Édition du 11 novembre 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Le mouvement des femmes dans le monde

Tribune féministe internationale contre l’instrumentalisation du discours pacifiste au service du statu quo colonial en Palestine, et pour le boycott du Forum Mondial des Femmes pour la Paix

Nous, militantes et organisations féministes, dénonçons et appelons au boycott international du
Forum Mondial des Femmes pour la Paix, organisé par le mouvement Guerrières de la Paix les 19 et 20
septembre à Essaouira, au Maroc.

(Essaouira, 19–20 septembre)

Créé en France en 2022, Guerrières de la Paix se présente comme un collectif de femmes juives et musulmanes « pour la paix, la justice et l’égalité ». Depuis le déclenchement de la guerre génocidaire menée par Israël contre Gaza, il déploie une intense propagande qui instrumentalise une rhétorique humaniste pour défendre le statu quo colonial. Sa mise en avant par les médias dominants – notamment en France – contribue à marginaliser les voix qui dénoncent le génocide.

Dans son discours, le collectif met sur un même plan l’État sioniste et la résistance palestinienne, réduisant la réalité coloniale à un « conflit » symétrique entre deux camps. Selon sa fondatrice Hanna Assouline, « il va falloir panser de nombreuses plaies, être capables de pardonner. La liberté et la sécurité des deux peuples sont interdépendantes » (Sud-Ouest Dimanche, 10 novembre 2024). Une telle vision nie l’asymétrie entre une puissance coloniale d’occupation et un peuple opprimé qui lutte pour sa survie et sa dignité. Alors qu’Israël intensifie son oensive pour imposer l’occupation totale de Gaza et poursuivre la colonisation en Cisjordanie, Guerrières de la Paix réduit cette violence structurelle à la seule politique du gouvernement Netanyahou, sans remettre en cause le sionisme comme projet colonial génocidaire.

Le collectif, qui prétend incarner une voix nuancée, renvoie pourtant dos à dos les soutiens des massacres commis par Israël et le mouvement de solidarité internationale avec le peuple palestinien qui réclame une fin au génocide.

Guerrières de la Paix en appelle à la « responsabilité des femmes » et au « rapport pragmatique qu’elles ont à la vie et à l’engagement » pour mettre fin au « conflit ». La sororité, érigée en socle du mouvement féministe, est ainsi convoquée pour exiger que les femmes israéliennes et palestiniennes refusent toute assignation à un camp et agissent main dans la main. Ce narratif est d’ailleurs mis en scène lors de mobilisations comme à Paris ou à Cannes, où des femmes juives et arabes se sont réunies derrière des slogans humanistes volontairement vagues et consensuels qui occultent les massacres quotidiens infligés depuis près de deux ans au peuple palestinien par l’armée d’occupation israélienne, touchant de manière disproportionnée les femmes et les enfants.

Un tel discours efface également le rôle décisif joué par les femmes dans les luttes de libération nationale, y compris dans la résistance palestinienne. Il s’inscrit dans la continuité de l’instrumentalisation du féminisme par les puissances impérialistes, qui l’utilisent pour légitimer leurs guerres coloniales et diviser les peuples opprimés.

Ce féminisme pacifiste incarné par les Guerrières de la Paix, qui trouve un large écho dans les médias et auprès de certaines élites politiques, économiques et culturelles en Occident et dans le monde arabe, met en avant la résolution 1325 adoptée par l’ONU en 2000 qui promeut une participation accrue des femmes dans les processus de paix, comme aime à le rappeler Hanna Assouline. Mais pour le collectif, le recours au droit international est sélectif : les droits que l’ONU reconnait au peuple palestinien — autodétermination, droit au retour, légitimité de la lutte armée — sont niés, et la résistance assimilée au terrorisme. Par ailleurs, l’organisation refuse de parler de génocide malgré les constats de l’ONU et de la Cour Internationale de Justice, préférant utiliser un langage édulcoré pour qualifier la barbarie israélienne.

En mai 2025, le collectif a accompagné une délégation de députés français au Sommet pour la Paix à Jérusalem, organisé par des ONG israéliennes, alors que plusieurs élu·es français·es et européen·nes s’étaient vu interdire l’entrée en Israël en raison de leur critique du gouvernement Netanyahou et de sa politique. Tandis que la bande de Gaza traversait une crise humanitaire extrême, les discours du Sommet appelaient à la paix et à la reconnaissance de l’État palestinien, dans des termes aux contours flous. Les interventions les plus concrètes furent celles du président Emmanuel Macron (par message vidéo) et du tandem Ehud Olmert, ex-Premier ministre israélien qui a mené la guerre contre le Liban, et Nasser Al-Kidwa, ancien ministre des Affaires étrangères de l’Autorité palestinienne : reconnaissance d’un Etat palestinien, mais dans des conditions qui en font de facto un État vassalisé.

En août 2025, le collectif a promu des rassemblements organisés récemment à Beit Jala en Cisjordanie contre la famine à Gaza, réunissant Israélien·nes et Palestinien·nes. En présentant ces mobilisations comme porteuses d’espoir et en contribuant à invisibiliser le fait qu’Israël a annoncé, quelques mois plus tôt, le développement de nouvelles colonies dans la région de Beit Jala, le collectif participe de fait au blanchiment de crimes coloniaux.

La stratégie des Guerrières de la Paix est claire : dépolitiser la solidarité internationale pour la réduire à sa dimension humanitaire et évacuer la question centrale, à savoir la libération de la Palestine. L’organisation du Forum mondial des Femmes pour la Paix à Essaouira s’inscrit dans cette même logique de légitimation d’Israël et de promotion de la normalisation de ses relations avec les régimes arabes, malgré le rejet massif des peuples de la région.

Présenté comme un rassemblement international de militantes israéliennes, palestiniennes, iraniennes, afghanes, marocaines et autres, ce forum ambitionne de lancer un « appel international des femmes pour la paix ». En réalité, il cherche à imposer un « nouveau narratif de paix  » visant à neutraliser la mobilisation féministe internationale, aujourd’hui fortement engagée aux côtés du peuple palestinien dans une tradition anti-impérialiste et internationaliste.

En tant que féministes, nous dénonçons avec force l’instrumentalisation de nos luttes pour blanchir les crimes commis par l’État colonial israélien. Nous affirmons haut et fort : la Palestine est une lutte féministe. C’est pourquoi nous rejetons toute rhétorique de paix qui ne s’accompagne pas d’un soutien clair et explicite au mouvement de libération du peuple palestinien.

Pas de paix sans justice, pas de justice sans libération de la Palestine.

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