Édition du 9 avril 2024

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États-Unis

Un État policier pour notre voisin américain ?

Assiste-on en ce moment à la mise au rencart d’une des pierres angulaires de la Constitution américaine, le Bill of Rights, et par le fait même à l’inauguration d’un État policier aux Etats-Unis, avec la signature par le président Barack Obama du National Defense Authorization Act (NDAA) 2012, le 31 décembre dernier, en pleines festivités du nouvel an ? Et bien c’est la conclusion à laquelle arrivent certains observateurs de la scène politique américaine.

Rappelons que le NDAA est le nom générique d’une série de lois adoptée depuis 1953 par le gouvernement fédéral américain, chacune ayant cours pendant une année fiscale. Celles-ci servent à établir le budget et les dépenses du Département de la Défense des Etats-Unis, mais à définir aussi les pouvoirs qui sont octroyés aux forces armées.

Et si généralement, d’année en année, l’essentiel des dispositions concernant les pouvoirs de l’armée américaine sont reconduites, les attentats du 11 septembre 2001 ont vu une modification importante des droits accordés au pouvoir militaire. Mais voilà que les provisions pour l’année 2012 portent ces changements à un autre niveau. Et bien que les faucons de l’administration américaine tentent de tempérer ces jours-ci la portée réelle des modifications, ils sont de plus en plus à exprimer leurs réserves, et ce sur l’ensemble du spectre politique. Le juriste et chroniqueur Glenn Greenwald est l’un d’eux, lui qui a déboulonné sur le site Salon.com (1) certains des mythes entretenus par les défenseurs des nouvelles dispositions.

On veut entre autres nous faire croire que la nouvelle loi ne permet pas la détention indéfinie de suspects. Pourtant, la section 1021 – l’une des plus problématiques – est formelle : l’autorité du Président inclut le pouvoir par les forces armées américaines de détenir des suspects – ceux-ci étant définis comme tout individu qui est membre ou qui supporte substantiellement Al-Qaeda, les Talibans ou toutes forces associées qui sont engagées dans des hostilités avec les États-Unis ou des partenaires de sa coalition –, et ce selon la loi de la guerre, sans aucune forme de procès jusqu’à ce que prennent fin les hostilités. C’est la définition même d’une détention indéfinie. D’autant plus qu’avec la « guerre au terrorisme », difficile d’établir un horizon clair quant à la fin possible des hostilités. Bien que ce pouvoir était déjà implicite depuis les recommandations de 2001, c’est la première fois que ce principe est codifié aussi clairement. En fait, il faudrait remonter au maccarthisme du début des années 1950 pour trouver un équivalent, selon Greenwald.

Un deuxième point dont on tente de minimiser la portée du côté des autorités est le fait que le projet de loi n’élargirait pas le champ couvert par la guerre au terrorisme, tel que défini dans les provisions de 2001. Mais alors que le texte de 2001 référait spécifiquement aux attentats du 11 septembre et donnait le mandat à l’armée de tout mettre en œuvre pour en retracer et poursuivre les auteurs et leurs soutiens, voilà que le champ s’est considérablement élargi. C’est que le texte ajoute une toute nouvelle section afin de définir quels sont les suspects qui peuvent faire l’objet d’une arrestation et d’une détention, à savoir tout suspect tel que défini plus haut, mais incluant aussi toute personne qui a commis un acte belliqueux ou a directement soutenu de telles actions en aidant les forces ennemis. Voilà des termes plutôt vagues, à l’image de la définition du terrorisme telle qu’elle a été employée dans certaines lois anti-terroristes de par le monde – dont la canadienne – après le 11 septembre 2001. Une formulation qui vise clairement à étendre le champ d’action de la guerre au terrorisme, ce qui permet maintenant aux États-Unis d’opérer au Yemen ou en Somalie, où sont poursuivis pour leur soi-disant soutien à Al Qaeda des groupes qui n’existaient même pas au moment des attentats du 11 septembre.

Finalement, un dernier point qui porte à controverse, surtout pour les ressortissants étasuniens, on tente de faire croire que les citoyens américains sont exemptés des nouvelles dispositions. Or, il n’en est rien. Selon une lecture attentive du texte, Glen Greenwald en vient à la conclusion que les citoyens américains ne sont pas exemptés d’une possible détention militaire, mais simplement d’une exigence de détention militaire. La mesure devient en fait optionnelle et la décision d’y recourir repose entre les mains de l’armée. La possibilité existe donc maintenant bel et bien que le militaire puisse passer outre les lois internes garanties par la constitution américaine.

Les réserves sont en fait telles concernant cette loi que le président Obama lui-même – qui, rappelons-le, est un juriste de formation spécialisé en droit constitutionnel - s’est senti dans l’obligation d’exprimer ses préoccupations à l’égard de certaines dispositions contenues dans cette loi et a publié une déclaration signée officielle à cet effet. Il y mentionne vouloir tout mettre en œuvre pour s’assurer que les droits fondamentaux de ses concitoyens ne seront en aucun cas bafoués. Il s’est néanmoins justifié d’avoir à donner son aval au projet de loi controversé étant donnée la menace que constituerait Al Qaeda à la sécurité intérieure des Etats-Unis, une telle loi étant donc nécessaire afin de combattre le terrorisme. Cette mise en garde présidentielle, qui vise à garantir que certaines dispositions de la loi – notamment la section 1021, permettant la détention provisoire de personnes suspectes - n’entraveront en rien les droits fondamentaux des citoyens américains, n’a toutefois aucune force de loi, ont fait remarquer plusieurs observateurs. Nous sommes dans le registre des bonnes intentions et comme le soulignait l’American Civil Liberties Union, étant donné que l’État américain repose sur le principe de la loi et non des intentions personnelles des dirigeants, les promesses d’un président ne garantissent nullement qu’elles seront celles d’un prochain président. Dans ce contexte, la seule chose morale à faire pour le président aurait été d’imposer son veto au texte de loi et non simplement le signer en exprimant ses réserves. Il semble donc, en cette année d’élections présidentielles, que le président Obama entend vouloir montrer qu’il sait se faire ferme et résolu en matière de lutte au terrorisme.

Donc, un projet de loi qui peut paraître anodin et qu’une simple mesure administrative. Ils seront d’ailleurs surement plusieurs à dire que la mise en œuvre des dispositions controversées relèvera de l’exception et non la norme, comme on a pu le soutenir lors du bilan cet automne de l’application des lois anti-terroristes adoptées dans la foulée du 11 septembre. Il n’en demeure pas moins qu’une fois les outils en place, rien ne garantit qu’ils ne seront jamais utilisés. Et comme le soulignait l’analyste Ray McGovern sur le site ConsortiumNews.com (2), les juristes et historiens auront possiblement à se demander tôt ou tard si le National Defense Authorization Act de 2012 n’est pas la plus profonde brèche infligée à la Constitution américaine ou simplement qu’un autre affront aux principes fondateurs du pays, comme le furent en leur temps l’adoption des Alien et Sediton Acts lors de la guerre de 14-18 ou la mise en place du Cointelpro dans les années 1960 et 1970. Seul l’avenir nous le dira.


(1) http://www.salon.com/2011/12/16/three_myths_about_the_detention_bill/singleton/.

(2) http://consortiumnews.com/2012/01/04/a-betrayal-of-the-founders/.

David Murray

Journaliste citoyen et animateur radio à CISM

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