Édition du 5 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Luttes syndicales

Vous ne croyez pas au père Noël ?

Moi non plus ! Cette magnifique victoire du mouvement ouvrier national et du Québec entier, il faut la célébrer aujourd’hui dans la concession finale des Libéraux fédéraux du Canada aux Chantiers Maritime Davie de Lévis.

En effet, pas plus tard qu’avant-hier, on apprenait aux nouvelles, la veille des Fêtes, que les Chantiers Davie seraient autorisés à soumissionner de nouveau sur des milliards de contrats du Plan de Construction Navale du Canada. Les Libéraux tentent de prendre le crédit de cette concession majeure du Canada au Québec en annonçant la construction des plus gros brise-glaces que le Canada n’ait jamais construits. Peut-être s’agira-t-il du Diefenbaker lui-même (Voyez la précédente position de l’Assemblée Nationale pour son rapatriement au Québec en 2016).

Mais moi, je pense que c’est plutôt à la mobilisation de la CSN, du Parti Québécois national et local, du Bloc Québécois et de toute une couche de la population de Chaudière Appalaches, en passant par les maires et les fournisseurs des Chantiers, qu’il faut attribuer cette victoire énorme pour les ouvriers et l’économie de toute la région.

Nos lettres aux lecteur-trice-s, la reproduction de nos articles dans l’aut’journal, nos incessants appels à la lutte sur tous les fronts, à l’Assemblée Nationale avec Amir Khadir ou au Conseil municipal de Lévis, tous nos comptes rendus sur le site du parti, nos nombreux efforts pour visiter les ouvriers et suivre leur lutte pas à pas dans l’actualité, l’enquête précieuse et motivante d’André Parizeau sur Seapan et Irving dès les premières annonces de la décision des Conservateurs en 2011, ... somme toute, nous n’avons rien ménagé pour soutenir cette lutte et faire reconnaître le caractère ouvrier du parti communiste.

Et nos adversaires ? Qu’ont-ils donc fait ?

Les Libéraux fédéraux ont ignoré, pendant chacune de leurs années d’opposition aux Conservateurs, et surtout pendant toutes celles où ils ont été au pouvoir, la revendication du PQ local et national d’avoir « notre juste part ». Ils ont levé le nez sur les demandes répétées de Michel Boudrias du Bloc Québécois à la Chambre des Communes. Ils ont renoncé à répondre, ne serait-ce que par une promesse quelconque, aux demandes multiples de l’Assemblée Nationale. C’était un lourd et pesant silence toutes ces années. De quoi désespérer d’Ottawa pour toujours. À peine mentionnaient-ils quelques réponses vagues, à la CSN qui se faisait insistante, comme si l’injustice provoquée par les Conservateurs n’existait tout simplement pas. Ils ne voulaient surtout pas déplaire à leur électorat des Maritimes et aux lobbys de Irving dans l’appareil d’État fédéral.

Ils n’ont daigné répondre aux appels de Michel Boudrias que par des commentaires évasifs, ne voulant surtout pas reconnaître le disfonctionnement total du Canada dans cette affaire qui ignorait 50 % de la capacité de construction navale du Canada concentrée au Québec. Décidément le fédéralisme est condamné à escamoter le développement économique du Québec et nous devrons sérieusement songer à nous en occuper nous-mêmes, soit en faisant intervenir notre État national, soit en devenant indépendants.

Sans le mouvement national mobilisé, sans la CSN et le syndicat local, la compagnie attendait sans doute le miracle des Libéraux. Mais ce miracle ne pas venait. Elle a refusé jusqu’à la fin de poursuivre le gouvernement fédéral, malgré la recommandation d’un avocat indépendantiste aux fournisseurs, comme un autre chantier l’a fait. Celui-ci a réussi à stopper la tentative des Libéraux de corriger l’erreur des Conservateurs juste avant les élections sous forme de promesse électorale. Ceux-ci, Gros-Jean comme devant, se sont écrasés à cause de cette poursuite. Ils ont retardé jusqu’à maintenant la restauration de la capacité des Chantiers Davie de soumissionner sur le Plan de Construction Navale du Canada.

Il a fallu vaincre les lobbys de Halifax et de Seapan qui empêchaient toute opportunité pour les Chantiers Davie, même « gavés de contrats », selon l’expression du sinistre Harper. Son député local n’était pas en reste. Steven Blaney, ré-élu, par on ne sait quel vice du processus électoral fédéral, au lieu de démissionner devant la provocation éhontée de son parti, a tenté de justifier sa décision d’exclure les Chantiers Davie par la soi-disant faillite de ceux-ci. Encore la veille des élections fédérales Gérard Deltell, un député conservateur de la région, disait qu’on « ne fait pas faire construire sa maison par un entrepreneur en faillite ». Ça résume bien le fédéralisme canadien. Quant l’intervention de l’État serait nécessaire, on la boycotte. Surtout pour le Québec. On lui préfère l’achat de pipeline pour sortir le pétrole de l’Ouest.

Malgré les aléas de la lutte et les tergiversations des Libéraux et du NPD, dont on a jamais entendu parlé de l’enquête qu’il devait faire à Vancouver, nous du parti communiste n’avons jamais désespéré, lançant appels sur appels sur notre site ou dans les journaux locaux. C’était trop gros. Le Bloc Québécois en est même venu à demander une enquête sur l’attribution de ces mirobolants contrats du siècle au Canada et la façon cavalière dont le Québec en avait été écarté.

Certains lèvent encore le nez sur ces contrats, prétextant qu’il nous faut encore nous mettre à genoux et quémander. Mais il s’agissait d’un « Bombardier naval » pour le Québec. Nous ne nous sommes pas humiliés. Nous avons réclamé la tête haute « notre juste part », comme disait le PQ, sans aucune concession au fédéralisme pour obtenir gain de cause. Les ouvriers étaient en avant, occupant tantôt le bureau de Jean-Yves Duclos, tantôt manifestant, avec l’appui du Conseil Central de la CSN, devant le Congrès du Parti Libéral à Québec. Anne Gingras, la présidente de ce Conseil Central, a interpellé Trudeau lors d’une de ses fameuses visites à Québec pour répondre aux questions du public. Il n’a manifesté qu’un vague intérêt du Canada pour les Chantiers comme le répétait son ministre du Québec Jean-Yves Duclos. Tout juste pour faire savoir qu’ils savaient, mais sans ne jamais trancher sur rien à faire de concret.

La CSN et le Bloc Québécois ont rencontré Trudeau qui n’a pas bougé pendant tout son mandat de quatre longues années où les ouvriers chômaient. Il a pourtant prétexté vouloir sauver des emplois en intervenant pour SNC-Lavalin, sans doute de meilleurs contributeurs au Parti Libéral du Canada. Mais les emplois à la Davie, on s’en foutait comme de l’an quarante à Ottawa. Il a fallu attendre les élections pour que les Libéraux fédéraux daignent aborder le problème de l’injustice profonde pour laquelle le PQ s’était rendu à Ottawa durant les élections québécoises. Rien non plus en réponse au PQ. Un silence méprisant et arrogant comme on sait le faire sinon pour contester la Loi 21.

Il faut croire que l’injustice et le mépris des monopoles canadiens et de leur gouvernement n’auront de fin que lors des négociations sur notre indépendance au moment de revendiquer de nation à nation sur une base d’égalité. En attendant, nous pouvons être fiers et heureux de la victoire des ouvriers de la Davie et de tout le Québec. Car il y a eu un moment où « toute la « classe politique » du Québec, sauf Trudeau », comme nous le disions dans un article à une étape cruciale de la lutte, se trouvait derrière les ouvriers et la Compagnie. Ça a été une lutte nationale comme on en connaît peu, exemplaire par l’unité et la détermination.

Syndicat national, partis politiques indépendantistes et autres, association des fournisseurs, maires de la région, ... et toute une population nouvellement gagnée à cesser toute critique des ouvriers comme « les assistés sociaux des gouvernements », se sont unis comme on le voit rarement derrière la Compagnie et le syndicat local. Si la Compagnie veut un exemple du soutien de la communauté, elle n’aura pas de meilleure preuve.

On doit apprendre de ces événements combatifs qui ont tant regroupé autant de gens et de autant de forces. C’était une lutte toute politique pour du travail, la dignité du travail, pour les familles des ouvriers, pour la région et le Québec tout entier. Le maire Lehoullier l’a reconnu à qui tout le monde doit une fière chandelle pour n’avoir jamais lâché. Anne Gingras a pris sa place, comme présidente de Conseil Central, toujours à l’offensive sur la question, ne laissant au fédéral aucune porte de sortie. Elle a écrit plusieurs lettres aux lecteur-trice-s que le journal local, Le Soleil, a reprises.

Est-ce que nous aurions pu perdre ? Le fédéralisme aurait-il pu montré plus d’intransigeance ? Je pense que oui. Des Conservateurs à nouveau portés au pouvoir auraient sans doute refusé de perdre la face pour le Québec dans l’Ouest et à Halifax. Ils l’auraient payé très cher en perte de confiance dans le Canada. Mais cela leur importait-t-il ? Ils étaient capables de maintenir leur désolante décision par entêtement, ne cédant que des miettes comme les Libéraux au début. Et on les aurait accusé de saboter 50 % de la capacité de la construction navale du Canada, même à Radio-Canada.

De leur côté, les Libéraux ne sont pas complètement imbéciles. Leurs calculs électoraux dans la région ont sans doute joué. Même le maire de Québec s’était prononcé pour la Davie. Mais il était inutile de prendre le risque d’une défaite amère. La mobilisation pour la bataille en valait la peine. Des milliards de contrats ne sont pas à dédaigner, même s’ils viennent du fédéral. Ils ont été valeureusement gagnés et de haute lutte. Elle s’est déroulée comme les Québécois peuvent en remporter quand ils s’unissent. Souhaitons que cela se reproduise dans d’autres circonstances où le Canada se montrera une autre fois hostile au Québec.

Guy Roy

l’auteur est membre du collectif PCQ de Québec solidaire à Lévis.

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