Édition du 16 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Élections québécoises 2012

Sortir, de toute urgence, la campagne de Québec solidaire de l’ornière péquiste

La majorité des cinq engagements de la campagne de Québec solidaire (Engagements électoraux, site web du parti) pourrait être reprise par le PQ. Pour ajouter l’injure à l’insulte, un des engagements joue le jeu du capital financier qui cherche, depuis la crise de 2007-2008, la caution de l’État. Last but not least, la liaison avec la lutte étudiante rate sa transformation en mouvement social.

Pourtant, plusieurs éléments de la plate-forme (Plate-forme, site web du parti), aussi insatisfaisante soit-elle à bien des égards (Mon article « Un regard sur le Congrès de Québec solidaire d’avril 2012 », ESSF, 30/04/12), permettent facilement de se démarquer du PQ, tout en gardant les cinq mêmes thèmes. Si Québec solidaire ne veut pas devenir un faire-valoir de gauche du PQ, en faisant comme si existait le pacte avec ce parti dont la chef péquiste n’a pas voulu, il est plus que temps de faire un virage encore possible. À moins que le réel objectif de la direction de Québec solidaire soit de se laisser porter par le dit « vote stratégique » du « Débarrassons-nous des Libéraux » propre au système uninominal à un tour, ce qui donnerait, au mieux, deux et seulement deux député-e-s sur 125.

Debout pour notre pays

Le PQ est d’accord :
« Nous avons rendez-vous avec la liberté et avec le pays que portent depuis si longtemps nos espoirs. » (Dans le premier paragraphe du programme)
Par contre, le PQ, dans son programme, jamais n’emploie le vocable « indépendance » sauf dans le sens restreint d’« indépendance énergétique ».

Dans le dictionnaire politique québécois, qui n’est pas le Petit Robert, « séparatisme » employé par les fédéralistes les plus chauvins signifie anti canadien, autarcie et nationalisme étroit anti-anglais et anti autres nationalités ; « souverainisme », employé à la fois par le PQ et par Québec solidaire, signifie le droit souverain du peuple de choisir entre diverses options constitutionnelles dont l’indépendance mais pas nécessairement l’indépendance ; « pays », employé tant par les indépendantistes, les souverainistes que les fédéralistes non chauvins, signifie la reconnaissance nationale du Québec, comme dans les « Pays basque », mais non nécessairement la reconnaissance de la nécessité étatique, c’est-à-dire d’un pays indépendant. Seul le vocable « indépendance » signifie le but de la lutte du peuple québécois pour sa libération nationale et sociale, soit un État québécois.

Suite à une discussion épique lors de son premier congrès sur son programme, Québec solidaire a choisi à sa manière ambiguë d’employer les deux vocables « souveraineté » et « indépendance ». Croyez-le ou non, pas plus que le PQ, ni d’ailleurs qu’Option nationale (Plate-forme et Argumentaire), Québec solidaire ne se réfère à l’indépendance dans sa plate-forme ! Voilà que ce vocable est devenu un terme maudit. Ou est-ce la dynamique de libération, une dynamique de la rue, que l’indépendance sous tend, qui a été jetée aux orties ?

On dit qu’il y trop de partis indépendantistes se divisant le vote. Y en a-t-il seulement un ? Tous utilisent le fleurdelisé ou sa couleur bleu, le drapeau royaliste français choisi par l’Union nationale de Duplessis comme drapeau de la province fédérale du Québec. C’est le seul symbole significatif que l’on retrouve sur les affiches électorales de Québec solidaire. Disparu la drapeau tricolore des patriotes de 1837-38 dont l’Union des forces progressistes, prédécesseur de Québec solidaire, avait retenu les couleurs verte, blanche et rouge. Que dire de la couleur orange du NPD pro-Canada retenu par Québec solidaire pour son site web ?

Debout pour l’indépendance !

Debout pour les transports électriques

Le PQ est d’accord :
« …il faut réduire le recours à l’automobile en solitaire, accroître substantiellement la part des transports collectifs et actifs (marche, bicyclette, etc.), […] Favoriser l’électrification des flottes publiques et commerciales de véhicules de même que des lignes ferroviaires lorsque cela s’avère possible et mettra progressivement en place les infrastructures nécessaires au déploiement des transports électriques sur le territoire. » (« Agir en toute liberté » : le programme du Parti Québécois)

Si bénéfique soit l’électrification du transport public, elle ne s’adresse pas directement aux besoins populaires immédiats, particulièrement à Montréal, en termes d’une augmentation drastique et rapide de l’élargissement, de la fréquence et de la qualité du service de même que de son coût direct aux usagers. Pourtant la plate-forme de Québec solidaire y voit :

« développera un vaste plan de transport collectif à l’échelle du Québec, dont les objectifs prioritaires seront :
I d’atteindre nos cibles de réduction de gaz à effet de serre ;
II d’augmenter le transport collectif dans les grands centres ;
III d’électrifier progressivement l’ensemble du réseau ;
IV d’assurer l’accessibilité financière du transport en commun partout et de viser la gratuité dans un horizon de 10 ans ; »

La démarcation essentielle d’avec le PQ, et du même coup pour l’adhésion populaire, c’est la gratuité sur dix ans laquelle créera une augmentation substantielle de la demande à laquelle l’État devra répondre sous peine de révolte populaire.

Debout pour le transport collectif gratuit sur 10 ans

Debout pour nos ressources naturelles

Le PQ est d’accord :
Ainsi, un gouvernement du Parti Québécois augmentera les redevances sur les ressources naturelles en fixant une redevance minimale basée sur le revenu brut tout comme cela se fait dans de nombreux pays. Nous allons également instaurer un impôt sur les profits excédentaires des compagnies minières afin de s’assurer d’un partage plus équitable de notre richesse collective.
Un gouvernement du Parti Québécois entend voir à ce que l’État prenne une participation à la propriété de certains projets stratégiques et entend également s’assurer d’un maximum de transformation de nos ressources au Québec.

La plate-forme de Québec solidaire, en plus de réclamer davantage de redevances et la transformation des ressources au Québec, se distingue du PQ par l’élément crucial de la nationalisation ou de la participation majoritaire :
« Québec solidaire permettra au Québec de se réapproprier ses ressources, et à cet effet :
A. nationalisera les ressources stratégiques pour lesquelles le Québec dispose des connaissances techniques d’exploitation, particulièrement certaines matières premières et les ressources du domaine de l’énergie ;
B. établira avec l’exploitant des autres ressources un partenariat majoritaire comportant deux conditions : le transfert de la technologie et la formation de la main-d’œuvre ; »

Ou bien on abandonne nos ressources la plupart du temps à des transnationales en grande majorité non québécoises, qui décident du rythme de développement et de l’allocation des profits, ou bien le peuple du Québec se les réapproprie. Jusqu’ici, la question des nationalisations a été laissée à Option nationale (Option nationale : une campagne par le prisme de la souveraineté, Radio-Canada, 2/08/12).

Debout pour la nationalisation de nos ressources naturelles

Debout pour des retraites dignes

Passons sur la formule creuse. Le PQ est d’accord. Il…
« Révisera les politiques et les régimes de rente pour assurer des revenus décents à l’ensemble des futurs retraités ; »
Sur le comment, Québec solidaire se démarque du PQ pour plutôt suivre la voie de la Fédération des travailleuses et des travailleurs du Québec (FTQ) en la bonifiant. Alors que le PQ…
« Prendra des mesures pour que tout régime de retraite des travailleurs et travailleuses du Québec soit protégé en s’assurant que les employeurs déposent dans des comptes en fidéicommis les sommes dévolues à cet effet et qu’elles soient insaisissables lors de vente ou de faillite… »

la FTQ propose…
« l’amélioration du Régime des rentes du Québec, sur une base capitalisée, pour faire passer le taux de remplacement de 25 à 50 % » [à 60% pour Québec solidaire tout en l’étendant aux travailleurs-euses autonomes et au travail invisible des femmes] (Mémoire de la FTQ au Comité sur l’avenir des régimes complémentaires de retraite, février 2012)

Il y a moins de différences qu’il n’y paraît entre la solution FTQ-QS et celle du PQ. Toutes ont recours à des fonds capitalisés garantis par l’État, directement dans le premier cas, indirectement pour le deuxième. Rien d’étonnant pour le PQ qui favorise l’interventionnisme étatique pour construire le capitalisme québécois à qui il faut bien un cœur financier solide. Ni non plus pour la direction de la FTQ, alliée du PQ, dont le prétendu « Fonds de solidarité », un fonds de capital de risque milliardaire grassement subventionné par l’État, sert de politique économique sans compter sa cogestion, avec les autres fédérations syndicales, le patronat et l’État, de la Caisse de dépôts et de placement du Québec (CDPQ).

Mais que fait Québec solidaire dans cette galère en proposant une garantie étatique mur à mur à des fonds capitalisés qui devront être plus que doublés à même la contribution accrue, en partie, des employés à même leur salaire direct, et une autre sur la masse salariale (la part de l’employeur). Quel beau cadeau au capital financier dont la tactique depuis la crise de 2007-2008 consiste à se regonfler à bloc sur le dos du prolétariat tant comme salarié que comme contribuable et bénéficiaire de services publics. C’est comme si les déboires de la CDPQ durant la crise 2007-2008 n’avaient jamais existé ou qu’ils ne seraient dus qu’à la mauvaise gestion d’un président plus spéculateur que les autres. Pourtant tous les fonds de pension, sans exception, ont écopé.

Avec Québec solidaire, l’État se couvre du voile de l’intérêt des travailleurs-ses pour voler au secours du capital financier. Il n’y a pas d’alternatives ? Que fait-on de la proposition de bonifier et de transformer le régime fédéral de la sécurité de la vieillesse, un régime directement financé par la fiscalité dont le financement est progressiste dans le mesure où le régime fiscal l’est. Mais ce n’est ni dans la plate-forme ni dans le programme. À court terme, il faut donc braquer les phares sur une autre mesure de distribution du revenu visant particulièrement le monde du travail :
« Québec solidaire augmentera le salaire minimum pour que le salaire avant impôt d’une personne seule travaillant à temps plein corresponde au seuil de faible revenu*, puis l’indexera annuellement au coût de la vie.
« * Par ex. pour une semaine de travail de 40h, le salaire minimum passerait de 9,90 $ à 11,72 $ et, pour une semaine de travail de 35h, le salaire minimum passerait à 13,37 $. »
En supposant héroïquement que la semaine effective de travail plein temps soit plus ou moins de 37.5 heures :

Debout pour un salaire minimum indexé à 12.50 $ l’heure

Debout pour une éducation gratuite

Là le PQ est déculotté, mais non pas Option nationale, ce qui prouve la sensibilité de Québec solidaire aux luttes sociales mais aussi la part relativement importante de la jeunesse étudiante tant dans son électorat que chez ses membres et l’influence du modèle du capitalisme scandinave pour qui l’éducation de la jeunesse et la formation des travailleurs-ses sont des moyens de renforcement de la compétitivité du capital national. Mais pourquoi ne pas employer le vocable populaire de « gratuité scolaire » et ne pas être précis en spécifiant que la gratuité proposée va de la maternelle à l’université.

Reste que la lutte étudiante s’est développée en lutte sociale ce dont a pris acte l’ensemble des fédérations étudiantes même si seulement la CLASSE comprend cette transformation comme signifiant l’appel à la grève sociale (Gabriel Nadeau-Dubois, porte-parole homme de la CLASSE, Pour un front commun de lutte en opposition au néolibéralisme et au principe utilisateur-payeur, Presse-toi-à-gauche, 12/06/12), tout comme la majorité des militant-e-s des syndicats (René Charest, C’est le temps de faire du syndicalisme autrement !, Presse-toi-à-gauche, 15/05/12) et la nouvelle nébuleuse des associations populaires autonomes de quartiers et de villages (GRIP-Concordia, Les assemblées populaires et autonomes de quartier (APAQS), Presse-toi-à-gauche, 31/07/12) issues des concerts de casseroles toujours bien vivants comme l’a démontré la centième édition le jour même du déclenchement de la campagne électorale (Valérian Mazataud, 100e manifestation nocturne à Montréal - Place aux casseroles électorales, Le Devoir, 2/08/12).

Québec solidaire n’est-il pas le parti de ce Québec militant et manifestant ? Il est vrai qu’il n’est pas question de grève sociale dans la plate-forme et que, lors du congrès de Québec solidaire de la fin avril alors que la lutte étudiante se transformait en lutte antilibérale, les militant-e-s de l’Intersyndicale de Québec solidaire ont opté pour le silence sur la question au nom de l’unité du parti derrière les positions de la direction nationale. Ce n’est pas une raison d’amplifier une grave erreur alors que le développement de la conjoncture appelle à la corriger. Il en va de la crédibilité de Québec solidaire dans cette élection, comme parti de la rue, et peut-être même de sa performance électorale. Que signifie, à l’heure actuelle, le slogan « Debout » ? Se réduit-il à aller voter pour Québec solidaire ?

Debout pour la gratuité scolaire de la maternelle à l’université

Debout pour la grève sociale !

Marc Bonhomme, 5 août 2012
bonmarc@videotron.ca ; www.marcbonhomme.com

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