Édition du 11 novembre 2025

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Israël - Palestine

Et si le Hamas avait vu juste ?

L’offensive du Hamas contre Israël du 7 octobre 2023 a créé une onde de choc partout dans le monde ; elle a illustré crument toutes les dimensions du conflit israélo-palestinien.

photo Serge D’Ignazio

Jusque là, la stratégie dominante parmi les chancelleries occidentales était d’en parler le moins possible afin de ménager l’image de marque de leur protégé israélien, sauf pour dénigrer la résistance palestinienne. Depuis l’offensive du Hamas, les répercussions du conflit ont acquis une envergure inédite au point que plusieurs pays occidentaux, et non parmi les moindres (France, Grande-Bretagne, Canada), ont reconnu, au moins sur papier, un État palestinien. Quant à le mettre sur pied, il faudra sans doute attendre encore longtemps, mais un pas décisif vient d’être franchi concernant la légitimité des revendications palestiniennes.

Toutefois, deux problèmes majeurs se posent.

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D’abord, la question du Hamas comme interlocuteur légitime pouvant participer de plein droit aux futures négociations de paix. Les gouvernements occidentaux, même les plus ouverts à la création d’un État palestinien, lui refusent ce droit. Ils exigent sa dissolution comme organisation, son désarmement et la libération inconditionnelle des otages israéliens qu’il détient encore. On note là une vieille tendance de la diplomatie occidentale dans le dossier du conflit israélo-palestinien dont l’Organisation de libération de la Palestine (l’OLP) de Yasser Arafat a été longtemps l’objet : isoler les organisations palestiniennes (même les plus représentatives) jusqu’à ce qu’elles reconnaissent l’État hébreu. Rappelons que le Hamas a été élu en bonne et due forme à Gaza en 2006, ce qui n’a pas empêché Tel-Aviv d’établir et de maintenir un blocus maritime et terrestre autour de l’enclave et aussi de continuer impunément sa politique de colonisation en Cisjordanie où chaque année, les Palestiniens perdaient du terrain, au vu et au su des classes politiques occidentales. Il y a eu la guerre de Gaza en 2014 qui a fait 2251 victimes, dont 550 enfants, à la suite du lancement par le Hamas de roquettes sur Israël en représailles d’un raid aérien israélien antérieur.

Personne, dans les cercles gouvernementaux occidentaux alliés d’Israël, n’a tenu compte depuis 2006 de l’élection du Hamas, eux qui pourtant soutiennent l’État hébreu en tant que « seule démocratie du Proche-Orient ». Le gouvernement (ou ce qu’il en reste), issu de l’élection a toujours été considéré comme « terroriste », une étiquette commode et passe-partout qui permet de délégitimer les groupes qui résistent par les armes à l’expansionnisme israélien et de manière plus générale, à la domination occidentale.

Les classes politiques occidentales et certains commentateurs invoquent aussi comme prétexte pour boycotter le Hamas que celui-ci serait formé de fanatiques religieux qui rêvent d’établir un califat de la Méditerranée au Jourdain, bref qui veulent détruire Israël au profit d’un État islamiste intégriste. Mais entre les principes et la pratique, il existe une différence. Il y a sûrement des modérés au sein du Hamas, prêts à accepter l’existence de l’État hébreu en échange d’un État palestinien en Cisjordanie, à Jérusalem-Est et à Gaza. Après tout, rappelons-nous qu’au sein de la classe politique israélienne et d’une partie de l’opinion publique de ce pays, il existe également une extrême-droite qui tient mordicus à reconstituer « le grand Israël biblique » des rivages de la Méditerranée aux rives du Jourdain. Pourtant, Tel-Aviv, quelle que soit la couleur politique de son gouvernement, demeure l’interlocuteur privilégié des puissances occidentales. On remarque donc à cet égard un double standard de leur part.

Les classes politiques occidentales refusent de voir que la meilleure façon de résoudre un conflit consiste à établir des ponts avec la partie adverse et non à la tenir à l’écart sous des prétextes fallacieux. Elles doivent résister à la tentation d’essayer de se confectionner une délégation palestinienne malléable et plus ou moins capitularde face à Israël pour imposer, par son intermédiaire, une paix à rabais à la population palestinienne. L’Autorité palestinienne, qui contrôle jusqu’à un certain point 40% de la Cisjordanie est discréditée auprès de la population en raison de sa corruption, de son incompétence et surtout de sa collaboration avec Israël. Que cela plaise ou non, le Hamas est un pion majeur sur l’échiquier politique palestinien, en dépit des pertes immenses qu’il subit actuellement à Gaza. On ne pourra jamais l’éliminer complètement. La boucherie à laquelle se livre le gouvernement Netanyahou ne peut que susciter une haine génératrice de volonté de vengeance de la part des Gazaouis et des Palestiniens en général.

Les différents gouvernements qui se sont succédé en Israël ont toujours beaucoup misé sur l’usage de la force dans leurs relations avec la Palestine, mais cette méthode comporte des limites et de sérieux dangers pour Israël lui-même.

Ensuite, si certains des pays qui ont reconnu officiellement l’État palestinien essaient de passer des belles paroles aux actes, c’est-à-dire tenter d’exercer des pressions commerciales et économiques sur Israël, cette orientation va inévitablement provoquer de sérieuses tensions avec d’autres pays qui soutiennent inconditionnellement l’État hébreu, en particulier les États-Unis, lesquelles pourraient entraîner des représailles économiques à l’encontre des gouvernements ayant reconnu l’État de Palestine.
Par conséquent, on ne peut être certain que ces derniers soient prêts à affronter la puissance hégémonique mondiale. Ils vont sans doute s’en tenir à leurs habituelles « exhortations » envers Tel-Aviv et au mieux, à exclure Israël d’événements sportifs et culturels, ce dont le gouvernement israélien se fout, tant que le pognon et les armes continuent d’être fournies par Washington. Mais même plutôt symboliques, ces sanctions représentent un pas dans la bonne direction.

Le Hamas a risqué gros avec son offensive du 7 octobre 2023. Ses dirigeants (presque tous tués depuis) n’avaient sans doute pas prévu l’ampleur et la brutalité de la riposte ordonnée par le cabinet Netanyahou. Gaza paraît à veille d’être entièrement occupé par l’armée israélienne, les pertes civiles sont énormes et les destructions, massives.

Cependant, la question du règlement du conflit israélo-palestinien a été remise de manière incontournable à l’ordre du jour et provoqué de profondes divisions jusque dans les rangs des alliés les plus déterminés de l’État hébreu. L’administration Trump est plus isolée que jamais dans le monde, et d’ailleurs pas seulement sur ce problème.

C’est triste à dire, mais il a fallu un énième recours aux armes pour provoquer le modeste déblocage dont nous sommes témoins en faveur d’un peuple dépossédé de sa patrie. Mais après tout, l’établissement de l’État hébreu s’est réalisé en recourant à une grande violence anti-arabe et anti-britannique.
Selon la formule de Marx, la violence n’est-elle pas la grande accoucheuse de l’histoire ?

Jean-François Delisle

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