienne. Jaugée à cet aulne, la lutte pour l’indépendance ne peut avoir aucune portée socio-économique sauf à promouvoir un utopique capitalisme québécois dans un marché global dominé par quelques grandes puissances sur le dos on devine de qui. Libéraux et Caquistes tirent la conclusion logique de cet identitarisme, ces derniers paraissant réussir in extremis ce virage fédéraliste qui leur échappait grâce à leur thématique anti-corruption ralliant une frange des Libéraux… ce qui pourrait leur échapper s’ils sont trop arrosés à leur tour. Quant au PQ, in extremis eux aussi, ils renient ce « référendum d’initiative populaire » concédé aux militants péquistes, ce qui abstraitement les positionnait à gauche de Québec solidaire en ouvrant une brèche pour la rue dans le carcan institutionnel de la stratégie d’accès à l’indépendance. Ce référendum, qui nécessitait quand même un 15% de l’électorat réparti sur le territoire, exigences supérieures à celles de la Suisse et des ÉU, ne sera finalement que consultatif et nécessitera l’approbation de l’Assemblée nationale pour aller de l’avant. Reste que si le PQ en légiférait la possibilité, un gros ‘si’ qui nécessiterait sans soute une forte mobilisation, un résultat positif ne pourrait qu’induire un sursaut de la rue.

Oui pour le vote stratégique… mais lequel ?

En termes comparatifs, sur les quatre thèmes des débats télévisés (l’économie avec en pointe la question des ressources naturelles, la gouvernance avec en pointe la question de la corruption, les politiques sociales avec en pointe les questions de la santé et de l’éducation, la question nationale avec en pointe la stratégie d’accès à l’indépendance ou sa négation), Québec solidaire s’en tire haut la main même si la démarcation avec le PQ est plus d’ordre quantitatif que qualitatif et qu’il se fait damer le pion par Option nationale sur certains points (voir mon article « Le cadre financier et le plan vert de Québec solidaire », ESSF, 18/08/12, mise en ligne le 20/08/12). La démarcation d’avec le PQ est d’autant plus problématique que les points saillants de la plate-forme de Québec solidaire, les plus antilibéraux, ont été délibérément mis en sourdine dans le message électoral y compris lors du débat télévisé de Radio-Canada.

Certes, comme le débat mettait Québec solidaire sur le même niveau que les trois partis néolibéraux susceptibles de former le prochain gouvernement devant plus de 1.5 million de téléspectateurs et que la performance de sa porte-parole y fut à la hauteur, le parti ne pouvait pas y perdre. Il ne faut pas toutefois être dupe. Les éloges des chefs libéral et caquiste, et celles des commentateurs de Radio-Canada et des journaux de Power Corporation, envers la porte-parole solidaire relèvent du plus cynique calcul politique, soit détourner des votes du PQ. En ces temps d’offensive néolibérale pour rabaisser la qualité des politiques sociales du Québec au bas niveau de la zone ALÉNA, la demi bourgeoisie québécoise ne veut plus de l’alternance du PQ prisonnier de son option souverainiste qui pourrait l’empêcher de renier ses promesses électorales progressistes, aussi facilement que les partis socio-libéraux grec ou espagnol l’ont fait, afin d’éviter une dynamique référendaire avec ou sans lui. Pourquoi d’ailleurs Radio-Canada n’a-t-il pas invité le chef et député d’Option nationale, ce que Québec solidaire n’a pas dénoncé malgré qu’il fut victime d’un traitement semblable lors des élections de 2008, sinon parce que ce parti nationaliste, fort de l’appui d’une partie significative de la jeunesse hors Montréal, était trop franchement indépendantiste en plus d’être teinté à gauche.

Québec solidaire nie la pertinence du vote dit « stratégique » propre au système uninominal à un tour. Dans l’éventualité probable d’un gouvernement minoritaire péquiste, selon les sondages, à laquelle il contribuerait puisque un gain solidaire ne peut se faire, en pratique, qu’au détriment du PQ, le parti pourrait détenir la balance du pouvoir (Vidéo de Québec solidaire). Ce qui pourrait être vrai au niveau de l’ensemble des circonscriptions électorales, ne l’est pas au niveau de chaque circonscription puisque un vote solidaire de plus dans plusieurs comtés va enlever un vote au PQ et pourrait donner la victoire aux Libéraux ou à la CAQ. Comme la course entre les trois partis néolibéraux est serrée chez l’électorat francophone, plusieurs comtés seront gagnés à la marge. Si Québec solidaire glisse sur le terrain des demi-vérités, c’est qu’il refuse de se positionner comme alternative antilibérale et indépendantiste aux trois partis ne remettant pas en cause le statu quo tant néolibéral que fédéral. C’est sur cette base stratégique, qui n’a rien à voir avec un vote tactique qualifié de stratégique, qu’il faut appeler à un vote pour Québec solidaire.

Le rendez-vous raté de l’urne et de la rue

La confusion sociale-libérale de la direction de Québec solidaire lui à fait faire une offre d’alliance minimaliste avec le PQ, heureusement refusée, à l’encontre de la base du parti. C’est cette même confusion qui a découplé la campagne électorale de Québec solidaire de la lutte étudiante par le renoncement à promouvoir la nécessité de la « grève sociale » dans la perspective d’un Québec indépendant de la Cour suprême et des banques. C’est là la plus grave défaillance de la campagne de Québec solidaire. Elle a grandement contribuée, conjointement avec le déclenchement hâtif des élections qui a amplifié la division du mouvement étudiant entre modérés électoralistes et radicaux libertaires, à l’isoler lui qui avait absolument besoin du relais de la grève sociale comme le porte-parole démissionnaire de la CLASSE l’avait clairement souligné (mon article, « La très prochaine campagne électorale au Québec », ESSF, 28/07/12, mise en ligne le 29/07/12). Coincé dans un cul-de-sac, une grande partie des associations grévistes ont déclaré une trêve électorale tout en maintenant une forte mobilisation dans la rue — plus de 50 000 personnes ce 22 août à Montréal — et en reconvoquant leurs membres après le 4 septembre. Évidemment, sans la perspective concrète et prochaine d’une grève sociale, la reprise de la grève étudiante est loin d’être certaine. Il faudra peut-être une autre conjoncture à partir d’un autre point d’appui, dans le contexte très possible d’un gouvernement péquiste minoritaire impuissant et instable. Il appartiendra, alors, aux travailleuses et travailleurs à entrer dans la danse, une fois vaincu le blocage des bureaucratisées directions syndicales.

Marc Bonhomme, 25 août 2012
bonmarc@videotron.ca ; www.marcbonhomme.com

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