Édition du 26 mars 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

La politique à gauche, un art du risque

Pendant plusieurs décennies à travers d’innombrables tentatives, j’ai participé à la construction de divers partis de gauche. Mon premier était en 1968 le Front de libération populaire (FLP). Nous étions en désaccord avec les Robin des bois que nous aimions bien (le FLQ), mais on ne croyait pas, dans tout notre émerveillement de 18 ans, à cette idée d’une révolution armée. Nous restions des radicaux, de manifestations en manifestations, à confronter les sbires de la police de Montréal. Finalement, notre jour de gloire est arrivé en 1969, avec l’« Opération McGill ». Ce fut la plus grande manif depuis longtemps, et évidemment, on étaient contents. Mais il y en avait qui réfléchissait, comme le brillant Stanley Gray, qui constatait que les gens, même ceux qui nous étaient sympathiques, nous prenaient pour des organisateurs d’émeute. On a fini par comprendre et alors, on est passé à autre chose.

Ma deuxième expérience a été avec le FRAP au moment où s’esquissait, à travers les syndicalistes de gauche, une proposition « réformiste-radicale ». Je faisais partie de ceux, Paul Cliche me le pardonnera j’espère, qui pensaient que le FRAP n’allait pas assez loin, que l’option électorale nous menait dans un cul-de-sac. Par chance ou par malchance, le FLQ, avec son chant du cygne d’octobre 1970, a réglé le problème à notre place, en donnant au gouvernement l’opportunité de casser le FRAP. Des jeunes, étudiants et syndicalistes, se sont alors regroupés dans les « comité d’action politique », plutôt hostiles à la politique traditionnelle, mais déterminés à embarquer dans les luttes de masses. Et c’est ce qu’on a fait. Avec une petite influence sur l’essor du syndicalisme de combat, ma petite organisation, Mobilisation, préférait travailler jour et nuit à animer des collectifs ouvriers qui étaient très créatifs pour briser le cercle de fer de la domination, mais qui n’avaient à peu près aucune idée de ce que serait une alternative. La politique, cela ne nous intéressait pas tellement.

« Petit » problème pour nous, le PQ, entre-temps, raflait la mise, au point où même nos camarades syndicalistes embarquaient dans l’aventure, pendant que nous restions dans le coin à rêver aux soviets. Plus tard, ce rêve est devenu un cauchemar, avec l’essor des groupes marxistes-léninistes, qui prenaient la « leçon » bolchévique au mot. Ce fut une catastrophe. Après l’élection surprise de 1976, les faits nous ont rattrapés. Plusieurs ont alors tenté de sauver la mise en se joignant au Regroupement pour le socialisme (RPS), initié par des syndicalistes et des chrétiens de gauche, qui voulait reprendre le mot d’ordre « socialisme et indépendance ». C’était un peu inconfortable, car nous combattions, en même temps, le PQ, les ML et les fédéralistes.

Dans les années 1980, on s’est retrouvés au bout du cycle. Les groupes ML se sont dissout, mais aussi le RPS et le Mouvement socialiste, cette initiative de Marcel Pépin pour créer une force sociale-démocrate. On comprenait un peu vaguement que l’idée d’une action politique radicale, « dans la rue » ou sur les lieux de travail, n’avait pas vraiment créé une alternative. Alors, que faire, comme dirait l’autre ?

Comme on étaient têtus, on a continué le travail qu’on connaissait le mieux, l’organisation populaire et syndicale. On a ajouté à cela une pincée de solidarité internationale, à peine une graine d’écologisme. Et on a continué.

Au début des années 1990, quelques futés ont recommencé à penser à l’action politique. Paul Rose qui s’était infiltré dans le NPD le transformait en organisation radicale. J’étais, je l’avoue, plutôt sceptique, mais je me disais, « tout à coup que … » Pendant ce temps, nos semences recommençaient à pousser dans le mouvement populaire, avec la Marche des femmes contre la violence et la pauvreté (1995) et le Sommet des peuples des Amériques (2001). L’influence du PQ commençait à retomber. Des péquistes déçus, voire écœurés des « lucides » (sous l’égide de Lucien Bouchard) branlaient dans le manche, malgré les douteux efforts de Gérald Larose. Paul Cliche, encore lui, a décidé de reprendre du service, lors d’une élection partielle dans Mercier. Il représentait, non-officiellement, l’Union des forces progressistes, un petit parti qui avait eu la bonne idée de ne pas aimer être petit. Après la brillante performance de Paul, François Cyr et Françoise David ont commencé à débroussailler l’idée d’une grande coalition arc-en-ciel, et c’est ce qui a débouché en 2006 sur Québec Solidaire.

La suite, on la connait. Pour la première fois au Québec, on a un projet de gauche « radical-réformiste » qui se tient debout. Sa force, il le tient aussi d’un mouvement populaire aguerri, qui a culminé avec la grève étudiante et les carrés rouges en 2012.

Aujourd’hui je milite dans mon quatrième parti et d’un jour à l’autre, je me surprends à me dire que cette fois-ci pourrait être la bonne. Il y a plusieurs indicateurs, dont la force du nombre. Avec toutes ses limites, QS n’est plus de l’ordre du « groupe d’affinité » qu’on connaissait avec les groupes de gauche d’antan. Autre qualité importante, on a arrêté de se prendre pour d’autres, d’êtres maniaques de la ligne juste. Même si, ici et là, il y a encore des camarades, dont je tairai le nom par charité (presque) chrétienne, qui se présentent comme des porteurs de la vérité. Mais c’est marginal. Des intellectuels de service, des syndicalistes dépassés, des nostalgiques de René Lévesque, ne sont pas contents et nous attaquent : c’est un autre bon signe !

En fin de compte, le projet de QS n’est plus le rêve socialiste qu’on a porté pendant des années et c’est tant mieux pour cela. Pas seulement parce que ce n’est plus très « cool », comme dirait mon fils, mais parce que ce projet, en dépit de ses histoires héroïques et courageuses, a échoué, quelque part entre le Mur de Berlin et la Place Tiananmen. C’est un passé sur lequel nous devons réfléchir et qui est rempli de sagesse et de courage, mais qui doit être redéfini en long et en large. Par exemple, il faut sortir de l’impasse de la croissance, de la productivité et du « progrès économique », et totalement réinventer une grande stratégie pour travailler, avec et non contre, la pachamama qui nous envoie des messages furieux.

Sincèrement, je pense que ça va prendre quelques générations avant d’y arriver.

Je dis cela avec une arrière-pensée positive. « On ne fait pas pousser la plante en tirant sur la tige », comme le dit l’expression. Les féministes aussi nous ont donné quelques leçons d’humilité au fil des années en nous rappelant que la lutte contre les ressorts cachés de l’oppression exigeait d’aller à la racine, et non de rester en surface.

Entre-temps, on peut, je dirais même, on doit, dépasser non seulement les anciens clivages de gauche, mais surtout, chercher dans le Québec « profond », en dehors des cercles militants qui, à eux seuls, ne peuvent pas prétendre être une force ayant un poids sur la et le politique.

Également, il faut sortir du périmètre, ce qui veut dire aller vers les « autres », qui sont maintenant 20% et plus d’un « nous » qu’il faut absolument mieux définir, d’une manière qui ne laisse planer aucun doute sur notre hostilité au nationalisme ethnique et frileux qui permet à une certaine droite d’avoir l’air pertinente. Sur le même registre, il faut « démontréaliser » la présence de la gauche en prenant le tournant des régions qui veulent avoir droit au chapitre, ce voulant dire, au pouvoir.

Québec Solidaire, c’est le début d’une longue marche qui finira peut-être (les obstacles sont immenses) à exprimer le sentiment populaire « qu’il faut que ça change ». Si je dis « longue marche », ce n’est pas pour faire allusion à une bande de bandits sans souliers qui ont fini par sortir la Chine de la misère ! C’est parce qu’il ne faut pas s’illusionner : il n’y aura pas de raccourci, ni de miracle. Le dispositif du pouvoir reste encore énormément puissant. Il a 1000 cartes en mains, y compris celle de faire capoter des partis progressistes (du NPD à Syriza, en passant par le PT brésilien et les socialistes français). Il est en mesure de sortir tous les vieux démons de l’idéologie du tout-le-monde-contre-tout-le-monde. Il essaie de noyer la flamme de la révolte avec des torrents d’individualisme possessif.

Alors là camarades, on se dit, comme nos frères et nos sœurs zapatistes, que nous sommes dans un marathon, et non pas dans un sprint.

Dans ce sens, je reste convaincu qu’un parti de gauche intelligent, comme QS, ne peut pas aller bien loin sans un puissant mouvement de masse auto-organisé. En même temps, un mouvement populaire qui ne se coalise pas, risque également de s’étioler et de générer du désespoir et des illusions. La magie dont on a besoin (bonne chance à tout le monde !), c’est de créer des intersections entre les « urnes » et la « rue ».

La bonne nouvelle est qu’on est plusieurs à penser à cela. La génération de 2012 « arrive en ville », selon l’expression consacrée. Elle a passé le test du feu. Elle a de l’énergie mais aussi, pas mal plus de sagesse qu’on avait à l’époque. Les jeunes de cœur, à l’ouvrage ou dans une retraite militante qui les fait militer six jours (et demie) sur sept, il y en a beaucoup, et sans renier leurs innombrables luttes, ils regardent vers l’avant. Têtes grises et jeunes tatoués, on se retrouve souvent ensemble, même s’il y a parfois (souvent !) des malentendus.

Des nouvelles personnalités émergent dans les mouvements populaires et même dans QS, comme Haroun Bouazzi, qui tente d’être investi candidat dans Crémazie-Maurice Richard. Il a le courage de confronter sans gêne le vieux nationalisme défraîchi tout en portant la cause d’une souveraineté populaire, sortie de sa gangue identitaire, celle qui pourrait, un jour, si on a un peu de chance, ouvrir le chemin de l’émancipation.

Je suis confiant et je me considère privilégié de vivre dans un (presque) pays où la chanson la plus populaire reste, au-delà des âges, « quand les hommes (et les femmes !) vivront d’amour, il n’y aura plus de misère… » !

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