Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Environnement

Bataille Petrolia vs Gaspé

Same old bullshit

Un froid de connard souffle sur Québec. Pétrolia a gagné sa cause contre Gaspé. Un échec structurant pour la démocratie. La rhétorique friable de la compagnie satisfaite, voire dépendante, de cet échec ne laissera personne intact.

Tiré du site du journal Le Mouton noir.

Être pauvres a toujours forcé la majorité des Gaspésiens à utiliser ce qu’ils avaient sous la main pour survivre, à commencer par leurs précieuses sources d’eau potable. On leur demande aujourd’hui de renoncer aux liens avec ce qui assure encore en partie leur subsistance. On leur demande d’en venir, à terme, à se rappeler avec nostalgie d’une Gaspésie où leur cœur trouvait son accord. On leur « demande » d’être les victimes structurelles, c’est-à-dire socialement désignées, d’un processus d’accumulation du capital réalisé (et cela, quoi qu’on en dise) au seul profit de quelques ayants droit et détenteurs de capitaux.

Dans ce processus, les stratégies de reproduction sociale des Gaspésiens seront franchement mises à mal. Par-delà les seules conséquences environnementales de l’exploration et de l’exploitation des énergies fossiles en Gaspésie, ce qui est en jeu, c’est la confiscation des biens communs (à commencer par l’eau potable) en tant qu’élément déterminant de la marchandisation de la subsistance. Une confiscation qui aura pour conséquence l’approfondissement des inégalités sociales. En un mot : un affront à l’humain (en particulier, aux plus pauvres), à sa dignité, et à la vie en société.

Indignez-vous !

L’indignation : qualité originelle de l’âme selon le penseur des Lumières écossaises David Hume. En substance, la philosophe contemporaine Hannah Arendt ne dira pas autre chose en écrivant que l’homme est capable de politique et qu’il a besoin de politique pour devenir pleinement ce qu’il peut être. Trouver une raison de s’indigner, c’est donc trouver une raison d’être pleinement humain.

Les raisons de s’indigner peuvent cependant paraître plus diffuses aujourd’hui qu’à l’époque où l’évidence conduisait davantage la résistance. C’est du moins l’opinion portée par Stéphane Hessel, auteur de Indignez-vous !, un essai publié en 2010 chez Indigène (France). « Qui commande, qui décide ? » Ce sont là des questions posées par Hessel, alors qu’il reconnaît que, vivant dans une interconnectivité jamais égalée à ce jour, « il n’est pas toujours facile de distinguer entre tous les courants qui nous gouvernent ». Une vie entière suffirait-elle en effet à percer l’ensemble des contradictions de l’histoire ainsi que la nature même de la société de classes ?

L’indignation n’en est pas moins réservée à une élite intellectuelle, consacrant carrière à l’exploration des grands enjeux de l’histoire. Plusieurs situations ne demandant pas à être pleinement déconstruites pour provoquer l’indignation, cette qualité de l’âme humaine reste bien sûr, et par essence, à la portée de tous. La vie politique regorge de raisons de s’indigner, et l’exploration et l’exploitation des énergies fossiles font partie de ces situations concrètes autour desquelles bon nombre de citoyens tendent aujourd’hui à se mobiliser et à consacrer leur intuition d’injustice.

S’indigner… et après ?

L’indignation ne doit pas demeurer un concept uniquement intellectuel. L’action qui doit en résulter doit être conséquente et, surtout, collective. Et elle l’est de plus en plus. La contestation s’organise. La seule décision en faveur de Pétrolia a donné naissance à des manifestations autant à Gaspé qu’à Rimouski. La dépendance au pétrole a un visage, celui d’un Gaspésien. L’humain ou le capital ? L’écologie ou l’économie ? En théorie, sur papier, le choix est évident. Mais l’énergie fournie par le pétrole est nécessaire. Le pétrole non. Il y a d’autres avenues, à condition de s’indigner, à condition d’être prêts à des sacrifices.

Pour se montrer à la hauteur de leur indignation, certains violentent leurs habitudes de consommation individuelle ou collective. Ainsi, la résilience se pense. La résistance, elle, se forme. Un contre-discours est en cours d’écriture. Et les défis sont de taille ; l’écoconseil, qui sert présentement les intérêts de Pétrolia, a récemment contribué à « désarmer » le langage. Dans ce contexte, il appartiendra à la résistance (il nous appartiendra) de rendre les mots dangereux. Insupportables. Joyeusement, activement insupportables1.

Denis de Rougemont, Penser avec les mains, Éditions Albin Michel, 1936, 252 p.

Marc Simard

Collaborateur au journal Le Mouton noir (Québec).

Julie Francoeur

Collaboratrice au journal Le Mouton noir.

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