Édition du 23 avril 2024

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Canada

La « transition durable » du Canada est de plus en plus conditionnée par la croisade de Washington contre la Chine

Notre politique à l’égard de la Chine n’a pas pour objet de défendre la démocratie.

Dans un contexte d’envol des prix des matières premières depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie et au moment où l’Europe cherche des solutions de remplacement aux ressources énergétiques russes, de nombreux membres de l’élite politique occidentale se font les hérauts d’une transition vers l’énergie durable. À cet égard, les pays occidentaux sont de grands parleurs mais de petits faiseurs.

Tiré de Canadian Dimension

Mercredi 16 novembre 2022 / DE : Owen Schalk -
traduction : Johan Wallengren

Reste que leurs belles paroles font les choux gras des acteurs de l’industrie minière transnationale, dont les activités sont de plus en plus financées par les États de l’hémisphère Nord en vue d’explorer et d’exploiter les réserves minérales essentielles de la planète.

Pour le secteur minier, les métaux entrant dans la composition des batteries sont devenus le nerf de la guerre de l’« énergie verte ». Cette année, l’événement Mining Indaba, un rassemblement annuel de pontes de l’industrie minière du continent africain et du reste du monde organisé en Afrique du Sud, était placé sous le signe de la « transition énergétique ». À cette occasion, un certain nombre d’oligarques bien placés dans le secteur minier ont fait allusion, dans leurs discours, aux questions de la durabilité et de la guerre en Ukraine. Robert Friedland, fondateur milliardaire de la société canadienne Ivanhoe Mines, a déclaré qu’il achèterait plus volontiers du platine de l’Afrique du Sud que de la Russie, ajoutant que le continent africain devra « développer beaucoup plus de mines » sur la voie de la transition énergétique au plan mondial.

Certains estiment que le marché mondial des batteries est appelé à croître de 20 % par an. Parallèlement, le Forum économique mondial affirme que «  [l]a production de minerais tels que le graphite, le lithium et le cobalt pourrait augmenter de près de 500 % d’ici à 2050 pour répondre à la demande croissante de technologies de production d’énergie propre. »

Le Canadian Mining Journal, favorable à l’industrie minière, a déjà braqué les projecteurs sur plusieurs mines de métaux pour batteries au Canada, dont la mine québécoise Nouveau Monde Graphite, déclarant que le Canada a tout ce qu’il faut pour mener le monde vers une transition énergétique durable : « des minerais et des matières premières essentiels, une solide expertise en matière d’exploitation et de transformation, ainsi qu’un gouvernement réputé ouvert aux affaires, dans un pays doté d’un système fiscal élaboré et de normes élevées en matière de protection de l’environnement, de droits de la personne et de conditions de travail, incluant la sécurité des travailleurs.  » Certains dans l’industrie minière qualifient dans la foulée le lithium ‑ un minerai essentiel à la fabrication de batteries pour véhicules électriques ‑ de « nouvel or » et exhortent le Canada à devenir un poids lourd international du lithium.

Ottawa a déjà commencé à financer des activités d’exploration dans des territoires canadiens peu exploités jusqu’ici, notamment des terres autochtones sur lesquelles ou à proximité desquelles se trouvent certaines des réserves potentiellement les plus lucratives. Dans les Territoires du Nord-Ouest, dont la population est autochtone pour plus de la moitié, le gouvernement fédéral a récemment commencé à offrir des subventions aux sociétés minières dans le cadre de son Programme d’encouragement aux activités minières, aux fins de «  l’exploration et [du] développement des diamants, de l’or et de plusieurs minerais essentiels ». Lors d’un appel téléphonique le 17 juin, le premier ministre Justin Trudeau et la première ministre des Territoires du Nord-Ouest, Caroline Cochrane, ont « discuté du grand potentiel de collaboration dans le domaine des minerais critiques, soulignant l’importance des activités minières pour l’économie des Territoires du Nord-Ouest. »

L’exploitation des minerais essentiels au Canada est également devenue une priorité à Washington. Un article récent de la CBC a illustré comment l’armée américaine a «  discrètement sollicité des demandes pour des projets miniers canadiens avec un financement public américain à la clé dans le cadre d’une importante initiative de sécurité nationale ». L’article note que la décision du gouvernement américain de suspendre les exportations de semi-conducteurs vers la Chine est la dernière mesure en date prise par Washington pour s’inscrire dans une « guerre froide numérique émergente dans laquelle le Canada est de plus en plus impliqué » caractérisée par une convergence des manœuvres vers les métaux de batteries. Les responsables canadiens ont déjà fourni à Washington une liste de 70 projets qui, selon eux, méritent un financement militaire américain direct. Ottawa a récemment fait pression sur les États-Unis pour qu’ils augmentent leur financement de l’industrie minière canadienne. En octobre 2022, le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, s’est rendu à Washington pour promouvoir les réserves minérales canadiennes, présentées comme un moyen de se passer de la Chine. Lors d’une réunion du Conseil des affaires canadiennes-américaines, il a appelé à un « découplage » complet d’avec la Chine et « d’autres régimes dans le monde qui ne partagent pas les mêmes valeurs... Les gens veulent commercer avec des gens qui, vraiment, partagent les mêmes valeurs. »

Avant la visite de M. Champagne, l’administration Biden avait déjà laissé entendre que ses politiques anti-chinoises seraient à l’image de celles de M. Trump : un soutien militaire considérable à Taïwan couplé à une limitation progressive des échanges dans des secteurs vitaux, notamment celui de la haute technologie, créant ainsi un vide que les capitalistes canadiens et leurs représentants au sein de l’appareil d’État se font fort de combler.

Il va de soi que les « valeurs » démocratiques ont peu à voir avec le soutien inconditionnel du Canada aux politiques agressives des États-Unis envers la Chine. En 2017, M. Champagne a visité le Qatar et les Émirats arabes unis dans le cadre du « programme commercial progressiste du gouvernement. » En tant que ministre des Affaires étrangères, il est le représentant gouvernemental qui a eu à annoncer que le Canada continuerait d’exporter des armes vers l’Arabie saoudite après les horribles crimes de guerre au Yémen et le meurtre de Jamal Khashoggi. C’est encore M. Champagne qui, en avril 2022, a rencontré l’ambassadeur d’Israël (où règne l’apartheid), et a déclaré que les discussions avaient porté sur «  la façon dont nous pouvons travailler ensemble pour donner de l’élan à nos économies par le biais du commerce et de l’innovation. »

La politique canadienne à l’égard de la Chine n’a pas pour objet de défendre la démocratie. On ne peut même pas parler d’une manifestation de plus de l’aplaventrisme face aux États-Unis sur les questions géopolitiques déterminantes de notre époque. L’État capitaliste canadien vise plutôt les retombées en gains matériels issus de la diabolisation de la Chine et du fait d’inciter d’autres pays à réduire leurs échanges avec ce pays ou à lui tourner le dos entièrement. Les gains anticipés viendraient en premier lieu de l’industrie florissante des métaux pour batteries du Canada, que les dirigeants politiques et les personnalités de l’industrie canadiens s’efforcent de développer pour supplanter la Chine sur les marchés internationaux.

Owen Schalk est un rédacteur et écrivain basé à Winnipeg. Il s’intéresse principalement à l’application des théories de l’impérialisme, du néocolonialisme et du sous-développement au capitalisme mondial et au rôle du Canada à cet égard. Son site Web se visite à l’adresse www.owenschalk.com.

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