Édition du 23 avril 2024

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États-Unis

Aux États-Unis, une lutte exemplaire dans le mouvement syndical

En septembre 2009, j’assistais au congrès de l’AFL-CIO à Pittsburg. Une rumeur nous a alertés : Max Baucus, qui était président du comité sénatorial sur les finances, avait divulgué sa propre version du projet de loi démocrate sur l’assurance maladie.

The New Republic, 20 avril 2012,
Traduction, Alexandra Cyr,

Il contenait une lourde taxe sur les plans d’assurance maladie les plus chers, ceux dont bénéficient beaucoup de syndiquéEs. Il ne comportait pas d’obligation pour les employeurs de fournir d’assurance maladie à leur personnel comme le réclamaient les organisations syndicales. C’est Gerald McEntee, président de l’American Federation of State, County and Municipal Employees (AFSCME) qui a le mieux résumé la réaction des déléguéEs à cette nouvelle avec un refrain qui a envahit la salle : « Bullshit ! Bulllshit ! Bullshit !

Il ne s’agissait pas d’une simple expression de colère. Le mouvement syndical se devait de prouver qu’il était un acteur essentiel dans la lutte pour la réforme de l’assurance maladie. Aussi, dans les mois qui ont suivi ce congrès, il n’a pas ménagé ses efforts pour faire réviser cette version du projet de loi et en obtenir une qui soit plus proche de ses revendications. Au même moment, G. McEntee et ses syndicats allaient perdre sur un autre front : l’élection de mi-mandat de 2010 allaient amener au pouvoir une vague de gouverneurs républicains dans les législatures des États qui se sont mis immédiatement à casser les syndicats et leurs membres et singulièrement à ceux du secteur public dont l’AFSCME.

Aujourd’hui, certainEs membres, parmi le million quatre cents mille que compte cette fédération, la plus importante dans le pays, reprochent à leur président d’avoir mis trop d’énergie dans des batailles au niveau national et pas assez à protéger leurs intérêts dans les États et au niveau local. Maintenant qu’il va prendre sa retraite après trente ans à la tête de la fédération, ces critiques sont au centre du débat qui entoure son remplacement. Ce qui en sortira en juin pourrait avoir une influence majeure sur le résultat des élections présidentielles de 2012 et sur l’avenir des rapports du monde ouvrier avec le Parti Démocrate.

Le candidat désigné pour ce remplacement est Lee Saunders, fils d’un chauffeur d’autobus de Cleveland qui a fait carrière dans les quartiers généraux de l’AFSCME à Washington. S’il est élu, il sera le premier Afro-Américain à occuper un poste d’une telle importance dans l’histoire du mouvement ouvrier du pays. Mais, il fera face à une forte opposition : le candidat Danny Donohue siège à la tête du plus grand syndicat d’employéEs publics-ques de la ville de New-York. Il n’avait perdu que d’une courte tête en 2010 contre G.Saunders.

D. Donohue, qui avec son allure rabougrie ne déparerait pas dans un roman de William Kennedy, soutient que L. Saunders et d’autres dirigeantEs de l’AFSCME se sont bien trop concentrés sur la politique nationale laissant les membres dans les capitales des États à la merci de gens comme Scott Walker, le gouverneur conservateur du Wiskonsin qui, sitôt élu en 2010 s’est empressé de leur retirer leurs droits de négociation. D. Donohue m’a déclaré : « Lee Saunders a été le bras droit de Jerry McEntee pendant des années. Il ne va apporter rien de neuf. Quand la crise a éclaté, ils sont apparus, un chèque en main pour dire qu’ils étaient là. Mais ils auraientdû y être avant la crise. On ne peut pas faire face (aux politiciens républicains) quand ils ont pris une certaine avance. Nous voulons être impliquéEs dans les conseils de ville, les commissions scolaires, les courses aux mairies, pour que ces politiciens sachent que nous sommes sur le terrain et que nous agissons ». Il donne en exemple de la trop grande implication de la Fédération dans la politique nationale qu’elle a dépensé 950,000$ en Floride pour des publicités attaquant Mitt Romney avant la primaire dans cet État. Il aurait mieux valu investir cette somme dans le travail à la base dans les syndicats floridiens, entre autre en s’appuyant sur les nombreux-euses retraitées, ancienNEs syndiquéEs qui y vivent.

De son côté, Lee Saunders, début soixantaine qui peut, à l’occasion, s’éloigner de G. McEntee, rejette ce genre d’accusation. Il explique que la Fédération a longtemps cherché un équilibre entre les dépenses à chacun des niveaux et va continuer cette politique en consacrant 100,000$ au financement de ses interventions dans la prochaine campagne présidentielle. « Nous avons été capables de diffuser nos positions avec force. Nous devons avoir des rapports ici (avec des politicienNEs à Washington) Nous ne pouvons pas laisser tomber les actions au niveau national parce que cela a un effet direct dans les États et localement ». Il soutient que l’achat des publicités en Floride se défend parce que…« Romney va être le candidat républicain …et que vous devez l’affaiblir par toutes sortes de moyens ». Il admet que l’organisation a peut-être été un peu trop satisfaite d’elle-même au cours des dernières années. « Je ne dis pas que nous étions endormiEs mais peut-être que nous avons un peu somnolé ». Il n’est pas allé plus loin, mais a ajouté que L’AFSCME a beaucoup investit au niveau des États lors des élections de 2010, mais sans grand succès. La vague républicaine était trop forte. Et il insiste pour dire que personne n’avait anticipé que les attaques antisyndicales allaient être aussi féroces. « Je pense que personne au Wisconsin, ni nulle part ailleurs dans le pays, avait imaginé que le gouverneur (Walker) allait s’attaquer aux droits de négociation, plutôt qu’aux niveaux de salaires et aux avantages sociaux. En plus nous avons été impliqués dans la bataille pour le vote de rappel de ce gouverneur ». (…)

D’autres militantEs sur le terrain confirment cette opinion. Chris Mabe, à la direction du Ohio Civil Service Employees Association, qui a travaillé par référendum à l’échelle de l’État au renversement d’une loi antisyndicale, soutient que l’AFSCME « à toujours été sur le terrain, impliquée dans les enjeux locaux. Je ne me souviens pas que nous ayons manqué d’argent ou de quoi que ce soit ». Rich Abelson, dirigeant d’une des trois unités de l’AFSCME au Wiskonsin est du même avis mais n’est pas d’accord avec L. Saunders lorsqu’il prétend que personne ne pouvait prévoir l’ampleur des attaques antisyndicales. Il invoque le fait que S. Walker avait clairement rendu ses intentions publiques au cours de l’année où il avait fait campagne dans le comté de Milwaukee. « Nous n’avons pas du tout été pris par surprise lorsque c’est arrivé » déclare-t-il.

D. Donohue déclare qu’il va mobiliser les membres de l’organisation en faveur de la candidature de B. Obama, s’il est élu. Il semble bien toutefois, qu’un des plus riches syndicats de l’AFSCME ne soit pas prêt à dépenser beaucoup pour cette cause. Ce pourrait être le signe d’un changement dans les priorités du mouvement ouvrier organisé. Les contributions syndicales dans les campagnes des candidatEs démocrates sont sensiblement à la baisse en ce moment. Cela reflète l’appel du président de l’AFL-CIO, Richard Trumka à ne pas soutenir ceux et celles des candidatEs démocrates qui ne prennent pas en compte les revendications des syndiquéEs. Les syndicats ont été très critiques, lors de leurs congrès de 2009 et 2010, envers les représentantEs démocrates qui n’ont pas appuyé le projet de loi sur la vérification des cartes de membres (lors des votes pour la formation des syndicats, n.d.t.) qui aurait grandement facilité la syndicalisation. Ils ont aussi lourdement critiqué le Comité national démocrate pour avoir organisé le prochain grand rassemblement électoral de 2012 à Charlotte (Virginie), une ville dont les travailleurs-euses ne sont pas syndiquéEs. En conséquence, ils diminuent le nombre de déléguéEs qui y participeront ainsi que les sommes qui seront versées. Ils planifient un « contre rassemblement » un peu avant, à Philadelphie. Il y a quelques mois, une rencontre entre la présidente du Comité national démocrate, Debbie Wasserman Schultz et Ed Hill le dirigeant du syndicat des travailleurs-euses de l’électricité a tournée au vinaigre selon une de nos sources dans le milieu syndical. Ed Hill aurait rendu son rapport avec une certaine colère. Il aurait verbalisé ses préoccupations à Mme W. Schultz pour se faire répondre : « Personne ne tient compte de vous ».

Mais si quelques unEs dans le camp de L. Saunders disent que D. Donohue parle de se tenir à distance du comité démocrate et de son organisation de campagne, le New Yorker jure qu’il aurait plutôt déclaré : « Je ne veux pas devenir l’otage ou le serviteur d’aucun parti. Il arrive que nos amis du Parti Démocratique nous prennent pour acquis. Ils doivent apprendre à nous mériter ».

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