Édition du 26 mars 2024

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Le mouvement des femmes dans le monde

Reportage — Féminisme

Écologie et féminisme, même combat

Quels sont les liens entre féminisme et écologie ? Reporterre a posé la question à six défenseuses de l’environnement lors de la journée internationale de lutte pour les droits des femmes.

9 mars 2023 | tiré du site reporterre.net | Photo : 70 000 personnes ont défilé entre la place de la République et de la Nation à Paris pour la mobilisation féministe du 8 mars. - Photographies : © Cha Gonzalez /

L’encre des slogans dégouline des pancartes. Les cartons mouillés pendent mollement des bras des militantes de cette journée internationale de lutte pour les droits des femmes. La pluie, qu’on attendait avec impatience depuis des semaines, a abondamment arrosé le cortège du 8 mars, sans pour autant décourager la foule. Près de 70 000 personnes ont défilé entre les places de la République et de la Nation, à Paris, selon les organisatrices(15 000 personnes selon la préfecture).
Dans le cortège, six écologistes ont expliqué à Reporterre les liens, forts, entre féminisme et protection de l’environnement.

Salma Lamqaddam : « Dans les pays du Sud, des collectifs d’ouvrières du textile tentent de se mobiliser »

Salma Lamqaddam, chargée de campagne chez ActionAid. © Cha Gonzalez / Reporterre

« Au Nord, sapé.e.s comme jamais, au Sud, exploitées comme jamais. » Cette banderole orne le stand de l’ONG ActionAid sur la place de la République. Une façon de rappeler que nos vêtements sont issus de l’exploitation des femmes des pays du Sud. L’industrie du textile se trouve en effet au croisement de plusieurs luttes : le droit du travail, le droit des femmes, les dominations coloniales et la question écologique. Un sujet que Salma Lamqaddam, chargée de campagne chez ActionAid, souhaite faire émerger à l’occasion des dix ans de l’effondrement du Rana Plaza, une usine textile au Bangladesh, le 10 avril prochain. « Les multinationales agissent en totale impunité dans le monde entier. Face à elles, des collectifs d’ouvrières tentent de se mobiliser. Par exemple, au Bangladesh, elles ont réussi à doubler leur salaire, mais cela reste encore insuffisant pour vivre dignement. »

Marine Calmet : « La domination des femmes, celle de la nature… C’est la même logique d’appropriation »

Avocate et juriste en droit de l’environnement, présidente de l’association Wild Legal. © Cha Gonzalez / Reporterre

La pluie battante qui s’est abattue sur le cortège n’a pas vraiment dépaysé Marine Calmet. La juriste en droit de l’environnement rentre tout juste de Guyane, où la sécheresse n’est pas d’actualité. Elle a travaillé notamment sur les questions de sauvegarde de la biodiversité. Le gouvernement tente de prolonger une dérogation permettant de transformer les arbres de la forêt amazonienne en biomasse — pour produire de l’énergie. « En Guyane, les élus sont des hommes qui portent les projets miniers. Ils ne conçoivent même pas le problème éthique de couper un arbre plus vieux que leurs arrière-grands-parents. D’ailleurs, ce sont ces hommes qui expliquent ensuite aux femmes autochtones, en première ligne pour défendre la nature, que tout va bien se passer », soupire l’avocate.

Pour elle, le lien entre violences faites aux femmes et à la nature apparaît comme une évidence. « Cela relève d’une vision dominatrice commune. Les mêmes causes produisent les mêmes effets. » Celle qui plaide pour la reconnaissance du crime d’écocide cite l’avocate Gisèle Halimi, à qui Emmanuel Macron vient de rendre hommage — une « instrumentalisation politique », s’insurgent les associations féministes. « Durant sa plaidoirie du procès de Bobigny [ce procès pour viol a mené à la dépénalisation de l’IVG], elle a cité le préambule du Code civil  : “La femme est donnée à l’homme pour qu’elle fasse des enfants. Elle est donc sa propriété comme l’arbre à fruit est celle du jardinier.” Il s’agit d’une même logique d’appropriation. »

Élodie Nace : « Nos combats sont complémentaires, nous portons le projet d’une autre société »

Élodie Nace, porte-parole d’Alternatiba Paris. © Cha Gonzalez / Reporterre

« Détruisons le patriarcat pas le climat. » C’est derrière cette banderole jaune qu’ont défilé de nombreux militantes et militants du mouvement climat, dont Élodie Nace, porte-parole d’Alternatiba Paris. Leur présence dans cette marche coule de source, selon la militante : « Cela répond à notre sociologie car nous sommes beaucoup de femmes féministes dans le mouvement. » Alternatiba s’est depuis longtemps rapproché du mouvement féministe comme du mouvement antiraciste ou encore du mouvement social — l’ONG a défilé hier contre la réforme des retraites. Une complémentarité des combats qui n’est pas toujours bien comprise. « Il faut toujours et encore expliquer que nous ne portons pas uniquement les sujets de décarbonation ou de lutte contre le réchauffement climatique mais un projet plus global d’une autre société. »

Cathy Remi : « L’écoféminisme n’est pas seulement une pensée intellectuelle »

Cathy Remi, militante écoféministe. © Cha Gonzalez / Reporterre

Couronne de fleurs sur la tête et pancarte affichant la féministe Audre Lorde à la main, Cathy Rémi est venue à la manifestation avec sa fille. Elle est membre d’un groupe écoféministe depuis six ans. « Je suis une grande lectrice de Françoise d’Eaubonne et de Rachel Carson. Mais je pense que l’écoféminisme n’est pas seulement une pensée intellectuelle, il faut mettre les mains à la pâte. J’ai par exemple participé au lancement de [la maison de l’écologie populaire] Verdragon à Bagnolet. »
Cathy regrette d’ailleurs que cette marche du 8 mars ne soit pas plus mixte : « On ne voit pas beaucoup de femmes racisées. Il serait pourtant important qu’elles soient présentes afin de porter leur parole et leur vécu. »

Violetta : « L’extractivisme en Amérique latine est une nouvelle vague du colonialisme »

Violetta, militante féministe mexicaine. © Cha Gonzalez / Reporterre

Parmi toutes les banderoles de la manifestation, celles des collectifs féministes d’Amérique latine étaient les plus élaborées. Soit des tissus brodés multicolores comme celui que tient à la main Violetta, militante féministe originaire de Mexico City. Dessus, on peut y lire les mots : « Femme, vie et liberté » en tojolabal, une langue maya parlée au Mexique. Violetta nous parle de l’extractivisme, qui continue de faire rage dans les pays d’Amérique latine et ailleurs. « Il s’agit d’une nouvelle vague du colonialisme », précise-t-elle. Les femmes des peuples indigènes subissent ces politiques extractivistes en étant dépossédées de leurs territoires qu’elles cherchent à défendre. Mais là aussi, elles subissent des violences sexuelles et sexistes. « Beaucoup de femmes sont violées et n’ont pas envie de défendre leur territoire aux côtés des hommes qui les ont agressées. Ainsi, elles plaident d’abord pour la défense de leur corps, puis ensuite la défense de la terre », précise Violetta.

Louise : « Le lien entre l’écologie et le féminisme se trouve dans le “care”, le soin »

Louise, militante chez Dernière rénovation. © Cha Gonzalez / Reporterre

Le long du boulevard Voltaire, le collectif Dernière rénovation a tapissé d’affiches un arrêt de bus. Nullement perturbées par le déluge, les militantes et militants distribuent des tracts dans le cortège. Parmi elles et eux, Louise, qui vient de rejoindre le collectif il y a tout juste deux mois. « Je suis écolo et j’avais besoin d’un engagement pour mettre ma colère au service d’une cause. » La jeune femme estime que le lien entre l’écologie et le féminisme se trouve dans le « care ». « Il s’agit d’une attention envers ce qui existe. Je pense qu’il ne faudrait pas créer de nouveaux produits et prendre soin de ce qui existe déjà. » Elle parle aussi d’intersectionnalité. « Si on regarde dans sa globalité, toutes les luttes ont des revendications qui vont dans le même sens anticapitaliste. Mais je trouve qu’on est encore trop divisés. Par exemple, il n’y a pas le même public aujourd’hui dans cette marche qu’à la manifestation contre les retraites hier. Ce n’est pas encore évident pour tout le monde qu’on doit tous aller vers le même but. »

Laury-Anne Cholez

Auteure pour le site Reporterre.

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