Tiré d’À l’encontre.
Ces actes ont probablement causé la mort de milliers de personnes et continueront probablement de causer des morts à l’avenir, y compris après la cessation des hostilités. Ces politiques restent en vigueur et se poursuivent, malgré les nombreux avertissements adressés aux responsables israéliens quant à leur impact, notamment par la Cour internationale de justice. Par conséquent, Human Rights Watch estime que les politiques israéliennes ont constitué la création intentionnelle de conditions de vie calculées pour provoquer la destruction d’une partie de la population civile de Gaza. Cela s’inscrit dans le cadre d’un massacre de membres de la population civile et, en tant que politique d’Etat, constitue une attaque généralisée et systématique dirigée contre une population civile. Par conséquent, tous les éléments constitutifs du crime contre l’humanité d’extermination sont réunis. Les responsables israéliens sont responsables du crime d’extermination et d’actes de génocide. » – Réd. A l’Encontre)
***
Wissam Badawi passe ses journées à attendre et à écouter, dans l’espoir d’entendre le klaxon caractéristique d’un camion-citerne entrant dans son quartier. Ces camions, conduits par des bénévoles locaux, sont devenus la dernière bouée de sauvetage de cette mère de huit enfants, âgée de 49 ans, ainsi que de milliers de Palestiniens et Palestiniennes de la ville de Gaza, dans un contexte de crise de l’eau de plus en plus grave causée par l’offensive israélienne en cours dans la bande de Gaza.
« La plupart des canalisations d’eau ont été détruites par les bulldozers de l’armée israélienne, et la municipalité ne peut pas les réparer » [de plus, les bulldozers sont très souvent détruits pas l’armée], a déclaré Wissam Badawi, qui vit dans le quartier de Tel Al-Hawa, à +972. « Il n’y a pas de puits à proximité, je dois donc envoyer mes enfants à la mer pour aller chercher de l’eau pour notre consommation quotidienne. Ensuite, j’attends l’arrivée du camion pour mélanger l’eau propre avec l’eau de mer afin de réduire sa salinité et la rendre potable. »
En raison de la pénurie extrême, le prix de l’eau sur les marchés de Gaza a explosé. « Le prix d’un gallon [3,7 litres] d’eau varie entre 5 et 8 NIS [1,30 à 2,20 dollars]. Nous avons besoin d’environ cinq gallons par jour pour boire et cuisiner, et j’ai du mal à me le permettre. De plus, personne ne vend d’eau dans notre quartier. Si aucun camion n’arrive, je dois marcher longtemps pour en acheter. »
Dans les zones où il n’y a pas de camions pour acheminer l’eau, de nombreux Gazaouis sont contraints de marcher pendant des kilomètres et de faire la queue pendant des heures pour remplir un seul récipient à un point d’eau. Mais même ceux-ci se font de plus en plus rares, ayant été bombardés ou rendus inaccessibles par les ordres d’évacuation israéliens. L’Unicef a averti que la crise de l’eau dans la bande de Gaza avait atteint « un niveau critique » (11 mars 2025, « Nine out of 10 Gazans unable to access safe drinking water »), soulignant que seule une personne sur dix avait actuellement accès à l’eau potable.
Cette crise n’est pas un effet secondaire de l’offensive israélienne, mais plutôt un objectif délibéré de celle-ci. Selon les données du Bureau des informations du gouvernement de Gaza, l’armée israélienne a détruit 719 puits depuis le 7 octobre. Le 10 mars, Israël a coupé le reste de l’approvisionnement en électricité de Gaza (AP, 10 mars 2025), forçant la plus grande usine de dessalement de la bande de Gaza à réduire ses activités. Quelques jours plus tard, la deuxième plus grande usine a été mise hors service en raison d’une pénurie de carburant résultant du blocus total imposé par Israël sur l’enclave.
Une autre usine, celle de Ghabayen, dans la ville de Gaza, a été bombardée début avril. Et le 5 avril, Israël a coupé l’approvisionnement en eau de Gaza par la société israélienne Mekorot, qui fournissait près de 70% de l’eau potable de la bande de Gaza.
Ahmad Al-Buhaisi, un vendeur d’eau de 22 ans originaire de Deir Al-Balah, dans le centre de Gaza, qui s’approvisionnait à l’usine de dessalement Aquamatch, a déclaré : « La fermeture de la station n’a pas seulement coupé mon gagne-pain, elle a également privé de nombreux citoyens et citoyennes de la possibilité d’accéder à de l’eau potable et propre. »
Il explique que les gens le contactent sans cesse pour lui demander d’apporter de l’eau chez eux, et qu’il ne peut que s’excuser et leur dire qu’il n’y a plus aucune usine de dessalement en activité. « Je suis toujours à la recherche d’un puits en état de marche où je pourrais acheter de l’eau potable », dit-il. « Mais les prix ont considérablement augmenté, et il est devenu difficile pour nous d’acheter et de revendre ensuite cette eau au public. »
« Ils détruisent tous les moyens de subsistance »
L’usine de dessalement de Ghabayen, une installation privée qui alimente certaines parties de la ville de Gaza et de Jabalia, était l’une des sources d’eau vitales du nord de Gaza. Le 4 avril, l’armée israélienne l’a bombardée pour la troisième fois depuis le début de la guerre, tuant Majd Ghabayen, le fils de l’un de ses propriétaires. Il se trouvait à l’intérieur de la station et son corps a été déchiqueté par les tuyaux et les réservoirs.
« Chaque fois que l’armée a bombardé l’installation, cela a causé des destructions massives », a déclaré Ahmad Ghabayen, le frère cadet de Majd, à +972. « Pourtant, nous sommes toujours revenus et avons réparé ce que nous pouvions avec l’argent et les ressources dont nous disposions, juste pour fournir de l’eau à la population. »
Mais la dernière frappe a été différente. « Cette fois-ci, le puits lui-même a été visé par un missile très puissant qui l’a complètement détruit. On nous a dit qu’il serait difficile de creuser un nouveau puits car la contamination causée par le missile le rendait inutilisable. »
« Israël n’a pas seulement visé une installation de distribution d’eau ; il a détruit une partie de la vie de ma famille et privé des milliers de personnes d’eau », a-t-il poursuivi. « La station desservait de vastes zones d’Al-Tuffah, Shuja’iyyah, Al-Daraj, Sheikh Radwan et Jabalia. Les gens venaient de loin pour remplir des bidons d’eau. Ils détruisent tout ce qui constitue notre bouée de sauvetage. »
Le bombardement de la station de Ghabayen s’inscrit dans une politique systématique menée par Israël depuis le début de la guerre : cibler délibérément les puits d’eau et les infrastructures qui y sont reliées, et couper l’approvisionnement en eau qui alimentait autrefois Gaza via des canalisations israéliennes.
Wael Abu Amsha, 51 ans, père de sept enfants et l’un des bénéficiaires de la station, a déclaré que le bombardement représentait un « coup dur » pour des centaines de familles qui en dépendaient comme principale source d’eau. « Après le bombardement, nous avons commencé à chercher une autre source. Nous avons trouvé une autre station, mais elle est loin, à environ une demi-heure de marche, et son eau n’est pas vraiment propre. Mais nous sommes obligés de la boire. Nous bénéficions de la station en achetant de l’eau potable à un prix qui n’a pas changé depuis avant la guerre, et souvent, elle était distribuée gratuitement. De l’eau salée était également distribuée gratuitement toute la journée, ce qui nous a aidés après que l’armée [israélienne] a détruit les canalisations qui fournissaient l’eau de la municipalité. Maintenant, nous n’avons plus aucune source d’eau. »
« Les gens souffrent », poursuit Abu Amsha. « Je marche longtemps et j’attends des heures juste pour remplir un gallon d’eau pour ma famille, ce qui n’est même pas suffisant. Nous finissons par le mélanger avec de l’eau provenant d’une autre station, dont l’eau n’est pas propre à la consommation mais qui est plus proche que la première. Nous n’avons pas d’autre solution. »
Une catastrophe sanitaire
La crise de l’eau n’entraîne pas seulement la soif, elle a également un impact direct sur la santé des personnes souffrant de maladies. Samar Zaarab, une patiente atteinte d’un cancer, âgée de 45 ans, originaire de Khan Younès qui vit actuellement dans une tente à Al-Mawasi, nous a déclaré que la pénurie d’eau exacerbait ses douleurs quotidiennes. « Mon corps affaibli a désespérément besoin d’eau potable. Depuis que j’ai été déplacée il y a quelques jours, mes souffrances ont augmenté. Les camions-citernes ne nous approvisionnent pas, et la petite quantité d’eau que nous obtenons ne suffit même pas pour les besoins quotidiens les plus élémentaires comme la toilette et le nettoyage. Sans hygiène, ma maladie s’aggrave. Si je ne meurs pas de la maladie, ce sera du manque d’eau potable. »
Zuhd Al-Aziz, conseiller du vice-ministre de l’administration locale de Gaza, a déclaré à +972 qu’après la coupure de l’électricité dans la bande de Gaza par Israël et la fermeture forcée de la plupart des usines de dessalement et de traitement de l’eau, toute la population est confrontée à une « crise humanitaire catastrophique ».
Selon Zuhd Al-Aziz, l’armée israélienne a directement pris pour cible les générateurs de secours, rendant extrêmement difficile le maintien des installations en activité : « 85% des sources d’eau douce à Gaza ont été détruites, obligeant les habitants à utiliser de l’eau polluée et impropre à la consommation. Environ 90% des stations de dessalement privées et publiques – 296 au total – ont cessé de fonctionner, soit parce qu’elles ont été directement prises pour cible, soit en raison de pénuries de carburant. Cinq grandes installations de traitement des eaux usées ont également cessé de fonctionner, ce qui a accru les risques de contaminations environnementales et d’épidémies. »
Assem Al-Nabeeh, porte-parole de la municipalité de Gaza, a décrit la crise en des termes tout aussi alarmants. « L’occupation israélienne a détruit plus de 64 puits dans la seule ville de Gaza, ainsi que plus de 110 000 mètres linéaires de réseaux d’adduction d’eau, ce qui a entraîné une forte baisse de l’approvisionnement en eau disponible. Actuellement, seuls 30 puits sont en service, et ils ne peuvent même pas répondre à une fraction des besoins de la population, en particulier avec l’afflux de personnes déplacées provenant des districts du nord. »
« La municipalité s’efforce de trouver des solutions malgré des ressources extrêmement limitées, mais les dégâts sont énormes et ne peuvent être compensés dans le cadre du blocus et des bombardements actuels », a-t-il poursuivi. Il n’y a ni carburant ni pièces de rechange, ni pour les générateurs ni pour les pompes des puits. Les puits ne peuvent pas fonctionner 24 heures sur 24. Environ 61% des ménages dépendent désormais de l’achat d’eau potable auprès de sources privées coûteuses, ce qui est un indicateur dangereux de l’effondrement du système public d’approvisionnement en eau. »
Al-Nabeeh a souligné que la crise de l’eau coïncide avec une aggravation de la faim, un blocus continu, une hausse des températures et une détérioration de la situation sanitaire et environnementale causée par l’accumulation des déchets et les fuites d’égouts, autant de facteurs qui constituent une menace directe pour la vie des habitants, en particulier ceux qui n’ont pas accès à l’eau pour la stérilisation, l’hygiène ou la cuisine.
Bien qu’il soit impossible d’obtenir des chiffres exacts, Al-Nabeeh estime que l’approvisionnement quotidien moyen en eau est tombé à 3-5 litres par personne et par jour, ce qui est nettement inférieur aux 15 litres considérés comme le minimum nécessaire pour boire, cuisiner et se laver afin de préserver la santé publique en cas d’urgence.
« La pénurie d’eau est connue pour favoriser la propagation d’épidémies et de maladies cutanées et intestinales », a-t-il ajouté. « Et si l’interdiction des carburant et des sources d’énergie nécessaires au fonctionnement des installations essentielles se poursuit, cela pourrait entraîner une interruption massive de l’approvisionnement en eau et du fonctionnement des infrastructures d’assainissement, aggravant encore la catastrophe humanitaire et sanitaire dans la ville. »
En réponse à la questino de +972, l’armée israélienne a déclaré qu’à la suite de la coupure de la conduite d’eau dans le nnord de Gaza, « quelques jours après l’incident, l’arrivée des équipes de l’Autorité palestinienne de l’eau dans la zone a été coordonnée afin de lancer le processus de réparation, et l’armée israélienne a réparé la conduite d’eau afin d’assurer un raccordement immédiat et correct ». L’armée a également souligné que « le système d’approvisionnement en eau de la bande de Gaza repose sur diverses sources d’eau, notamment des puits et des installations de dessalement locales réparties dans toute la bande de Gaza, y compris dans la zone nord. » L’armée n’a pas répondu aux questions concernant ses bombardements de puits et d’installations de dessalement. (Article publié sur le site israélien-palestinien +972 le 23 avril 2025 ; traduction rédaction A l’Encontre)
Ibtisam Mahdi est une journaliste indépendante originaire de Gaza, spécialisée dans les questions sociales, en particulier celles concernant les femmes et les enfants. Elle travaille également avec des organisations féministes à Gaza dans les domaines du reportage et de la communication.
Un message, un commentaire ?