Édition du 23 avril 2024

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Régimes de genre dans les politiques de migration et d’asile

S’intéresser aux processus de différenciation et de hiérarchisation entre les sexes, implique de prendre en compte le genre, «  Le genre divise, classe, hiérarchise l’humanité en deux moitiés inégales et interagit avec les catégories de classe, de « race », d’âge, de sexualité. Il structure les organisations collectives et les trajectoires individuelles, et génère des rapports de pouvoir complexes  ». Les effets doivent être examinés à toutes les étapes de la migration (raisons de départ, types de circulation, division et/ou ségrégations des marches du travail, gestion des frontières, politiques « migratoire et d’intégration », violences spécifiques, etc.)

Tiré de Entre les lignes et les mots

Contrairement aux légendes androcentriques, les femmes ont toujours travaillé, les femmes ont « toujours migré et en nombre », l’autrice souligne les « articulations nouvelles entre économie domestique et économie globalisée », les liens entre les secteurs formels et informels (qui ne se limitent pas aux services et aux soins. Il me semble plus que discutable d’y inclure la prostitution déguisée ici en « travail du sexe » – voir plus bas).

Aurélie Leroy analyse les femmes dans les flux migratoires mondiaux, les migrations familiales, les migrations « seules », les femmes de devenues « les principales pourvoyeuses de revenus pour les familles restées au pays », la complexité « des facteurs à l’origine de la prise de décision » de migrer, les débats sur la « féminisation de la migration  », les lieux principaux de migration, les pratiques de recrutements et les marchés du travail, « Séparer arbitrairement logiques économiques et sociales, travail et famille, trajectoires productives et reproductives témoigne de la persistance de dichotomies simplificatrices et du trop peu d’intégration des rapports de genre dans les politiques et les recherches sur les migrations »,

L’autrice souligne les contraintes structurelles et sociales auxquelles sont soumis·es les individu·es et les groupes, des facteurs propres aux femmes : travailler, subvenir aux besoins de leurs proches, « fuir une société patriarcale devenue étouffante », échapper à «  un environnement familial et communautaire discriminant et violent », les capacités d’agir (« et de choisir », « « avoir le choix » ne signifie pas la même chose et n’a pas la même portée pour tout le monde ».

S’il est juste d’indiquer que «  la vulnérabilité ne dépossède pas de tout pouvoir d’agir ; et l’agentivité ne nie pas les contraintes et les situations de dépendance », je ne partage aucunement l’idée que la prostitution puisse reposer sur « la liberté de disposer de son corps », relecture bien néolibérale d’un slogan pour le droit à l’avortement où le corps devient un patrimoine à louer, vendre ou découper. Le corps, le ventre, le sexe sont parties intégrantes d’une personne. Il n’est pas possible de séparer le corps de la sujette. [lire par exemple Aude Vidal : « Mon corps, mon choix »,[https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/04/28/mon-corps-mon-choix/]. Je regrette la banalisation de l’achat des corps des femmes par des hommes ; le silence sur l’âge d’entrée en prostitution des personnes et les effets mortifères de relations sexuelles non désirées, les conséquences de la légalisation des bordels, les traites humaines, les violences et les viols, le refus d’entendre la parole des survivantes, le non questionnement du consentement des hommes à ces rapports de pouvoir (négation de la sexualité des femmes), etc. [lire les nombreux textes proposés sur le blog].

L’autrice aborde, entre autres, le travail domestique, «  le rôle du travail non rémunéré des femmes dans l’articulation du travail productif et reproductif », les « chaines mondiales du care », les lieux majoritaires des flux migratoires, «  Une majorité des déplacements ont lieu en Amérique latine, en Asie, en Afrique, que ce soit entre pays voisins, au sein d’une région ou entre continents, et plus encore à l’intérieur d’un même pays », le système de la kalafa. Elle souligne qu’il n’existe pas « une situation de domination sociale commune à toutes les travailleuses domestiques ».

Aurélie Leroy discute de victimisation, en montrant que les individues ne peuvent être réduites au seul « statut » de victime. J’aborde cette question différemment. Dans les rapports de pouvoirs, de domination ou d’exploitation, les unes sont bien des dominées, des exploitées, des victimes du système et de ceux qui en profitent. Cela ne signifie en aucun cas qu’elle ne sont que cela. Leur capacité d’agir dans des contraintes plus ou moins fortes restent plus ou moins importantes. Mais ne pas utiliser le terme victime tend à masquer les rapports sociaux et leurs effets, sans oublier les asymétries et les bénéficiaires. Il convient donc à la fois de dire les dominations, les violences, l’exploitation et les réponses élaborées pour vivre ou survivre, sans porter de jugements sur les « choix » des personnes… Et favoriser les mobilisations collectives permettant de rompre avec les contraintes sociales au bénéfice de minorités.

L’autrice analyse aussi les politiques migratoires, les marchés du travail dont celui des soins, le durcissement des régimes d’immigration, «  Ce raidissement a eu pour effet de pousser une main-d’œuvre de plus en plus importante dans les circuits de l’illégalité, amenant les intermédiaires et les passeurs à jouer un rôle croissant  », sans oublier les situations de travail forcé, les effets des reculs des services publics particulièrement sensibles pour les choix des femmes.

«  Si le genre agit sur les migrations, les migrations agissent aussi sur le genre. Les femmes ont pu voir, selon les opportunités, leurs rôles se diversifier, leur indépendance financière s’accroître. Les idéaux de masculinité et de féminité ont aussi pu faire l’objet de renégociations, mais en dépit d’avancées, les femmes restent globalement contraintes par des normes de genre et des structures patriarcales résistantes aux changements, tout au long de leur parcours migratoire  ».

Un éditorial qui nous rappelle une fois de plus qu’il n’est pas possible d’analyser les faits sociaux sans prendre en compte le genre, les asymétries entre les femmes et les hommes.

Sommaire
Points de vue du sud
Priya Deshingkar : Trafic de migrant·es sud-sud : entre opportunité et exploitation
Asie
Maruja M.B. Asis, Nicola Piper, Parvati Raghuram : Contributions asiatiques à la recherche mondiale sur les migrations
Amba Pande : Féminisation de la migration indienne : tendances et perspectives
Brenda S.A. Yeoh : Migration et politiques de genre en Asie du sud-est
Afrique
Mary Boatemaa Setrana, Nauja Kleist : Dynamiques genrées et migration en Afrique de l’ouest
Claire Wilson, Gabriella Nassif, Zeina Mezher : Travailleuses domestiques immigrées au Liban : une perspective genrée
Amérique latine
María Florencia Linardelli : Travailleuses migrantes dans l’agriculture latino-américaine et Argentine
Almudena Cortés Maisonave : Régimes de mobilité et ordre genré : le cas de Puebla au Mexique

Priya Deshingkar analyse le trafic migratoire Sud-Sud en examinant trois pays : le Ghana, le Bangladesh et le Myanmar. « Dans ces trois pays, la migration en vue d’exercer un travail peu rémunéré et informel est la plus courante ». Elle examine, entre autres, les circuits genrés de circulation du travail, les obstacles à la mobilité, les professions sexospécifiques, le travail domestique (travail féminisé et racisé) et le travail masculin dans la construction, le rôle des passeurs, les fossés culturels et linguistiques, le concept d’« infrastructures migratoires ». Elle souligne que « la migration irrégulière est essentielle au maintien des circuits de circulation de main-d’oeuvre bon marché et jetable à travers le monde », que « le statut irrégulier des migrant·es permet aux employeurs et aux agences de placement de les exploiter, avec moins d’obligations de protéger leurs droits », que « le trafic migratoire peut également ouvrir des opportunités pour des personnes issues de milieux pauvres et marginalisés, en leur permettant d’accéder à un travail rémunérateur », les prises de distances « avec des trajectoires de vie culturellement déterminées ».

L’autrice termine sur celles et ceux «  qui se sont vu refuser le droit à la mobilité légale et libre dans le monde en développement  ».

Je n’évoque que certains points abordés dans les parties suivantes.

Asie. Les mobilités coloniales et les mobilités actuelles, le concept de « chaine de soins », les hommes et le travail productif, les femmes et le travail domestique ou le « divertissement » des hommes (Le travail productif des femmes est toujours sous-estimé en particulier dans l’agriculture). «  L’Asie compte le plus grand nombre de migrant·es internationaux·ales de tous les continents – environ 80 millions ». La migration contractuelle temporaire, la migration internationale pour les étudiant·es, la migration interne (« facteur clé de l’urbanisation et de l’essor des mégapoles »), les réseaux complexes de relations sociales, la transformation des rôles genrés au sein de la famille, les mariages internationaux, la question de l’apatridie, les stratégies gouvernementales « pour échapper à leurs obligations internationales  ».

La féminisation de la migration indienne, l’importance de la migration interne, le colonialisme et son héritage de développement inégal, le besoin «  de fuir des violences sexistes et les normes de sociétés patriarcales  », les préoccupations d’ordre familial, l’invisibilisation presque complète des femmes migrantes, la demande de main d’oeuvre féminine et les emplois mal rémunérés, les nouvelles législations tenant compte du genre, les nouvelle opportunités pour des femmes (plus grande indépendance financière, meilleur statut au sein des familles et des communautés), l’accès aux ressources et l’estime de soi, l’exploitation sexuelle et les contraintes à la prostitution. Sans oublier la nécessité d’intégrer les femmes dans les études et les réponses sociales, la régularisation des femmes migrantes dites sans-papiers…

« L’intensification et la féminisation des migrations de travail y posent la question du genre et des hiérarchies de pouvoir, notamment en termes de politique identitaire et du corps, de politique familiale et d’activisme ». Les effets des politiques gouvernementales, du « familialisme », des normes sexuées ; les mariages transnationaux, les régimes autoritaires…
« Les stratégies néolibérales de l’Etat, en minimisant son soutien à la reproduction des ménages dans le cadre des restructurations économiques, tant dans les pays en développement que dans les économies les plus avancées de la région, ont conduit à la privatisation et à la marchandisation du travail du soin et à l’intensification du travail des femmes au sein des familles
 »

Il aurait été intéressant de mettre en parallèle la situation en Corée du Sud et au Japon, le refus de jeunes femmes de se plier aux normes sociales, leur refus du mariage et de l’enfantement. Une manière spécifique de contourner des normes et des politiques qui les construisent ou les reproduisent, dans des pays où l’immigration est très faible…

Afrique. Dynamiques migratoires et genre en Afrique de l’ouest, une « voie (imaginée) vers l’age adulte », l’augmentation des responsabilités des femmes en matière d’approvisionnement, les envois de fonds, « La tendance générale est que les femmes envoient de l’argent à d’autres femmes et rarement à des hommes, tandis que les hommes envoient principalement de l’argent à d’autres hommes ainsi qu’à leurs mères, à leurs épouses et à leurs soeurs », les attentes déçues, « Les espoirs d’un séjour temporaire et fructueux se soldent souvent par une expérience décevante  », les migrations de retour et les réintégrations, la stigmatisation des femmes en situation de prostitution (L’honneur des hommes et des communautés entre les cuisses des femmes ! Sans oublier que si la prostitution semble avoir quelque chose à voir avec la sexualité des prostitueurs-putards, elle n’a rien voir avec celle des femmes), les mutations en cours.

J’ai notamment été intéressé par l’article sur les travailleuses domestiques au Liban, « La quasi-totalité des employées domestiques au Liban sont des migrantes. Tout au long de la chaine de la migration, elles sont exposées à des violences et à une absence d’accès à la justice. Tout particulièrement sous le système de la kafala, qui demeure la cause principale des injustices dont elles sont victimes. En dépit des difficultés, elles se sont autoorganisées et ont forgé des alliances décisives avec les organisations féministes libanaises ».

L’exclusion des dispositions protectrices du Code du travail, la vie au sein du foyer des employeurs, le contrôle des déplacements et de leur corps, la pauvreté comme élément déterminant de la migration, les courtiers, le travail forcé, les comparaisons avec l’esclavage, la dévalorisation sexiste du travail domestique, les passeports confisqués, la non-garantie des droits sexuels et reproductifs, les viols et le recours aux avortement illégaux, les violences sexuelles tout au long du parcours migratoire, le non respect des chartes de l’OIT et le déni du droit « à la défense et à un procès équitable », les alliances pour protéger les femmes migrantes.

Amérique afro-latino-indienne. La division sexuelle du travail et sa naturalisation, les demandes de travailleuses migrantes domestiques, les expériences des femmes et les doubles journées de travail, les politiques néolibérales et la domination du capital transnational, la féminisation du travail rural et «  la création d’une masse de travailleur·euses agricoles sans emploi », les migrations intrarurales « mouvements des zones d’agriculture de subsistance vers des zones de cultures technicisées et intensives  », les accords monétarisés entre femmes, les réseaux familiaux, l’imbrication des système de production et de reproduction, la sous-déclaration statistique et la moindre attention accordée par la recherche aux femmes.

Régimes de mobilité et ordre genré, tensions entre « le dangereux, l’interdit, le contrôle, l’appartenance, l’altérité, etc. », les violences sexuelles (dont le viol et son impunité) et la violence criminelle, les mobilités et « les principes de fermeture, d’enfermement et de confinement de la mobilité dans la mondialisation », les frontières et la naturalisation des différences qu’elles construisent, les réseaux de prostitution alimentant l’industrie du sexe, l’hyper sexualisation du corps de certaines femmes du Sud, la peur du viol et ses effets sur toutes les femmes, les politiques spécifiques nécessaires.

«  Rendre visible le régime de genre dans les politiques de migration et d’asile, et dévoiler ses articulations avec les stratégies patriarcales constituent des tâches indispensables si nous voulons éliminer la violence de la vie de toutes les femmes  »

Alternatives Sud : Migrations en tout « genre »
Centre tricontinental, Le monde des femmes, Editions Syllepse, Louvain-la-Neuve (Belgique), Paris 2023, 180 pages, 13 euros
https://www.syllepse.net/migrations-en-tout-genre–_r_22_i_1028.html

Didier Epsztajn

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