Édition du 28 octobre 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Israël - Palestine

Trois détenus palestiniens sur quatre sont des civils, selon l’armée israélienne elle-même

Les 6 000 Palestiniens arrêtés à Gaza et détenus dans des conditions épouvantables dans les prisons israéliennes ne sont en rien considérés, dans leur grande majorité, comme des « combattants », révèle une enquête de notre partenaire +972 Magazine réalisée avec Local Call et le « Guardian ».

Tiré d’Europe solidaire sans frontière.

Seulement un quart des Palestinien·nes capturé·es par les forces israéliennes à Gaza ont été identifié·es par l’armée comme des combattant·es. Les civils constituent la grande majorité des « combattants illégaux » détenus dans les prisons israéliennes depuis le 7-Octobre, révèle une enquête conjointe du magazine israélo-palestinien +972, du journal en hébreu Local Call et du journal britannique The Guardian, publiée le 4 septembre.

C’est ce qui ressort des chiffres obtenus à partir d’une base de données classifiée gérée par la Direction du renseignement militaire israélien (Aman, selon son acronyme hébreu), ainsi que des statistiques officielles israéliennes sur les prisons divulguées lors de procédures judiciaires. Les témoignages d’ancien·nes détenu·es palestinien·nes et de soldat·es israélien·nes ayant servi dans des centres de détention indiquent en outre qu’Israël a sciemment et massivement enlevé des civils pour les détenir pendant de longues périodes dans des conditions effroyables.

Les chiffres de détention cités par l’État israélien en mai, en réponse aux requêtes de la Haute Cour de justice, ont révélé qu’un total de 6 000 Palestinien·nes avaient été arrêté·es à Gaza au cours des dix-neuf premiers mois de la guerre et détenu·es en Israël en vertu d’une loi sur l’incarcération des « combattants illégaux » – un outil juridique qui permet à Israël d’emprisonner des personnes indéfiniment, sans inculpation ni procès, s’il existe des « motifs raisonnables » de croire qu’elles ont participé ou sont membres d’un groupe qui a participé à des « activités hostiles contre l’État d’Israël ».

Les responsables politiques, l’armée et les médias israéliens qualifient régulièrement de « terroristes » tou·tes les détenu·es palestinien·nes de Gaza, et le gouvernement n’a jamais reconnu détenir de civils. L’administration pénitentiaire israélienne (IPS) a affirmé dans des rapports publics, sans fournir de preuves, que la quasi-totalité des « combattants illégaux » détenus dans les prisons israéliennes étaient membres du Hamas ou du Jihad islamique palestinien (JIP).

Pourtant, des données obtenues mi-mai dans la base de données d’Aman, que des sources de renseignement décrivent comme la seule source fiable pour savoir qui l’armée considère comme des combattants actifs à Gaza, ont montré qu’Israël n’a arrêté que 1 450 individus appartenant aux branches militaires du Hamas et du JIP, ce qui signifie que les trois quarts des 6 000 personnes détenues n’appartenaient ni à l’un ni à l’autre.

Une base de données de plus de 47 000 noms

La base de données, dont l’existence a été récemment révélée par +972, Local Call et le Guardian, recense les noms de 47 653 Palestinien·nes que l’armée considère comme des militant·es du Hamas et du Jihad islamique palestinien (elle est régulièrement mise à jour et inclut les personnes recrutées après le 7-Octobre). À la mi-mai, Israël avait arrêté environ 950 combattants du Hamas et 500 du Jihad islamique palestinien, selon ces données.

La base de données ne contient aucune information sur les membres d’autres groupes armés à Gaza, qui, selon les rapports de l’IPS, représentent moins de 2 % des détenus « combattants illégaux ». Jusqu’à 300 Palestiniens sont par ailleurs détenus en Israël, accusés d’avoir participé aux attaques du 7-Octobre ; ils ne sont pas définis comme des « combattants illégaux » mais comme des détenus criminels, Israël affirmant disposer de suffisamment de preuves pour les poursuivre.

+972, Local Call et le Guardian ont obtenu les données chiffrées de la base de données sans les noms des personnes répertoriées ni les renseignements censés les incriminer – dont la fiabilité est elle-même remise en question par les allégations peu convaincantes portées contre des personnes comme Anas al-Sharif, le journaliste d’Al Jazeera assassiné en août.

Au cours de la guerre, en partie à cause de la forte surpopulation carcérale, Israël a libéré plus de 2 500 prisonniers qu’il avait qualifiés de « combattants illégaux », laissant entendre qu’il ne les considérait pas comme de véritables militants. 1 050 autres ont été libérés dans le cadre d’échanges de prisonniers convenus entre Israël et le Hamas.

Les groupes de défense des droits humains et les soldats israéliens ont décrit une proportion de combattants encore plus faible parmi les personnes arrêtées à Gaza que ce qui ressort des données divulguées. En décembre 2023, lorsque des photos de dizaines de Palestiniens déshabillés et enchaînés ont suscité l’indignation internationale, des officiers supérieurs ont admis auprès du journal Haaretz que « 85 à 90 % » d’entre eux n’étaient pas membres du Hamas.

  1. Dans de nombreux cas, l’affiliation politique à une faction palestinienne suffit à Israël pour qualifier une personne de combattante.
  2. - Samir Zaqout, directeur adjoint du Centre Al Mezan pour les droits humains

Le Centre Al Mezan pour les droits humains, basé à Gaza, a représenté des centaines de civils détenus dans les prisons israéliennes. Son travail « met en évidence une campagne systématique de détentions arbitraires ciblant les Palestiniens sans discrimination, quelle que soit l’infraction présumée », explique Samir Zaqout, le directeur adjoint de l’ONG.

Selon lui, « un détenu sur six ou sept au maximum pourrait avoir un lien avec le Hamas ou d’autres factions militantes, et même dans ce cas, pas nécessairement par l’intermédiaire de leurs branches militaires. Dans de nombreux cas, l’affiliation politique à une faction palestinienne suffit à Israël pour qualifier une personne de combattante ».

Les Palestinien·nes libéré·es des centres de détention militaires et des prisons de l’IPS au cours de la guerre ont témoigné de conditions de détention extrêmement difficiles, notamment de mauvais traitements et de tortures systématiques. En raison de ces pratiques, des dizaines de personnes sont mortes en détention.

Contournement des procédures régulières

Promulguée en 2002, la loi sur l’incarcération des combattants illégaux a été conçue pour permettre à Israël de détenir des personnes en temps de guerre sans avoir à les reconnaître comme des prisonniers et prisonnières de guerre, ainsi que le prévoient les Conventions de Genève. Cette loi permet également à Israël de leur refuser l’accès à un·e avocat·e pendant une période pouvant aller jusqu’à soixante-quinze jours.

Les tribunaux israéliens prolongent la détention des Palestinien·nes de manière quasi automatique, en s’appuyant sur des « preuves secrètes » lors d’audiences qui ne durent que quelques minutes. Selon les données de l’organisation israélienne de défense des droits humains HaMoked, le service israélien de détention provisoire (SIP) détient actuellement environ 2 660 Gazaouis arrêtés après le 7-Octobre comme « combattants illégaux », soit le nombre le plus élevé jamais enregistré pendant la guerre.

Des organisations juridiques estiment que des centaines d’autres sont actuellement détenus dans des centres de détention militaires israéliens, avant d’être transférés dans les prisons du SIP (selon l’armée, le nombre total de « combattants illégaux » détenus dans les prisons et les centres de détention s’élevait en mai à 2 750).

« Si Israël devait traduire tous les détenus en justice, il devrait rédiger des actes d’accusation précis et présenter des preuves à l’appui de ces allégations, précise Jessica Montell, directrice de HaMoked. Les procédures régulières peuvent être lourdes. C’est pourquoi ils ont créé la loi sur les combattants illégaux, pour contourner tout cela. »

Cette loi, ajoute Montell, a facilité la « disparition forcée de centaines, voire de milliers de personnes », détenues de fait sans aucun contrôle extérieur.

« Vider » le camp de Khan Younès

Le fait que les trois quarts des personnes détenues comme « combattants illégaux » ne soient pas considérées, dans les registres de l’armée, comme appartenant aux branches armées du Hamas ou du Jihad islamique palestinien, « sape toute justification de leur détention », réagit Tal Steiner, directrice du Comité public contre la torture en Israël, dont les requêtes contre l’incarcération de masse ont incité l’État à fournir des données sur le nombre de personnes détenues depuis le 7-Octobre.

« Dès le début de la vague d’arrestations massives à Gaza en octobre 2023,détaille-t-elle, de vives inquiétudes ont été exprimées quant au fait que de nombreuses personnes non impliquées étaient détenues sans motif, poursuit Steiner. Cette inquiétude a été confirmée lorsque nous avons appris que la moitié des personnes arrêtées au début de la guerre avaient finalement été libérées, démontrant ainsi que leur détention était injustifiée. »

Un officier de l’armée israélienne ayant mené des opérations d’arrestations massives dans le camp de réfugié·es de Khan Younès a déclaré à +972, à Local Call et au Guardian que la mission de son unité était de « vider » le camp et de forcer ses habitant·es à fuir plus au sud. Dans le cadre de cette mission, les détenu·es étaient arrêté·es en masse et emmené·es dans des installations militaires où ils et elles étaient classé·es comme « combattants illégaux ».

« Tout le monde était emmené en de longs convois, sac sur la tête, vers la côte, à Al-Mawasi, a témoigné l’officier. [Ils étaient emmenés] vers ce que nous appelions un centre d’inspection, [où] les gens étaient contrôlés. Chaque nuit, ils chargeaient un camion ouvert avec des dizaines, des centaines d’hommes, les yeux bandés, ligotés, entassés les uns sur les autres. Chaque nuit, un camion comme celui-ci partait pour Israël. »

Maintenu en détention pendant une année entière, Ahmad Muhammad ignore à ce jour pourquoi.

L’officier s’est aperçu qu’aucune distinction n’était faite « entre un terroriste entré en Israël le 7-Octobre et un employé de la régie des eaux de Khan Younès », et que les arrestations, y compris de personnes mineures, étaient effectuées de manière arbitraire. « C’est inconcevable, a-t-il déclaré. On enlève un homme, un garçon, un jeune, de sa famille, et on l’envoie en Israël pour interrogatoire. S’il revient un jour, comment pourra-t-il les retrouver ? »

Originaire du camp de réfugié·es de Khan Younès, Ahmad Muhammad, 30 ans, coiffeur, qui précise bien n’appartenir à aucune faction, raconte avoir été contraint de suivre un de ces convois avec sa femme et leurs trois enfants le 7 janvier 2024. Au poste de contrôle, l’armée a annoncé par mégaphone que les hommes devaient s’arrêter, les identifiant à la couleur de leurs vêtements. « “Chemise bleue, reviens, reviens !”, m’a crié un soldat », se souvient-il.

Lui et un groupe d’hommes ont été séparés des autres. « Nous étions arrêtés au hasard, décrit-il. Chaque fois qu’un soldat s’approchait, il nous insultait, jusqu’à ce qu’un camion arrive et qu’on soit jetés à l’intérieur, entassés les uns sur les autres, profondément humiliés. »

Emmené à la prison du Néguev, Ahmad Muhammad a été interrogé sur les attaques du 7-Octobre. Il a dit aux soldats qu’il ne savait rien, mais ils l’ont maintenu en détention pendant une année entière. À ce jour, il ignore pourquoi. « J’ai vécu des jours difficiles en prison : la maladie, le froid, la torture, l’humiliation », explique-t-il.

Ahmad Muhammad a été libéré en janvier de cette année, dans le cadre de l’accord de cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, avec environ 2 000 autres prisonniers palestiniens, dont la moitié étaient détenus depuis le 7-Octobre en vertu de la loi sur les « combattants illégaux » et privés d’accès à un·e avocat·e ou à une procédure régulière depuis des mois.

Des patients et des médecins torturés

Plusieurs soldats ont confirmé à +972, à Local Call et au Guardian avoir été témoins de la détention massive de civils palestiniens dans des installations militaires israéliennes. Un soldat ayant servi au tristement célèbre centre de détention de Sde Teiman a rapporté qu’un complexe était surnommé « l’enclos gériatrique » car tous les détenus étaient âgés ou gravement blessés, certains étant directement sortis des hôpitaux de Gaza.

« Ils arrêtaient des masses de gens à l’hôpital indonésien [de Beit Lahiya], a-t-il témoigné. Ils amenaient des hommes en fauteuil roulant, des personnes amputées de leurs jambes ou qui ne pouvaient plus les utiliser. Je me souviens d’un homme de 75 ans, avec des moignons gravement infectés. J’ai toujours supposé que le prétexte invoqué pour arrêter les patients était qu’ils avaient peut-être vu les otages ou quelque chose comme ça. » Tous, a-t-il ajouté, étaient détenus dans « l’enclos gériatrique ».

Un autre soldat, commandant une équipe au début de la guerre, a déclaré que l’armée avait arrêté un patient septuagénaire à l’hôpital Al-Shifa de Gaza. « Il est arrivé attaché à un brancard. Il était diabétique, la jambe gangrenée et incapable de marcher. Il ne représentait aucun danger pour personne. » Cet homme a été transféré à Sde Teiman.

En plus de rassembler les civils blessés dans les hôpitaux de Gaza et de les emprisonner dans des centres de détention israéliens, Israël a arrêté des centaines de médecins qui les soignaient. Aujourd’hui, plus de 100 membres du personnel médical de Gaza sont toujours emprisonnés comme « combattants illégaux », selon l’ONG israélienne Physicians for Human Rights (PHRI, « Médecins pour les droits humains »), qui a publié en février un rapport compilant les témoignages de vingt médecins et de lanceurs d’alerte militaires décrivant des abus et des actes de torture.

  1. Ils nous ont enfoncé la tête dans le gravier […], nous ont sauvagement frappés à coups de matraque et nous ont électrocutés.
  2. - Le chef du service de chirurgie de l’hôpital indonésien de Beit Lahiya

Naji Abbas, de PHRI, a expliqué que leurs témoignages révélaient une pratique courante consistant à emprisonner des personnes pendant des mois après un simple et bref interrogatoire. Pour Abbas, cela contredit l’affirmation d’Israël selon laquelle ces détenus sont là parce qu’ils possèdent des renseignements précieux sur les otages israéliens détenus par le Hamas. Il considère leur détention comme faisant partie de l’attaque israélienne contre le système de santé de Gaza.

Dans un des témoignages recueillis par PHRI, un chirurgien de l’hôpital Nasser de Khan Younès décrit comment les soldats « s’asseyaient sur [eux], [leur] donnaient des coups de pied et [les] frappaient à coups de crosse de fusil ». Dans un autre témoignage, le chef du service de chirurgie de l’hôpital indonésien confie : « Ils nous ont enfoncé la tête dans le gravier, encore et encore, pendant quatre heures, nous ont sauvagement frappés à coups de matraque et nous ont électrocutés. »

Un troisième médecin rapporte avoir été battu jusqu’à ce que ses côtes soient brisées, tandis qu’un chirurgien de l’hôpital Al-Shifa décrit des détenus électrocutés et ajoute avoir entendu parler de prisonniers décédés des suites de ces blessures. « Sur le chemin du centre d’interrogatoire, ils m’ont dit qu’ils me couperaient les doigts parce que je suis dentiste », a témoigné un autre médecin auprès de PHRI.

Surpopulation carcérale

Les médecins qui ont témoigné auprès de PHRI étaient considérés comme des « combattants illégaux ». L’un de ces détenus, le Dr Adnan al-Bursh, chef du service d’orthopédie de l’hôpital Al-Shifa, est décédé en détention l’année dernière, après avoir été arrêté en décembre 2023. Selon sa famille, il a été torturé à mort. Un autre détenu, Iyad al-Rantisi, directeur d’un hôpital pour femmes à Gaza, est décédé l’année dernière dans un centre d’interrogatoire du Shin Bet.

De nombreux médecins palestiniens étaient emprisonnés dans le centre de détention militaire d’Anatot, selon un médecin israélien qui y travaillait. Il se souvient d’un pédiatre, menotté et les yeux bandés, qui l’avait supplié en anglais : « Nous sommes vos collègues. Pouvez-vous m’aider ? »

En juin 2024, Ronen Bar, alors directeur du Shin Bet, avait adressé une lettre au premier ministre Benyamin Nétanyahou pour l’avertir d’une crise de surpopulation carcérale : le nombre de personnes détenues dépassait les 21 000, alors que la capacité d’accueil n’était que de 14 500. Il écrivait que le traitement des prisonniers « frôlait la maltraitance », exposant les fonctionnaires de l’État à d’éventuelles poursuites pénales à l’étranger.

L’arrestation massive de médecins et d’autres civils semble aussi avoir été, au moins en partie, destinée à créer un levier pour les négociations sur les otages.

La dureté du traitement infligé aux détenu·es concorde avec les propos du ministre de la sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, qui avait déclaré l’année dernière que l’une de ses principales priorités était de « durcir les conditions » des prisonnières et prisonniers palestiniens, notamment en ne leur fournissant qu’une nourriture « minimale ». De nombreux civils gazaouis arrêtés et emprisonnés par les forces israéliennes ont raconté avoir été soumis à de graves maltraitances et à la torture.

Mais l’arrestation massive de médecins et d’autres civils semble aussi avoir été, au moins en partie, destinée à créer un levier pour les négociations sur les otages. Lorsque le directeur de l’hôpital Al-Shifa, Mohammed Abu Salmiya, a été libéré l’an dernier, le député Simcha Rothman, qui préside la commission de la Constitution, du droit et de la justice de la Knesset, a déploré que sa libération n’ait pas eu lieu « en échange d’otages ». Lors de la même réunion de la commission, le député Almog Cohen a déclaré qu’Israël avait manqué l’occasion de « s’emparer d’un symbole important à Gaza » pour conclure un accord.

« Nous avons continué à libérer des gens “gratuitement”, ce qui a mis [les soldats] en colère, a regretté un soldat stationné dans un centre de détention. [Les soldats] disaient : “Ils ne rendent pas d’otages, alors pourquoi les laisser partir ?” »

Fahamiya al-Khalidi, une octogénaire en prison

Peu de cas illustrent aussi clairement la cruauté arbitraire de la politique israélienne d’incarcération de masse que celui de Fahamiya al-Khalidi, arrêtée par des soldats dans une école du quartier de Zeitoun, à Gaza, le 9 décembre 2023.

Alors âgée de 82 ans, elle souffrait de la maladie d’Alzheimer et peinait à marcher seule. L’armée israélienne l’a néanmoins emmenée au centre de détention militaire d’Anatot, avant de la transférer le lendemain à la prison de Damon, dans le nord d’Israël, où elle a été incarcérée pendant six semaines. Un document de la prison révèle qu’elle était détenue en vertu de la loi sur les « combattants illégaux », confirmant ainsi des informations initialement publiées dans Haaretz début 2024.

Au départ, l’armée israélienne avait déclaré, en réponse à notre demande de renseignements, que Fahamiya al-Khalidi avait été arrêtée « afin d’exclure son implication dans le terrorisme », avant de changer de version et d’expliquer qu’elle avait été détenue « sur la base de renseignements spécifiques la concernant personnellement », ajoutant que « compte tenu de son état actuel, la détention n’était pas appropriée et résultait d’une erreur de jugement locale et isolée ».

Un médecin militaire en poste à Anatot a déclaré à +972, à Local Call et au Guardian avoir été appelé pour soigner Fahamiya al-Khalidi après son malaise, la première nuit suivant son arrivée. « Elle est tombée et s’est blessée, probablement à cause des barbelés, a-t-il raconté. Nous lui avons recousu la main en pleine nuit. » Des photos prises par le médecin, consultées par +972, Local Call et le Guardian, confirment sa présence à Anatot au moment où al-Khalidi y était détenue.

Al-Khalidi ne se souvenait plus de son âge et pensait être toujours à Gaza – pourtant, l’armée la considérait toujours comme une combattante. « Ils disent aux soldats que cette personne est une “combattante illégale”, ce qui équivaut à une terroriste,explique le médecin. Quand al-Khalidi est arrivée, je me souviens qu’elle boitait beaucoup vers la clinique. Et elle a été classée comme combattante illégale. La façon dont cette étiquette est utilisée est insensée. »

Al-Khalidi était l’une des quarante femmes que le soldat se souvient d’avoir vues à Anatot au cours de ses deux mois passés dans ce centre. « Une femme a fait une fausse couche. Les gardiens ont dit qu’elle saignait abondamment. Une autre femme, une mère allaitante amenée sans son bébé, voulait continuer à allaiter pour préserver son lait. »

Abeer Ghaban élevait seule ses trois enfants, âgés de 10, 9 et 7 ans. Après son arrestation, ils ont été livrés à eux-mêmes.

Abeer Ghaban, 40 ans, était déjà détenue à la prison de Damon à l’arrivée d’al-Khalidi. Elle a raconté que la femme âgée semblait effrayée et que son visage et ses mains étaient enflés. Au début, al-Khalidi a à peine parlé aux autres détenues, mais peu à peu, elles ont appris qu’elle avait fui lorsque l’armée israélienne avait menacé de bombarder son immeuble, et qu’elle avait ensuite été arrêtée.

Ghaban a raconté avoir passé des semaines à s’occuper de Fahamiya al-Khalidi pendant leur incarcération commune. « Nous la nourrissions de nos propres mains, se souvient-elle. Nous lui changions ses vêtements. Elle se déplaçait en fauteuil roulant. »

À un moment donné, a expliqué Abeer Ghaban, les gardiens de prison se sont moqués d’al-Khalidi jusqu’à ce qu’elle tente de s’enfuir, percute une clôture et se blesse.

Ghaban élevait seule depuis des années ses trois enfants, âgés de 10, 9 et 7 ans. Après son arrestation par des soldats israéliens à un poste de contrôle à Gaza en décembre 2023, ils ont été livrés à eux-mêmes. Lors de son interrogatoire, Ghaban a découvert que l’armée avait confondu son mari, un agriculteur, avec un membre du Hamas portant exactement le même nom. Un soldat a reconnu cette erreur après avoir comparé des photos, mais elle a été maintenue en prison pendant six semaines supplémentaires. L’inquiétude pour ses enfants l’a rongée.

Les deux femmes ont été libérées ensemble, en janvier 2024, sans explication. Ghaban a aidé al-Khalidi à contacter ses enfants qui vivent à l’étranger, et elle a retrouvé ses propres enfants mendiant dans la rue, méconnaissables. « Ils étaient vivants mais voir dans quel état ils étaient depuis cinquante-trois jours sans moi m’a brisée », a-t-elle confié.

Une journaliste a documenté le retour d’al-Khalidi à Rafah après sa libération. Désorientée et confuse, sans famille, toujours vêtue d’un pantalon de prison gris, elle ne se souvenait plus de la durée de sa détention. Elle a dit avoir été « emmenée à l’école » et avoir vécu « beaucoup d’épreuves ».

« Israël viole le droit international qui garantit les droits fondamentaux et n’autorise l’emprisonnement de civils que s’ils représentent une menace impérieuse pour la sécurité », condamne Michael Sfard, un des principaux avocats israéliens spécialisés dans la défense des droits humains.

« Les conditions de détention des Gazaouis en Israël sont, sans l’ombre d’un doute, contraires aux dispositions de la Quatrième Convention de Genève. La législation utilisée pour les détenir constitue également une violation flagrante du droit international », dénonce-t-il, soulignant que les violences, la privation de nourriture et le refus de visites de la Croix-Rouge et de communication avec les familles sont monnaie courante.

Directeur de l’association palestinienne de défense des droits humains Adalah, basée à Haïfa, Hassan Jabareen partage cet avis. « La loi sur les “combattants illégaux” vise à faciliter la détention massive de civils et les disparitions forcées, légalisant de fait l’enlèvement de Palestiniens de Gaza, déplore-t-il. Elle prive les détenus des protections garanties par le droit international, notamment celles spécifiquement destinées aux civils, et utilise l’étiquette de “combattant illégal” pour justifier le déni systématique de leurs droits. »

Yuval Abraham (+972 Magazine)

Yuval Abraham

Yuval Abraham est un journaliste et un activiste basé à Jérusalem.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par les responsables.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Sur le même thème : Israël - Palestine

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...