Tiré du site de l’IRIS.
Soulignons d’abord que l’économie américaine fonctionne depuis plusieurs mois à plein régime. Donald Trump, en poste depuis un an à la Maison-Blanche, s’est évidemment attribué le mérite de cet apparent succès. Il faudrait cependant rappeler au président américain que la politique monétaire mise de l’avant depuis la crise de 2008 par la Réserve fédérale, qui est la banque centrale américaine, a été de maintenir, jusqu’en 2015, de bas taux d’intérêt et d’injecter massivement des liquidités dans l’économie. Ces mesures, conçues pour stimuler l’activité économique, ont fonctionné, mais elles ont aussi créé un environnement propice à la spéculation financière.
Les profits des entreprises aux États-Unis n’ont cessé d’augmenter (bien plus rapidement que les salaires, d’ailleurs), entraînant à la hausse la valeur des actions des sociétés cotées en bourse, qui sont le reflet de la variation des profits. Or, comme le veut l’adage, tout ce qui monte doit, tôt ou tard, redescendre. Et, c’est ce qui s’est produit au début du mois.
À l’origine de la panique
Le 2 février, les titres négociés sur les principales places boursières américaines perdaient entre 2% et 4% de leur valeur, ce qui constitue des baisses importantes. Trois jours plus tard, de nouvelles baisses de l’ordre de 4% ont été enregistrées et la panique s’est transportée en Asie, où certaines bourses ont aussi chuté. Cela faisait plus d’un an que les marchés financiers n’avaient pas connu de variations aussi importantes. Le fait que la majorité des transactions soient effectuées par des machines qui opèrent en l’espace de quelques millisecondes a contribué à amplifier les variations observées. Le calme est revenu vendredi dernier et les titres ont continué, ce lundi, à regagner le terrain perdu dans la dernière semaine.
À l’origine de ces perturbations : la publication des données mensuelles sur l’emploi, par le Département américain du Travail. Les données présentées le 2 février dernier montrent que la création d’emplois a été plus forte que prévu en janvier aux États-Unis et que le salaire horaire moyen a connu sa progression la plus forte depuis 2009. À cela s’ajoute le fait que le taux de chômage est à son plus bas niveau depuis 17 ans ! Ces données en apparence réjouissantes n’ont pourtant pas plu à Wall Street, puisque certains investisseurs ont vu d’un mauvais œil la perspective d’une hausse de la rémunération des employés.
Pourquoi ? Quand les salaires et le pouvoir d’achat des travailleurs et des travailleuses augmentent, cela a tendance à entraîner de l’inflation, c’est-à-dire la hausse des prix des objets et des services que l’on consomme. Or, si vous achetez des actions, vous voulez que leur valeur augmente plus rapidement que l’inflation, à défaut de quoi la valeur de vos placements va diminuer au lieu de croître.
Si vous investissez avec de l’argent emprunté, vous voulez aussi que le prix qu’il vous en coûte pour l’emprunter (le taux d’intérêt) soit plus bas que le revenu que vous tirez de vos placements (les dividendes). Or, la Réserve fédérale prévoit continuer d’augmenter les taux d’intérêt pendant encore deux ans précisément pour freiner l’inflation. Bref, la conjoncture économique pourrait devenir défavorable aux investisseurs.
L’économie va bien… pour certains
Les récents déboires de Wall Street constituent donc un incident « normal » sur les marchés financiers et ne signifient pas nécessairement que la crise finale approche. Ceci dit, si l’on souhaite évaluer la trajectoire actuelle de l’économie et les possibilités qu’elle frappe un mur, on ne peut se fier qu’à un seul événement et il est préférable d’adopter une perspective plus large pour comprendre les tendances à l’œuvre et leurs évolutions probables.
Le journaliste Doug Henwood publiait la semaine dernière une analyse intéressante de la situation. Il souligne que derrière les chiffres encourageants de l’emploi se cache une situation peu reluisante. Certes, depuis 2008, l’économie américaine croît, mais à un taux historiquement bas. Les profits des entreprises, plutôt que d’être réinvestis, sont redistribués sous la forme de dividendes, d’où la croissance des marchés financiers soulignée plus tôt. Les salaires ont très faiblement augmenté et les hausses récentes masquent le fait que ce sont seulement les plus hauts salariés qui ont vu leur rémunération croître. Contrairement à ce qui se passe chez nous, l’endettement des ménages n’a, cela dit, pas recommencé à augmenter.
En somme, l’économie américaine a surtout été favorable, depuis 2008, aux entreprises et aux plus riches. On pourrait donc dire, à l’inverse, que le contexte économique actuel est sombre, mais pour des raisons bien différentes de celles qui font paniquer Wall Street, dont les intérêts, on le comprend maintenant, sont bien loin de ceux des gens ordinaires.
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