Édition du 23 avril 2024

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Asie/Proche-Orient

Cachemire une situation volatile à manipuler avec précaution

Une attaque de combattants pour l’indépendance du Cachemire occupé par l’Inde contre un convoi de forces de police paramilitaires indiennes, le 14 février à Pulwama, sur la route de Srinagar, a fait une quarantaine de morts parmi les policiers. L’émotion suscitée par cet acte en Inde est évidemment utilisée par tous ceux qui voient la main du Pakistan derrière les mouvements cachemiris, par les islamophobes et alimente la campagne pour les élections générales d’avril et mai prochains. Des voix se font cependant entendre en faveur d’une attitude raisonnée, comme celle de l’auteur de cet article, professeur et journaliste à Mumbai.-FG

Tiré de Tlaxcala.org
Traduit par Fausto Giudice

Même s’il est difficile de prévenir chaque attentat, il devrait y avoir une certaine capacité à obtenir des renseignements fiables.

La mort de plus de 44 policiers lors de l’attentat-suicide à la bombe à Pulwama la semaine dernière soulève de nombreuses questions et change beaucoup de choses au Jammu-et-Cachemire. L’angoisse et l’indignation suscitées par l’attentat-suicide à la bombe ont été exprimées et ressenties partout dans le pays. Les médias sociaux sont pleins de demandes de représailles sévères. Il faut que cette rhétorique se calme au moment où le gouvernement évalue ses options et examine ses actions. Certains, comme le retrait du statut NPF [nation la plus favorisée] au Pakistan, sont peu susceptibles de changer grand-chose. Des opérations transfrontalières de faible intensité ont déjà été tentées (et assumées) par le gouvernement actuel, mais il est clair qu’elles n’ont pas donné grand-chose. Il reste le risque d’une escalade dans une situation déjà tendue et volatile. Tous les partis ont été unanimes à condamner le terrorisme sous toutes ses formes et le soutien qui lui est apporté de l’autre côté de la frontière. Mais les prochaines élections à la Lok Sabha [Chambre du peuple, chambre basse du Parlement bicaméral indien, NdT] ajoutent une nouvelle dynamique à la situation et influenceront la façon dont la conversation se déroulera dans les mois à venir.

Entretemps, il reste beaucoup de travail diplomatique à faire pour que la communauté internationale nomme Masood Azhar, le fondateur et chef du groupe désigné COMME terroriste par l’ONU, Jaish-e-Mohammed [Armée de Mohamed], comme un terroriste qui doit être traduit en justice. Le JeM a été déclaré organisation terroriste par le département d’État US il y a bien longtemps, précisément le 26 décembre 2001. La Grande-Bretagne l’avait proscrit encore plus tôt, en mars 2001, et avait ensuite interdit son groupe dissident Khuddam Ul-Islam [Serviteurs de l’Islam] en octobre 2005. Il n’y a pas grand-chose qui ait clairement bougé sur ce front.

Au milieu de la terrible tournure prise par les événements, les informations faisant état d’attaques contre des commerçants et des étudiants cachemiris à travers l’Inde sont très inquiétantes. Une série de reportages ont été diffusés sur les médias sociaux au cours des derniers jours. Ils ne sont pas tous vrais.

La CRPF [Force centrale de réserve de police] a officiellement nié au moins un incident présumé à Dehradun. D’autre part, Omar Abdullah, ancien ministre en chef de J&K, a rencontré le ministre de l’Intérieur de l’Union Rajnath Singh pour exprimer sa préoccupation concernant l’intimidation des Kashmiris. Il a demandé la nomination d’un officier de liaison pour répondre aux menaces qui pèsent sur les Cachemiris. Le ministère de l’Intérieur, pour sa part, n’a pas tardé à adresser un avis à tous les États et territoires de l’Union pour assurer la sûreté et la sécurité des Cachemiris dans l’ensemble du pays. Cibler les Cachemiris qui n’ont rien à voir avec le terrorisme ou les attaques contre les forces de sécurité dans leur État d’origine est précisément le genre de division que les terroristes voudraient voir. C’est faire le jeu de ceux qui veulent briser le pays et construire le récit d’une nation divisée. Ce qu’il faut donc, c’est un peu de sang-froid et une pensée calme.

La situation s’est également aggravée avec la propagande mensongère qui vise à exciter les passions. Comme la CRPF l’a elle-même souligné dans une mise en garde : " On a remarqué que sur les médias sociaux, certains mécréants [sic] essaient de faire circuler de fausses photos de parties du corps de nos martyrs pour appeler la haine alors que nous sommes unis. Veuillez ne pas faire circuler,/partager/ou liker de telles photos ou de tels messages." En fait, la CRPF s’est empressée de mettre un frein à la désinformation et a fait connaître ses lignes d’assistance téléphonique pour aider à signaler les attaques contre les Cachemiris où que ce soit. Au Cachemire, on a beaucoup parlé de la politique musculaire du BJP [le parti nationaliste hindou au pouvoir, NdT]. Environ 10 jours avant l’attaque de Pulwama, le Premier ministre a passé une journée dans l’État et a rencontré des sarpanchs [maires] nouvellement élus. Lors d’une réunion à Srinagar, il a dit : "Nous nous attaquerons à tous les terroristes d’une manière appropriée. Nous allons briser la colonne vertébrale du terrorisme au Jammu-et-Cachemire et le combattre de toutes nos forces."

Il s’agissait là d’une réitération de l’approche musclée du BJP en vigueur depuis un certain temps, qui correspondait au récit accompagnant sa rupture de l’alliance avec l’alors ministre en chef Mehbooba Mufti du Parti démocratique populaire en juin dernier. Pourtant, cette approche a coïncidé avec la montée de la violence, la multiplication des attentats terroristes et l’aliénation de la population. Après le discours du Premier ministre au J&K le 3 février, les partis politiques de l’État se sont montrés très critiques. La veille de l’attentat de Pulwama, Mme Mufti a tenu une conférence de presse pour critiquer ce qu’elle a qualifié d’"agenda hideux" du BJP, appliqué par l’intermédiaire du gouverneur, qui dirige désormais l’administration du territoire.

Ses mots exacts : « Nous avons été un obstacle majeur pour le BJP dans la mise en œuvre de son programme au Jammu-et-Cachemire. Cependant, depuis qu’il a renversé le gouvernement démocratiquement élu, ce parti tente de gouverner l’Etat par l’intermédiaire du gouverneur et fait de gros efforts pour aliéner les musulmans de l’Etat. » Si ces déclarations nous disent quelque chose, c’est le glissement de la situation - d’innombrables façons - qui a soulevé les passions des gens. La violence a augmenté et, à bien des égards, s’est beaucoup aggravée au cours de l’année écoulée. Le nombre d’incidents liés au terrorisme a été de 614 en 2018, soit presque trois fois plus qu’en 2014 et 2015. Le nombre total de terroristes tués en 2014 était de 110. En 2018, 257 ont été tués. Mais le nombre de civils et de membres des forces de sécurité tués a également augmenté, passant de 75 en 2014 à 129 en 2018, selon les chiffres communiqués par le gouvernement à la Lok Sabha. Il semblerait que l’approche brutale et dure proposée par le BJP ne fonctionne pas très bien.

L’évolution rapide de la situation après l’attentat de Pulwama et l’accent mis sur la nature de la réponse risquent d’empêcher l’Inde de poser des questions difficiles sur ses méthodes et mécanismes de renseignement en J&K. Il s’agit clairement d’un échec massif du renseignement. Les dirigeants doivent rendre des comptes. Il faut se poser des questions difficiles sur la façon dont des armes ont pu être amassées dans un village et utilisées si facilement par un très jeune attaquant. Si cela préfigure les attaques à venir, cela changera la situation au Cachemire - cela rendra chaque citoyen suspect, chaque véhicule une source d’inquiétude, et rendra la gestion de la situation encore plus difficile. Même s’il est difficile de prévenir chaque attaque, il devrait y avoir une certaine capacité à fournir des renseignements crédibles. Les temps sont difficiles, mais nous ne devons pas hésiter à poser des questions difficiles. Compte tenu de l’énorme budget consacré au renseignement, nous pouvons et devons faire mieux.

Enfin, la liberté donnée aux forces de sécurité d’agir n’est pas la liberté de rendre la vie des gens ordinaires plus difficile. Il faut prendre grand soin de ne pas s’aliéner les Cachemiris ordinaires. Ils sont les pires victimes de ce cycle sans fin de violence et personne n’a autant intérêt à la paix que les gens ordinaires qui veulent simplement être autorisés à vivre et à mener leur vie dans ce climat cruel.

Merci à Tlaxcala

Source : https://www.deccanchronicle.com/opinion/op-ed/200219/volatile-kashmir-needs-careful-handling.html

Date de parution de l’article original : 20/02/2019

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