Édition du 16 avril 2024

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Livres et revues

Histoires mutines

Réunies par Marie-Ève Blais et Karine Rosso • Illustrées par Cathon

« Mon corps est une tombe où creuser tes fautes. Tu sculptes des chaînes tout au long de mes jambes, contournes mes hanches à la craie sur l’asphalte. Les murs n’en ont pas fini avec moi. Les carnages sont transparents ; leur banalité passe à travers. »

Onze fois elles doivent en découdre, onze fois elles tempêtent, ensemble. Illustrées par Cathon, les Histoires mutines racontent la rage, l’insoumission, la guérison.

Sur la ligne de front : Maryse Andraos, Marie-Ève Blais, Sarah Charland-Faucher, Stéfanie Clermont, AndréAnn Cossette, Iraïs Emmanuelle, Rosalie Lavoie, Marie-Christine Lemieux-Couture, Catherine Lemieux-Lefebvre, Karine Rosso et Cindy Simard.

Marie-Ève Blais est libraire, et publie, à l’occasion, dans divers blogues et zines. Elle s’intéresse à la place de la littérature dans les luttes politiques et féministes. Elle est l’une des membres fondatrices de L’Euguélionne, une future librairie féministe.

Karine Rosso est l’auteure du recueil de nouvelles Histoires sans Dieu publié en 2011 aux éditions de La Grenouillère. Elle est également doctorante et chargée de cours à l’Université de Sherbrooke où elle travaille sur l’œuvre de Nelly Arcan.

Catherine Lamontagne-Drolet, alias Cathon, est illustratrice. Elle a fait paraître La liste des choses qui existent (La pastèque, 2013), Les cousines vampires (Pow pow, 2014) et Les ennuis de lapinette (Comme des géants, 2015, réédité chez Gallimard jeunesse).

[TABLE]

Avant-propos

Yamina sous les décombres : : Maryse Andraos

Comme une caresse à la nuque brisée : : Marie-Christine Lemieux-Couture

« Speak the truth even if your voice shakes » : : Sarah Charland-Faucher

Ce monstre qui m’épuise l’envie de goûter : : Marie-Ève Blais

La grande première : : Stéfanie Clermont

Tous les enfants sont mortels : : Iraïs Emmanuelle

Veuillez : : Catherine Lemieux-Lefebvre

Les corps ouverts : : AndréAnn Cossette

[ Sans titre ] : : Rosalie Lavoie

Moi, défragmentée : : Cindy Simard

Montréal-Chicoutimi : : Karine Rosso

Remerciements

Notices biographiques
© Cathon, 2016

Un immense merci à la librairie La flèche rouge
qui a accueilli hier soir le lancement des Histoires mutines !

[EXTRAIT]

Il aurait mieux valu que tu ne partes pas quand ton frère t’avait invitée à Cuba pour dix jours, le moment était mal choisi tu le savais, pourtant tu étais partie, et le visage de Pablo s’était fermé.

C’est la lumière qui t’a d’abord frappée, plus que la chaleur en ce mois de juin. Tu avais un peu voyagé, mais jamais plus au sud que Granada. La lumière, vive et crue, était violente pour qui avait vécu sa vie au Nord, une radiation. L’aéroport était déglingué, le toit absent, et toi, tu ne savais rien. Avec ton frère vous êtes montés dans le bus qui vous amènerait à l’hôtel qu’il avait réservé, précisément celui-là parce qu’on offrait des sessions de plongée profonde avec les requins. Ton frère ne cessait de parler, agité d’une fébrilité que tu reconnaissais comme faisant aussi partie de toi, causée par une anxiété sous-jacente, que vous n’exprimiez pas de la même manière. Seul ton frère savait de quelles violences avait été faite votre enfance. Mais en ce moment sa fébrilité était un bruit qui empêchait la pensée, alors que tu regardais à travers la vitre la campagne cubaine. La terre était sèche, il y avait peu d’arbres. Les enfants jouaient en guenilles dans la boue. Les maisons étaient en pierre brute, en ciment, en terre séchée sur le bord de la route, des trous dans une matière à peine esquissée. Une vache traînait dans ce qu’il y avait de pré, des chiens jappaient en courant derrière l’autobus. [...]

Devant la mer tu as tout oublié, toute ta vie. Et il y a eu le soir où la lune s’est levée, pleine, et tout de suite de la joie s’est levée en toi. Ton frère était tranquille, rempli par la mer dans laquelle il passait son temps. Il a dit, nager avec les requins est à la fois enivrant et effrayant ; avant chaque descente au fond de l’eau on abandonne là sa vie, mais on est euphorique de la retrouver quand on remonte à la surface. Ensuite vous vous êtes dirigés vers la boîte de nuit. Tu ne savais pas pourquoi, mais cet homme qui te déplaisait tu espérais qu’il soit là.

Tu l’as vu te chercher du regard, il s’est dirigé vers toi et, sans rien dire, t’a prise par la main pour t’attirer sur la piste de danse, et tu y es allée alors qu’en toi la crainte se débattait. Vous avez dansé une, puis deux chansons sans parvenir à vous trouver et tu en as été soulagée, puis au creux de ton oreille il a dit, you are in security with me, you can let go ; let go, et ces mots tu voulais les entendre. La tension qui t’habitait a lâché ; tu t’es laissée mener dans le rythme et son corps et tu t’es laissée transporter comme si tu étais liquide ou du vent, et la nuit s’enfonçait sans que tu n’en sentes la mesure ou la noirceur.

— Rosalie Lavoie, Sans titre

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