Édition du 23 avril 2024

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Afrique

RDC : quelles conséquences après l'élection de Biden ?

Si beaucoup voient la défaite de Donald Trump comme un coup dur, pour Felix Tshisekedi, la nouvelle administration Biden ne devrait pas tourner le dos au président congolais. Explications.

Tiré d’Afrikarabia.

Les comptages sans fin et la contestation des résultats par Donald Trump ont fait l’objet de nombreuses railleries à Kinshasa, coutumière d’élections bien plus chaotiques. Au-delà d’une élection américaine à suspense, les Congolais se demandent maintenant quelles en seront les répercutions sur la vie politique en République démocratique du Congo (RDC) ? Il faut dire que depuis les élections contestées de 2018 et l’arrivée « négociée » avec Joseph Kabila de Félix Tshisekedi à la Présidence, les Etats-unis jouent désormais un rôle de premier plan dans la politique congolaise. Malgré l’élection douteuse de Félix Tshisekedi, Washington a rapidement considéré qui si les Congolais n’avaient pas voté en majorité pour Félix Tshisekedi, le départ de Joseph Kabila et la transition pacifique qui a suivi, étaient des avancées suffisantes pour soutenir le nouveau président congolais.

Washington a choisi son camp

En quête de légitimité, Félix Tshisekedi a trouvé dans Etats-unis un allié de poids pour tenter de peser dans un paysage politique largement dominé par Joseph Kabila, qui a certes quitté son fauteuil présidentiel, mais a conservé tous les pouvoirs. Le FCC, la plateforme politique de l’ancien président, est en effet largement majoritaire à l’Assemblée nationale, au Sénat, dans les Assemblées provinciales, mais aussi, et surtout, au sein de l’armée et des acteurs économiques. Dans la guerre de tranchée qui oppose maintenant Félix Tshisekedi et Joseph Kabila, Washington a très rapidement choisi son camp.

Un remaniement dans l’armée salué par Washington

Au travers de son bouillonnant et très proactif ambassadeur, Mike Hammer, les Etats-unis ont décidé d’aider Félix Tshisekedi à « déboulonner le système Kabila ». Une promesse faite par le nouveau président congolais lors d’un déplacement dans la capitale américaine, accompagné par l’ambassadeur Hammer. Washington appuie alors ouvertement la politique de Félix Tshisekedi dans sa lutte contre la corruption et sa volonté de ramener la paix et la sécurité dans l’Est du pays. Les sanctions américaines maintenues contre de nombreux généraux de l’armée congolaise, accusés de crimes de guerre et de violations des droits de l’homme, permettent au président Tshisekedi de tenter un timide remaniement au sein des FARDC (Forces armées de République démocratique du Congo). Il écarte notamment le très sulfureux général John Numbi. Une décision saluée par Washington.

Washington, premier bailleur de fonds

Félix Tshisekedi est largement encouragé par les américains à faire le ménage dans le haut commandement militaire. Un « nettoyage » nécessaire si Kinshasa veut voir la coopération avec Washington se développer. A la clé : la formation des FARDC par l’armée américaine. Un atout indispensable pour lutter contre la centaine de groupes armés qui pullulent encore à l’Est du Congo. Félix Tshisekedi peut aussi compter sur l’Oncle Sam pour venir en aide à sa population. Les Etats-unis ont apporté cette année, 314 millions de dollars d’aide humanitaire, ce qui en fait le premier bailleur de fonds international, très loin devant l’Union européenne. Depuis avril 2019, un « partenariat privilégié pour la paix et la prospérité » (PP4PP) a été signé entre la RDC et les Etats-unis afin de sceller leur collaboration sur de nombreux projets communs.

Tshisekedi, l’occasion de renouer avec Kinshasa

Deux raisons ont poussé Kinshasa et Washington à se rapprocher. La première est la défiance constante qu’a manifesté Joseph Kabila, tout au long de son dernier mandat. Les Etats-unis ont régulièrement critiqué le régime Kabila pour sa répression aveugle et pour la gestion de la crise pré-électorale entre 2015 et 2018. Joseph Kabila n’a pas apprécié les sanctions américaines sur de nombreux caciques de son régime, politiques et militaires. Sous pression, la diplomatie congolaise s’est alors volontairement isolée de la scène internationale… Etats-unis et Europe en tête. Washington a donc vu en Félix Tshisekedi, une occasion unique de renouer avec Kinshasa et un président plus malléable en raison de son manque de légitimité.

S’opposer à la Chine

La seconde raison de la soudaine lune de miel américano-congolaise est économique. La seule obsession de Donald Trump lorsqu’il arrive à la maison blanche est de contrer la superpuissance chinoise sur les marchés. Si l’Afrique n’existe pas vraiment pour Donald Trump, la RDC constitue néanmoins l’endroit idéal pour damer le pion à la Chine qui contrôle la majeure partie des minerais produits par le Congo. Washington avait d’autant plus de raisons de se tourner vers Félix Tshisekedi que Joseph Kabila avait, par le passé, fait le pari de la Chine en passant de nombreux contrats miniers avec l’Empire du Milieu.

Pas de virage à 180°

L’arrivée de Joe Biden va-t-il changer la donne ? Certains cadres du FCC ont rapidement fait courir le bruit qu’une défaite de Donald Trump affaiblirait Félix Tshisekedi, provoquant l’inquiétude au sein du clan présidentiel. En fait, une source diplomatique à Kinshasa nous confie qu’elle imagine mal l’administration Biden tourner le dos à Tshisekedi pour se rapprocher du camp Kabila, accusé de tous les maux du Congo. Démocrate pro-démocratie, Joe Biden était déjà vice-président des Etats-unis lorsque Washington ne se gênait pas pour critiquer le régime Kabila. Biden ne s’est pas rendu à Kinshasa lors de sa tournée africaine pendant le premier mandat Obama. L’ambassadeur américain à Kinshasa, Mike Hammer, a fait une longue carrière dans l’administration américaine et devrait pouvoir défendre sans difficulté la ligne politique américaine en RDC devant Joe Biden, avec lequel il a d’ailleurs collaboré.

Un an de plus pour Mike Hammer

Adepte du multilatéralisme, Biden devrait également se raccommoder avec l’Union européenne, considérée comme « ennemie » par Trump. Un atout supplémentaire pour Félix Tshisekedi qui pourra désormais compter sur deux alliés qui se parlent de nouveau. Même si la doctrine américaine en Afrique ne devrait pas être bouleversée, l’ère Biden qui s’amorce ne devrait pas mettre en difficulté Félix Tshisekedi. Bien au contraire. La lutte contre la corruption, l’impunité et les groupes armés avancée par le président congolais devrait séduire la toute nouvelle administration américaine. Et le meilleur soutien de Félix Tshisekedi, Mike Hammer, devrait encore rester une année supplémentaire à Kinshasa. C’est ce qu’il vient de dire opportunément sur Twitter ce week-end… quelques heures après l’annonce de la victoire de Joe Biden.

Christophe Rigaud

Journaliste pour le site de Pambazuka (http://pambazuka.org/). Journaliste, directeur du site Afrikarabia consacré à l’actualité en République démocratique du Congo (RDC) et en Afrique centrale.

http://afrikarabia.com/wordpress/

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