Néanmoins ici et là, ça continue de bouger. On l’a vu encore dimanche avec les manifestations pour sauver Radio-Canada. On pourra nous demander : où est le lien ? Il y a deux choses qui nous frappent. D’abord, cela a été une mobilisation citoyenne, appuyée et non programmée par les organisations syndicales. C’est important que cela vienne d’en bas. Les organisations, mêmes les mieux intentionnées, n’ont souvent pas la même marge de manœuvre que les citoyens et citoyennes. C’est d’ailleurs ce qu’on avait vu avec les Carrés rouges : ça ne venait pas d’en haut. Si on dit cela, ce n’est pas pour mettre la spontanéité sur un piédestal (elle a aussi ses limites), mais pour dire qu’un mouvement populaire, ça vient de plusieurs côtés à la fois, et pas seulement des organisations. Deuxième chose, si la mobilisation a été forte, c’est parce que la question a touché le cœur des gens. Quelle est cette question ? C’est celle bien sûr de la culture et de l’identité, qui apparaît quelques fois, aux yeux d’une certaine « vieille gauche » secondaire, moins importante que les questions économiques. Et bien non ce n’est pas vrai. La culture est une des composantes essentielles de notre humilité. Quand les dominants veulent la rabaisser, ils humilient les gens, les rendent plus petits. Alors on dit non à cela.
Le défi reste cependant toujours le même, il faut trouver le « fil rouge » qui fait que des tas de gens voient le lien. Le succès de la grève de 2012, c’est qu’en fin de compte, ce n’était plus la bataille d’une cohorte étudiante qui ne veut pas payer plus cher, mais l’affaire de toute une société. Lors du Sommet des peuples des Amériques (2001), qui était au départ une affaire d’ONG et de directions syndicales, la mobilisation a levé grâce au patient travail d’éducation qui savait écouter et ne pas seulement donner de l’information. Des militants et des militantes de la base ont pris le soin de vulgariser les enjeux, de les expliquer pour que monsieur-madame-tout-le-monde comprenne que le libre-échange, ce n’était pas une question vague et lointaine, mais quelque chose qui allait affecter la vie de tout le monde. Rendus au jour « J », on était 60 000 dans la rue. Derrière cela, il a eu 1200 réunions et discussions.
Cette bataille des idées exige de la patience, de la modestie aussi. On n’a pas « tout-raison » et les gens ont aussi leur mot à dire. Ce qui veut dire qu’il y a une manière d’aborder les enjeux. Par exemple, la question des retraites, ce n’est pas juste pour quelques milliers d’employés municipaux, de policiers et de pompiers. L’État en visant ce secteur sait bien que leurs conditions sont meilleures. Surtout que les médias à toutes les heures de la journée déversent leur fiel contre les « privilégiés ». Il faut prendre le temps d’expliquer ce qui s’en vient pour l’ensemble des salariés. En passant, en Grèce, les dominants ont réussi à isoler les secteurs syndiqués du reste de la population. Aujourd’hui des centaines de milliers de retraités (enseignant-es, fonctionnaires) sont réduits à une quasi mendicité. Les familles les empêchent de crever, ce qui veut dire que la facture est payée par tout le monde.
La « réingénierie » du secteur de la santé s’inscrit également dans une guerre prolongée que Couillard et Barrette entendent mener. La fusion des institutions va centraliser le pouvoir et affaiblir les syndicats. Une fois la sale job faite, le ministre pourra procéder à des opérations de privatisation, sachant que la capacité de résistance sera bien amoindrie. Pour le moment, le gouvernement et les médias-mercenaires se plaisent à dire que seule la « bureaucratie » va être affectée. Pour démonter tout cela, il faut aborder les questions de fond, les questions politiques, qui encadrent l’assaut actuel contre les mouvements populaires et qui découlent d’une « logique », celle du 1 %.
Du côté des mouvements populaires, cette entreprise d’éducation populaire n’est pas une petite affaire. Quelquefois, on hésite, On trouve que c’est trop fastidieux, « ça va prendre trop de temps », etc. On mise sur l’« action exemplaire », un peu le spectacle. On se retrouve parfois dans des actions où des militant-es bien décidé-es sont prêt-es à passer à l’action, mais de manière isolée. Or on l’a appris dans le passé, il n’y a pas de raccourci.
L’autre défi, c’est qu’on ne peut pas agir chacun de son côté. C’est la magie de la convergence qui fait la différence. C’est plus facile à dire qu’à faire. Encore aujourd’hui, la convergence se fait un peu à reculons. Il y a une certaine méfiance entre les centrales syndicales. Entre le syndical, les étudiant-es et le communautaire, ce n’est pas toujours le grand amour. Le piège du gouvernement c’est justement de nous monter les uns contre les autres Cela ne sert à rien de faire du moralisme et de « bitcher » sur le dos des autres. Il faut encore là faire un effort pour la dessiner, cette convergence. Les « lignes rouges » qui font des luttes de certains, la lutte de tout le monde doivent être tracées, c’est un travail qu’on appelle parfois la « stratégie ». Et dans cette stratégie, il y a nécessairement l’analyse du rapport de forces. Par cette analyse, on trouve le « maillon faible » de l’adversaire, et on s’entend pour que tout le monde ensemble frappe à la même place, sachant qu’une victoire partielle, c’est important.
L’ensemble des composantes des mouvements sociaux présentement en action se doivent de définir leur stratégie sur le terrain. Une aide sur le plan parlementaire serait bienvenue de la part de Québec Solidaire. Sans se substituer aux mouvements populaires, les partis de gauche peuvent occuper davantage la place qui est la leur sur le plan de l’action politique parlementaire et mettre clairement au jeu les objectifs des stratégies des serviteurs du capital !
L’absurde politique d’austérité, orchestrée à Ottawa et mise en œuvre à Québec, vise à nous faire revenir en arrière de 50 ans, sans protection sociale et sans moyens de résister, tout en nivelant par le bas la « province » du Québec, qui devient alors une province « comme les autres ». Car en brisant le mouvement social, le PLQ et Québec inc qui est derrière, veut en même temps éradiquer la question nationale.
Pour faire échec à ce projet, cela ne sera pas une bataille d’une semaine. Il faudra trouver de bonnes idées, mettre (parfois) de l’eau dans son vin pour s’appuyer les uns et les autres, et surtout ne jamais oublier que c’est la masse des gens qui doit se mettre en mouvement, pas seulement les militant-es déterminé-es.