Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Médias

L’information est une arme (3) : la grande prohibition

Ce qui me chagrine, pire, qui me fait peur, c’est de voir comment des milliers de gens d’ici se sont retrouvés du jour au lendemain partisans farouches de l’Occident, endossant le dossard de l’OTAN, se réfugiant dans une vision dichotomique manichéenne opposant bons et méchants, en se rassurant de constater l’absence de démocratie et de droits et libertés à l’intérieur de la Russie, alors que nos médias font l’impasse depuis toujours sur les violations répétées des USA à l’égard du droit des peuples à l’autodétermination.

Bien entendu, la Russie viole bien plus les libertés individuelles que les États-Unis, même si la NSA a fait intrusion dans notre vie privée et que le logiciel Pegasus traque partout dans le monde, y compris en Occident, les dissidents politiques qui ne font pas l’affaire des autorités. Il faut bien sûr reconnaître qu’aucune comparaison n’est possible entre la Russie et les États-Unis. Le gouvernement russe brime maximalement les droits et libertés. Toutefois, les États-Unis violent bien plus que les Russes les droits collectifs des peuples partout sur la terre. Je préfèrerais vivre aux États-Unis plutôt qu’en Russie, mais je crois que je préfèrerais vivre en Russie plutôt que dans tous ces pays qui ont subi les bombes des États-Unis et qui sont désormais en ruine, vivant dans un indescriptible chaos quotidien.

Si je vivais en Russie, je serais sans doute un opposant farouche à Vladimir Poutine, sans avoir nécessairement le courage de ceux qui osent défier le personnage. Mais j’abhorre tout autant la partisanerie infantile partout présente dans nos médias. Il y a une condescendance violente dans la propagande qui inonde nos ondes. Il y a de la géopolitique de pacotille dans ces simplifications outrancières qui réduisent les enjeux à la psychologie d’un individu, que l’on se représente comme un monstre. De Saddam Hussein à Vladimir Poutine, en passant par Mouammar Kadhafi et Bachar Al Assad, le scénario est toujours le même. Pour convaincre la population de ses intentions belliqueuses, la propagande américaine diabolise le chef de l’État concerné pour en faire rien de moins que l’incarnation pure et simple du mal.

Russia today and you tomorrow !

On sanctionne la chaîne RT même si l’information qu’on y trouve rapporte souvent des vérités. Le médium fait tellement le message aux yeux de certains, qu’ils dénoncent le médium même quand le message véhiculé révèle un scandale réel ou des positions dérangeantes pour l’establishment. On a tout d’abord visé Wikileaks en 2016 en prétendant que l’organisation était à la solde de la Russie, sans détenir la moindre preuve en ce sens. On a condamné Wikileaks même si les infos rapportées au sujet des courriels d’Hilary Clinton étaient accablants (les contrats juteux avec Goldman Sachs et la tricherie du DNC en faveur de Clinton aux primaires contre Bernie Sanders).

On a ensuite visé Donald Trump, en postulant un Russiagate qui, après deux ans d’enquête du procureur Robert Mueller, s’est avéré sans fondement. Voilà maintenant que l’on s’en prend à la chaîne RT elle-même.

Voici ce que dit Chris Hedges de RT dans une entrevue menée par Amy Goodman à Democracy Now : « Je pense que si vous revenez en arrière et regardez le rapport du directeur du renseignement national de 2017, sept pages ont été consacrées à RT. Bien qu’ils aient accusé RT de diffuser de la propagande russe, tous les exemples qu’ils ont cités dans ce rapport étaient que RT donnait une voix aux militants de Black Lives Matter, aux militants opposés à la fracturation hydraulique, aux militants d’Occupy, aux candidats tiers – tout cela était vrai. Et donc, je pense que [l’effacement des émissions produites par la RT] en est le point culminant. On s’y attendait. J’étais dans votre émission, en fait, quand ils ont supprimé Trump des réseaux sociaux, et je m’y suis vigoureusement opposé, non pas parce que je veux un jour lire un autre tweet de Donald Trump, mais parce que nous ne voulions pas que ces entités opaques— elles savent tout de nous, mais nous ne savons rien d’elles —exercent ce genre de censure. Toutefois, je ne m’attendais pas, alors que j’intervenais pour ne pas supprimer Trump des réseaux sociaux, que je serais si rapidement l’une des prochaines victimes. »1

Ça a commencé par Assange « complice » de la Russie. Ça a ensuite affecté Russia Today, et voilà que plusieurs autres voix dissidentes, comme celle essentielle de Chris Hedges, sont désormais muselées.

La prohibition de l’information

L’information critique et dissidente ressemble de plus en plus à un produit jugé illégal que l’on se refile en contrebande. C’est la grande prohibition de l’information. Les sources d’informations dissidentes sont de plus en plus réduites et reléguées dans les marges. Je vais devoir me rabattre notamment sur The Grayzone, Investig’action, le Monde diplomatique, Substack, Canadian Dimension, Rumble, Scheer post, The Katie Halper show, Democracy Now, Le grand Soir, The New Atlas, et Electronic Intifada, ainsi que Presse toi à gauche pour avoir accès à des infos qui ne reproduisent pas celles des autorités officielles et qui ne succombent pas aux oppositions civilisationnelles qui se sont emparées de plusieurs esprits.

Notes
12. https://www.democracynow.org/2022/4/1/on_contact_chris_hedges_youtube_russia

Michel Seymour

Profs contre la hausse

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