Édition du 26 mars 2024

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Libre-échange

Un pas de plus vers le libre-échange entre le Canada et l’Europe

Vendredi dernier était signé à Ottawa l’Accord économique et commercial global (AECG) par le premier ministre canadien Stephen Harper, le président du Conseil européen Herman Van Rompuy, ainsi que le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso. L’accord de libre-échange entre le Canada et l’Europe, en préparation depuis cinq ans, doit encore subir une révision juridique puis être traduit avant d’être ratifié par les chefs des gouvernements de l’Union européenne et approuvé par les provinces canadiennes.

En ce sens, « une route encore longue » comme le disait Éric Desrosiers dans Le Devoir nous sépare de l’entrée en vigueur officielle de cet accord qui couvre « le commerce des biens et services, les contrats publics, la durée des brevets pharmaceutiques, les produits agricoles, la mobilité de la main-d’œuvre, la culture, ainsi que la délicate question des obstacles au commerce que peuvent constituer les différences de normes et de règles. » Il n’est cependant pas trop tôt pour mesurer les effets d’un tel accord sur l’économie et la population canadiennes. Le Centre canadien de politiques alternatives (CCPA) publiait la semaine dernière une analyse du texte de l’accord dans laquelle elle met en lumière les aspects les plus préoccupants de l’accord, que nous reproduisons partiellement dans les lignes qui suivent.

 Au chapitre de l’investissement, la possibilité pour un État d’être poursuivi par une entreprise qui se sentirait lésée par une réglementation en vigueur dans le pays où elle souhaite investir est redoutée par plusieurs. Cette disposition entre en conflit avec la prérogative qu’ont les États d’adopter des lois visant à protéger l’intérêt public, par exemple en matière de protection de l’environnement.

 En matière de services financiers, l’accord permet aussi aux investisseurs de limiter la capacité des États à réguler l’activité financière, au détriment des consommateurs et de la stabilité de l’économie.

 L’accord libéralise les marchés d’approvisionnement publics. Il permet aux entreprises des pays signataires de participer aux appels d’offre publics portant sur l’octroi de biens et de services et sur la construction d’infrastructures publiques. Encore une fois, cette disposition empêche les États d’agir pour favoriser les entreprises locales et pourrait menacer plus particulièrement la vitalité économique des régions.

 Les services publics risquent de subir des pressions étant donné que les dispositions de l’accord s’appliquent à tous les domaines à part ceux qui ont été explicitement exclus. C’est la première fois que l’on adopte une telle approche, dite par « liste négative », dans le cadre d’un accord de libre-échange.

 L’accord limite la capacité de régulation des États en général. Par exemple, il les oblige à faciliter au maximum les procédures requises pour qu’une entreprise obtienne les permis nécessaires à la réalisation de ses activités.

 Il n’existe aucune exemption générale pour le domaine de la culture.

 Les changements en matière de brevet dans le domaine pharmaceutique feront augmenter le prix des médicaments pour les Canadiens et les Canadiennes.

 L’élimination de certaines barrières tarifaires devrait creuser le déficit commercial du Canada vis-à-vis de l’Europe. Le CCPA souligne aussi que l’accord risque d’augmenter la dépendance du Canada à l’égard des industries extractives, fragilisant davantage le secteur manufacturier.

 Tel que prévu, l’accord devrait augmenter considérablement les importations de fromages européens de notre côté de l’Atlantique, au détriment des producteurs canadiens. Le coût des semences devrait pour sa part augmenter étant donné que l’accord élargit les droits de propriété intellectuelle des multinationales œuvrant dans ce domaine, au détriment cette fois-ci de l’autonomie des agriculteurs.

 Le CCPA rajoute que l’AECG menace la souveraineté alimentaire canadienne puisqu’il peut par exemple empêcher les gouvernements de mettre en place des programmes d’achat local.

 L’accord augmente la mobilité de certaines catégories de travailleurs et de travailleuses, sans égard pour la stabilité des marchés de l’emploi nationaux, ni pour celles des droits de ces travailleurs.

 Le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États mentionné plus tôt aura nécessairement des effets néfastes sur la législation en matière environnementale, faisant craindre le pire pour la protection des écosystèmes.

 L’eau en tant que bien, ainsi que les services de distribution d’eau sont protégés, mais seulement de manière limitée, ce qui constitue de l’avis des analystes une autre source de préoccupation importante.

La synthèse du CCPA montre clairement que la libéralisation des économies nationales va se poursuivre sous l’égide de l’AECG. Rien n’indique que ce phénomène garantira une prospérité accrue pour les citoyens et les citoyennes des pays concernés. Par contre, il confirme une fois de plus le recul de la souveraineté politique au profit d’une régulation de l’économie par les marchés et les acteurs qui les dominent : les corporations multinationales.

Julia Posca

Doctorante en sociologie à l’UQAM et chercheuse associée à l’IRIS

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