Édition du 26 mars 2024

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Canada

De la bourde du p.-d.g. d’Air Canada… à la honte généralisée de la classe politique

Pour la mise à jour de certaines revendications en lien avec l’oppression nationale des francophones du Canada

Immense. Elle est en effet immense la bourde du p.d.-g. d’Air Canada Michael Rousseau. Le très haut dirigeant de cette compagnie aérienne assujettie à la Loi fédérale sur les langues officielles est allé avouer, en toute candeur, qu’il vivait uniquement en anglais au Québec depuis plus de 14 ans. Pire, cet homme, dont la mère et l’épouse sont francophones, a prétexté que c’est en raison de son horaire de travail qu’il n’a pas eu le temps, de sa naissance à aujourd’hui, d’apprendre le français.

De Lord Durham à Michael Rousseau, en passant par Donald Gordon, il y a une constante chez certains membres anglophones de la classe économique et de la classe politique. La présence d’éléments réfractaires et totalement opposés à apprendre la langue de groupes minoritaires et opprimés.

Il serait étonnant que la grossière méprise du p.d.-g. d’Air Canada ait le même effet mobilisateur chez les militantEs indépendantistes que la détestable déclaration du président du Canadien National en 1962. Le fait mérite d’être rappelé ici : lors d’un témoignage présenté devant un comité parlementaire fédéral en novembre 1962, le président du Canadien National, monsieur Walter Gordon, avait justifié l’absence de francophones parmi ses vice-présidents en déclarant qu’ils n’avaient tout simplement pas les compétences pour combler et assumer ces postes. Cette déclaration avait eu pour effet de mettre le feu aux poudres chez plusieurs francophones et d’être à l’origine également de la mise sur pied de la Commission sur le bilinguisme et le biculturalisme (la Commission Laurendeau-Dunton).


Une conjoncture politico-linguistique mouvante

Est-il nécessaire de rappeler que nous ne sommes plus aujourd’hui au Québec au début d’une poussée de la ferveur nationaliste. Il n’est plus vraiment question de « rapatriement de la constitution » d’un « nouveau partage des pouvoirs entre le gouvernement fédéral et les provinces » ou de « l’Indépendance du Québec ». Bref, nous ne sommes pas à un moment où se recomposent les forces politiques autour d’enjeux constitutionnels. La question du Québec ne se pose plus en 2021 dans les mêmes termes que jadis. La situation économique des francophones s’est améliorée depuis les travaux de la Commission Laurendeau-Dunton. Le gouvernement fédéral a modifié certains de ses symboles et il a également adopté un certain nombre de lois qui ont eu pour effet de discréditer certaines récriminations à son endroit. Le parlement fédéral a adopté la Loi sur les langues officielles et la Charte des droits et libertés. Il a de plus créé artificiellement, d’un point de vue constitutionnel (pour ne pas dire machiavéliquement inventé), la minorité anglaise du Québec. Du côté du gouvernement du Québec, il y a eu le passage au pouvoir du Parti québécois, l’adoption de la Loi 101 et la tenue de deux référendums sur l’avenir constitutionnel du Québec. Élément profondément nouveau dans le décor, le nombre d’anglophones qui adhèrent à la volonté assimilatrice du Rapport Durham et au mépris des Walter Gordon et Michael Rousseau face aux francophones et à la langue française, sont en régression au Québec (et un peu ailleurs au pays). De plus, l’apprentissage de la langue anglaise chez les francophones n’a plus la même portée symbolique ou assimilatrice qu’au début des années soixante. Aujourd’hui, ce n’est pas seulement pour se conformer aux désidératas de son supérieur dominateur ou de son exploiteur qu’on apprend la langue de Shakespeare, c’est pour communiquer dans la langue des affaires de la mondialisation.

Sur l’effet déstabilisateur de la déclaration de Michael Rousseau

La déclaration de Michael Rousseau a eu un effet déstabilisateur auprès de certains membres hypocrites de la classe politique et de la classe économique pour qui les changements ayant pour objectifs l’effacement des traces d’oppression linguistique ne doivent en aucun cas les affecter, les concerner ou s’appliquer aux personnes protégées de leur caste d’appartenance. Il était de notoriété publique que l’unilingue anglais monsieur Rousseau (comme plusieurs de ses prédécesseurs à la très haute direction d’Air Canada) présidait une compagnie concernée par la Loi des langues officielles. Donc, une entreprise devant faire la promotion des deux langues officielles du Canada. Devant ce manquement flagrant, les autorités se fermaient les yeux. Elles laissaient faire et elles laissaient passer. Cela a été possible jusqu’au jour où en toute franchise le pot aux roses fut dévoilé. Se pose aujourd’hui une terrible question incontournable : il y en a combien d’autres Michael Rousseau dans le monde des affaires et au sommet de l’État canadien qui ne respectent pas les exigences de la Loi sur les langues officielles ? Combien y a-t-il de personnes dans l’exercice de leur fonction qui ne parlent qu’anglais là où il devrait y avoir des individus capables de s’exprimer dans les deux langues officielles du pays ?

On aura beau vouloir nous rendre la réalité plus belle qu’elle l’est, nous savons que ce n’est pas uniquement avec des mots ou avec des documents législatifs décoratifs qu’on transforme la réalité. Arrive un moment où les illusions comme les masques tombent. Le Canada a un rapport colonialiste et également un rapport d’oppression, de domination et d’exploitation avec les peuples autochtones. Il a aussi un rapport d’oppression nationale avec les francophones. Les francophones (même s’ils forment la majorité de la population au Québec) constituent encore et toujours une minorité opprimée au Canada.

Pour un aggiornamento de certaines revendications

En vue d’éliminer certaines traces de l’oppression nationale des francophones au sein de l’État canadien, des changements substantiels sont à envisager et à débattre dont ceux-ci :

selon nous, le gouvernement du Québec doit appuyer, assister et accompagner les communautés francophones du Canada dans leurs revendications et représentations pour obtenir d’avantages de services susceptibles de stopper leur assimilation ;

le gouvernement du Québec devrait organiser, sur une base annuelle, la conférence des communautés de la minorité de la langue française du Canada ;

le gouvernement du Québec devrait convoquer les États généraux du Canada français et de la nation québécoise pour identifier les modifications requises à la Constitution canadienne et aux différentes lois qui ont pour effet de nuire au rayonnement et à l’épanouissement du fait français au Québec et dans le reste du Canada ;

le gouvernement du Québec devrait faire l’inventaire des lois canadiennes et des jugements des différents tribunaux qui ont eu un impact négatif sur l’affirmation du fait français au Québec et dans le reste du Canada ;

le gouvernement du Québec devrait revendiquer les pleins pouvoirs en matière linguistique ;

le gouvernement fédéral devrait accepter d’appliquer les lois du Gouvernement du Québec en matière linguistique sur le territoire québécois ;

le gouvernement du Québec doit revendiquer l’abolition des lois et articles de lois (ordinaires ou constitutionnelles) qui sont nuisibles à l’affirmation et à l’épanouissement du fait français.

Pour conclure

Il s’agit ici pour l’essentiel de propositions présentées il y a plus de vingt ans à la Commission Larose[1] par le Conseil central du Montréal métropolitain. L’auteur des présentes lignes avait été mandaté à l’époque pour rédiger bénévolement le mémoire de cette composante de la CSN.

Yvan Perrier

7 novembre 2021

7h30

yvan_perrier@hotmail.com

[1] La Commission des États généraux sur la situation et l’avenir de la langue française au Québec.

Zone contenant les pièces jointes

Yvan Perrier

Yvan Perrier est professeur de science politique depuis 1979. Il détient une maîtrise en science politique de l’Université Laval (Québec), un diplôme d’études approfondies (DEA) en sociologie politique de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) et un doctorat (Ph. D.) en science politique de l’Université du Québec à Montréal. Il est professeur au département des Sciences sociales du Cégep du Vieux Montréal (depuis 1990). Il a été chargé de cours en Relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais (de 2008 à 2016). Il a également été chercheur-associé au Centre de recherche en droit public à l’Université de Montréal.
Il est l’auteur de textes portant sur les sujets suivants : la question des jeunes ; la méthodologie du travail intellectuel et les méthodes de recherche en sciences sociales ; les Codes d’éthique dans les établissements de santé et de services sociaux ; la laïcité et la constitution canadienne ; les rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec ; l’État ; l’effectivité du droit et l’État de droit ; la constitutionnalisation de la liberté d’association ; l’historiographie ; la société moderne et finalement les arts (les arts visuels, le cinéma et la littérature).
Vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : yvan_perrier@hotmail.com

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