Édition du 16 avril 2024

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Environnement

Rapport de la Coalition St-Laurent sur le transport du pétrole sur le St-Laurent : Le Canada n’est pas prêt à faire face à une marée noire majeure

Au lendemain de la manifestation du 26 octobre dernier à Sorel-Tracy dénonçant le transport du pétrole sur le St-Laurent sans consultation publique ni évaluation des risques, nous revenons sur cet enjeu majeur par le biais du document que la Coalition St-Laurent (http://www.coalitionsaintlaurent.ca) à émis en juin dernier et adressé « à tous ceux qui veulent mieux comprendre les enjeux et mieux participer au débat de société concernant l’ouverture du golfe du Saint-Laurent à l’exploration pétrolière. » Nous en publions des extraits en souhaitant que le goût vous prenne de consulter le document dans son intégralité. (PTAG)

Sommaire

D’emblée, il importe de constater que le golfe du Saint-Laurent est une petite mer intérieure semi-fermée, près de sept fois plus petite que le golfe du Mexique. On y trouve plus de 4 000 espèces dont plusieurs sont d’intérêt économique, alors que de nombreuses autres sont en péril. D’un point de vue socioéconomique, la pêche et le tourisme sont les moteurs économiques du golfe du Saint-Laurent et sont à la base même du mode de vie des communautés côtières, la pêche générant plus de 1,5 milliard de dollars annuellement et le tourisme relié au golfe, quant à lui, 0,8 milliard de dollars. Ainsi, avec toutes ces caractéristiques, le golfe du Saint-Laurent est considéré, avec la côte sud-ouest de la Colombie-Britannique, l’un des deux endroits au Canada les plus vulnérables aux marées noires, tant au niveau environnemental que socioéconomique. Plus spécifiquement, les caractéristiques physiques et océanographiques du golfe (courants, couvert de glace en hiver, eau froide, etc.) compliqueraient grandement les opérations en cas de déversement de pétrole. Contrairement à d’autres provinces ou nations exploitant les hydrocarbures, telles que dans les Grands Bancs de Terre-Neuve (dans l’Atlantique) ou dans la mer de Norvège, un déversement dans le golfe aurait de fortes chances de demeurer captif.

(...)

Or, outre l’intérêt affirmé de plusieurs provinces côtières pour le développement de la
filière d’hydrocarbures dans le golfe du Saint-Laurent, force est d’admettre que la recherche d’hydrocarbures en mer présente, à chacune des phases, des risques à connaître et à considérer, que ce soit lors de levés sismiques, du forage exploratoire ou de l’exploitation. Les impacts des levés sismiques sont causés par les sons très puissants qui peuvent affecter la vie marine, notamment les mammifères marins. Ces levés sont également sources de conflits d’usage, principalement avec les pêcheurs. Les déversements accidentels, majeurs ou mineurs ainsi que les rejets autorisés (eaux de production, etc.) sont les impacts les plus couramment associés au forage et à la production. Or, selon un rapport du Commissaire à l’environnement et au développement durable, le Canada n’est pas prêt à faire face à une marée noire majeure.

(...)

Somme toute, la décision d’implanter l’industrie pétrolière dans le golfe du Saint-Laurent serait lourde de conséquences et, compte tenu des nombreuses lacunes d’ordre scientifique, technique, légal et social, l’approche de précaution s’impose. Ces lacunes, qui ont été soulevées dans divers rapports d’experts, sont résumées dans le Tableau 1 et font foi d’un encadrement inadéquat de l’industrie ainsi que d’un important manque de connaissances du golfe du Saint-Laurent qui pourraient mettre en péril les ressources renouvelables de cet écosystème déjà fragile.

L’ensemble de ces constats sous-tend ainsi la nécessité d’agir de façon responsable et donc de mettre en place un moratoire dans l’ensemble du golfe du Saint-Laurent. Seul un portrait complet des impacts sociaux, environnementaux et économiques permettrait de prendre une décision éclairée quant à l’avenir du golfe. Ce portrait doit ainsi porter sur l’ensemble du golfe qui se doit d’être étudié dans sa globalité, et non plus de façon morcelée en fonction des frontières administratives tracées par l’Homme, tel que c’est le cas à l’heure actuelle. Plus que jamais, les provinces se doivent d’oeuvrer en concertation et ne peuvent prendre des décisions unilatérales qui pourraient avoir des impacts environnementaux et socioéconomiques négatifs sur les autres provinces. Dans cet effort de concertation, l’ensemble des communautés côtières des cinq provinces voisines du golfe doivent également être consultées au sujet de la décision d’ouvrir ou non le golfe à l’industrie pétrolière.

Dans un contexte mondial où les changements climatiques ne peuvent plus être ignorés, il faut, plus que jamais, miser sur une approche basée sur le développement durable et la protection de ce joyau marin qu’est le golfe du Saint-Laurent. Il nous faudra donc réfléchir à l’avenir du golfe et déterminer collectivement si nous voulons y implanter une industrie pétrolière aux multiples impacts ou miser sur sa préservation et sa restauration.

Nous proposons donc les recommandations suivantes

1. Établir un moratoire pour l’ensemble du golfe du Saint-Laurent ;

2. Renforcer nos connaissances scientifiques de ce grand écosystème ;

3. Coordonner une gestion intégrée (fédérale et multiprovinciale) pour l’ensemble du golfe ;

4. Consulter l’ensemble des communautés côtières et les Premières Nations quant à l’avenir du golfe, particulièrement en lien avec le développement de la filière pétrolière.

Lacunes entourant l’exploration et l’exploitation d’hydrocarbures dans le golfe du Saint-Laurent

Importance, complexité et vulnérabilité du golfe

· Petite mer semi-fermée, couvert de glace hivernal, courants qui confineraient dans le
golfe les nappes de pétrole ;

· Impacts pouvant affecter les cinq provinces riveraines ;

· Nombreuses pressions déjà présentes (transports, pêche, hypoxie, pollution,
changements climatiques, etc.) ;

· Nombreuses espèces en péril (menacées, en voie de disparition, etc.) : rorqual bleu,
tortue luth, loup tacheté, etc. ;

· Aucune aire marine protégée dans le golfe, autre que celle de Basin Head à l’est de l’île
du Prince-Édouard (0,6 km2).

Lacunes importantes dans l’état des connaissances

· De nombreuses lacunes dans les connaissances scientifiques concernant le
golfe (courants, mouvement des mammifères marins, aires de reproduction et
d’alevinage de poissons d’intérêt commercial, etc.), l’impact des technologies
(effet des dispersants chimiques, effets des levés sismiques sur les organismes) ;

· Nécessité d’obtenir un portrait des impacts sociaux, économiques et environnementaux
de l’exploration et de l’exploitation des hydrocarbures dans le golfe ;

· Absence d’évaluation environnementale stratégique (EES) portant sur la totalité du golfe ;

· Coupes dans les postes scientifiques en écotoxicologie qui étudient le golfe.

Cadre légal et règlementaire inadéquat

· Responsabilité financière absolue des compagnies pétrolières limitée à 30 millions de
dollars (bientôt augmentée à un milliard de dollars, projet de loi C-22) ;

· Évaluations environnementales revues à la baisse par le gouvernement fédéral au cours
des dernières années (Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (LCEE)) ;

· Droit de veto des compagnies pétrolières limitant le droit à l’information sur des
données environnementales ou concernant la sécurité ;

· Absence d’observateurs indépendants sur les plateformes. Ce sont les compagnies
elles-mêmes qui rapportent les accidents ;

· Offices des hydrocarbures n’ont toujours pas connu de refonte en profondeur, malgré la
recommandation du rapport Wells (2010) ;

· Multiplicité d’institutions règlementaires : deux offices extracôtiers existants (Terre-
Neuve-et-Labrador et Nouvelle-Écosse), deux autres potentiels (Québec et Nouveau-
Brunswick), Office national de l’énergie ;

· Pas de planification marine intégrée dans le golfe et aucune structure
intergouvernementale ou fédérale pour la faciliter.

Capacité d’intervention insuffisante en cas de déversement pétrolier

· Capacité d’intervention dans l’est du Canada actuellement limitée à 15 000 tonnes de pétrole ;

· Récupération des hydrocarbures généralement limitée à 10 à 15 % du volume répandu,
et ce, dans les meilleures conditions météorologiques ;

· Récupération des hydrocarbures très difficile en présence d’un couvert de glace ;

· Incapacité ou difficulté d’intervention lors de tempêtes.

Absence d’acceptabilité sociale

· Forte opposition des communautés insulaires et côtières du golfe ;

· Aucune consultation publique formelle (ex. : examen public) auprès des 5 provinces du golfe ;

· Opposition de nombreuses nations autochtones (Mi’gmaqs, Innus, Malécites, etc.).

Quel avenir pour le golfe du Saint-Laurent ?

Le golfe du Saint-Laurent est à la croisée des chemins. Ses écosystèmes sont riches, productifs et diversifiés, et ses caractéristiques physiques distinctes en font un milieu particulièrement vulnérable aux déversements pétroliers182 . Il est de notre responsabilité de préserver et de restaurer cette richesse alors qu’il ne fait plus de doutes que notre propre existence dépend d’écosystèmes sains et diversifiés.

Puisque nous savons pertinemment que le golfe du Saint-Laurent fait face à d’énormes défis, nous devons alors nous donner les moyens de développer les connaissances et les compétences pour les relever.

L’avènement possible de la filière des hydrocarbures au coeur du golfe du Saint-Laurent nous confronte à un choix d’une importance capitale. En effet, nous devons déterminer les priorités pour cet écosystème unique : son rétablissement et sa préservation, ou l’exploitation de ses ressources non renouvelables avec tous les risques que cela comporte ?

Il nous faudra décider collectivement, avec l’ensemble des acteurs concernés et à partir de faits établis, la voie que nous voulons emprunter pour l’avenir du golfe. Les recommandations suivantes pourront nous aider à y parvenir :

1. Établir un moratoire sur l’exploration et l’exploitation pétrolière pour l’ensemble du golfe du Saint-Laurent ;

2. Renforcer nos connaissances scientifiques de ce grand écosystème ;

3. Coordonner une gestion intégrée (fédérale et multiprovinciale) pour l’ensemble du golfe ;

4. Consulter l’ensemble des communautés côtières et les Premières Nations sur l’avenir du golfe, particulièrement en faisant le lien avec le développement de la filière pétrolière.

Pour la suite des choses, les générations futures jugeront de nos choix et de nos actions.

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