Édition du 26 mars 2024

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Élections fédérales 2019

Le Canada de Trudeau : un faux leader climatique

Le Canada a travaillé d’arrache-pied pour se bâtir une réputation de nation juste et pacifiste. Cette image est incarnée par le Premier ministre actuel, Justin Trudeau, qui, lors de son élection en 2015, avait promis d’amener ses « voies ensoleillées » (ou sunny ways), suite aux 10 ans de gouvernement conservateur.

Tiré du Journal des alternatives.

C’est en accord avec son image « ensoleillée » que Trudeau a annoncé, lors de la réunion du G7 à Biarritz, fin août, que le Canada offrirait 15 millions de dollars pour lutter contre les incendies qui ont sévi en Amazonie et qui menaçaient de causer des dommages irréparables à l’un des écosystèmes les plus vastes de la planète.

En faisant preuve d’esprit critique, cette image du Canada en tant que nation progressiste et prônant le maintien de la paix se détériore rapidement. En effet, le pays a soutenu la plupart des interventions étrangères dirigées par les États-Unis - des exemples récents incluent l’Afghanistan et la Libye - et fait partie du réseau de surveillance et de renseignement anglophone connu sous le nom de 5Eyes, responsable de la surveillance de masse et de l’interception de données, comme en témoignent les révélations d’Edward Snowden.

Le gouvernement canadien appuie également les actions abusives et criminelles de ses entreprises au pays et à l’étranger. Bien sûr, à cela s’ajoute également la marginalisation et l’oppression continues des peuples des Premières Nations.

Malgré cela, le Canada souhaite être perçu comme un leader efficace de la crise climatique. L’aide pour l’extinction des incendies en Amazonie cadre parfaitement avec l’habitude qu’a Trudeau d’offrir des solutions symboliques et inefficaces au problème qui est, en grande partie, alimenté par les politiques et les actions canadiennes.

L’hypocrisie du gouvernement est exposée presque tous les jours. Récemment, il s’est engagé à interdire le plastique à usage unique, puis a annoncé qu’il financerait la construction d’un important pipeline quelques jours plus tard. Le Canada est en effet l’un des principaux coupables de la crise climatique et doit donc être tenu pour responsable et dénoncé fermement tant par ses citoyens que par la communauté mondiale.

Soutien actif à l’industrie des combustibles fossiles

Étant donné l’importance perçue des sables bitumineux canadiens pour l’économie du pays, peu de politiciens sont disposés à critiquer l’industrie pétrolière opérant dans l’Ouest canadien. Malgré les appels renouvelés d’experts et d’organismes internationaux tels que l’ONU pour mettre fin à cette forme d’extraction extrêmement dommageable et coûteuse -extraire un baril de pétrole des sables bitumineux nécessite deux à cinq barils d’eau et les émissions générées par les sables bitumineux sont de trois à quatre fois plus élevée que celle du pétrole conventionnel (bien que ces chiffres soient conservateurs, certaines études affirment qu’il est beaucoup plus élevé) -, le Canada a continué de permettre à l’industrie de l’extraction de pétrole d’extraire du pétrole des sables bitumineux à un rythme alarmant.

En raison de l’exploitation continue des sables bitumineux, les émissions de carbone du Canada ont augmenté de 8 millions de tonnes en 2017, ce qui signifie que le pays ne parviendra probablement pas à atteindre ses objectifs de réduction des émissions.

En outre, afin de faciliter le transport et l’exportation de pétrole provenant de sables bitumineux, le gouvernement fédéral a activement soutenu la construction de plusieurs grands pipelines - Keystone XL et Trans Mountain en étant des exemples récents - ce qui lui a value la condamnation des groupes écologistes et des activistes.

Ces groupes soulignent à juste titre que l’utilisation de pipelines supplémentaires favorisera non seulement l’augmentation des taux de production de pétrole tirés des sables bitumineux, mais posera également un risque important pour les écosystèmes et les voies navigables qu’ils traversent - mettant notamment en danger l’habitat humain. De plus, la plupart des pipelines proposés traversent des territoires autochtones, amplifiant les risques pour la population riveraine des installations et faisant écho au mépris du gouvernement fédéral pour ces communautés.

Malheureusement, le soutien du Canada à l’industrie des combustibles fossiles ne se limite pas à la protection de la production de pétrole des sables bitumineux et à la construction de pipelines. La myriade de subventions accordées aux entreprises canadiennes reste plus nébuleuse. Ces exemptions, d’une valeur totale de 3,3 milliards de dollars, sont destinées à promouvoir les combustibles fossiles. Conséquemment, le gouvernement invite activement les entreprises à exploiter les abondantes ressources naturelles du pays aux dépens de la population et de l’environnement.

Ces subventions vont directement à l’encontre de la taxe sur le carbone du gouvernement Trudeau, l’une de ses « solutions » les plus connues au monde à la crise climatique. En effet, comme l’a déclaré l’Institut international du développement durable (IIDD) : « C’est comme augmenter les taxes sur les cigarettes pour décourager le tabagisme, tout en accordant aux sociétés productrices de tabac un allégement fiscal leur permettant de fabriquer plus de cigarettes. »

La corruption se mêle au climat

Ceux qui suivent la politique canadienne auront connaissance de l’affaire SNC-Lavalin qui a fait perdre beaucoup de crédibilité au gouvernement Trudeau. Il y est allégué que le gouvernement a interféré avec le système judiciaire afin de protéger SNC-Lavalin contre des accusations de corruption. La firme québécoise aurait acheté le gouvernement libyen dans le but de se voir accorder des contrats lucratifs, notamment un contrat de 58 millions de dollars pour la construction du pipeline de Benghazi.

La collusion entre le gouvernement canadien et SNC-Lavalin pourrait, à première vue, ne sembler avoir aucun rapport avec les problèmes climatiques. Cependant, SNC - Lavalin, l’une des plus grandes sociétés d’ingénierie au monde, génère chaque année des milliards de dollars de bénéfices provenant des industries extractives. La société est également très présente au Moyen-Orient, notamment en Libye et en Arabie saoudite, où ses 9 000 employés contribuent à la construction et à la maintenance des infrastructures de l’industrie des combustibles fossiles. Le rôle de SNC-Lavalin en ce qui concerne la destruction du climat est donc indéniable.

Les liens intimes du gouvernement canadien et de SNC-Lavalin semblent constituer un autre exemple de son soutien pour l’industrie extractive et, par extension, de sa responsabilité face à la crise climatique.

Destruction à l’étranger

SNC-Lavalin est loin d’être le seul exemple d’entreprise canadienne qui profite de la destruction de l’environnement. Les sociétés minières canadiennes s’emploient activement à détruire les écosystèmes et à commettre des violations des droits de la personne dans le monde entier.

Parmi celles-ci figure Barrick Gold, l’une des plus importantes entreprises d’extraction aurifère au monde. Selon un rapport publié par Human Rights Watch (HRW) en 2011, cette société déversait des tonnes de déchets chimiques toxiques - 16 000 tonnes par jour - dans des rivières de Papouasie-Nouvelle-Guinée, empoisonnant ainsi l’approvisionnement en eau des communautés locales. L’ampleur de la catastrophe écologique a même amené la Norvège à retirer Barrick Gold de ses fonds de pension. Comme indiqué dans le rapport de HRW :

« Le fonds de pension du gouvernement norvégien a exclu Barrick de son portefeuille d’investissement en mars 2009 sur recommandation de son Conseil d’éthique, qui a estimé que la pratique de la société en matière d’élimination des résidus fluviaux comportait des risques inacceptables pour la santé humaine et des “dommages irréversibles à long terme” pour l’environnement. »

Barrick Gold est également été accusé de crimes horribles contre des populations locales, notamment des assassinats ciblés commis par son fournisseur de services de sécurité ainsi que des viols collectifs. De plus, en juin 2019, un reportage publié par The Guardian a exposé les dommages considérables de l’environnement et les violations des droits humains perpétrés par la société minière en Tanzanie.

Les entreprises canadiennes ont également été responsables de destructions environnementales importantes en Amérique latine. Au Venezuela, la société canadienne Crystallex, également une société minière, a poursuivi le gouvernement avec succès en 2011, afin de pouvoir accéder à la forêt Imataca, l’une des plus grandes zones de conservation du pays et abritant plusieurs communautés autochtones. On estime maintenant que plus d’un dixième de la forêt a été détruite par les activités minières.

Au Costa Rica, Infinito Gold, une entreprise canadienne, a fait pression sur le gouvernement afin d’obtenir l’autorisation de créer une énorme mine à ciel ouvert dans la zone de conservation de Cerro Crucitas - le projet étant officiellement approuvé en 2015.

Il est déplorable que les sociétés canadiennes soient autorisées à tirer profit de ce type d’abus. Ce qui est encore plus déplorable, toutefois, est le silence assourdissant du gouvernement canadien qui, malgré tous ses discours sur la durabilité écologique, ne condamne pas ces entreprises et leurs actions.

Un moment crucial

Grâce à son soutien continu aux industries extractives, chez nous et à l’étranger, et à son profond manque de transparence, le Canada a aidé et encouragé ceux qui souhaitent tirer profit de la destruction de l’environnement et des changements climatiques.

Alors que les températures mondiales devraient augmenter de deux degrés ou plus au cours des prochaines décennies, rendant de nombreuses régions inhabitables pour les êtres humains et provoquant l’effondrement des écosystèmes, il est temps de dénoncer les paroles creuses du gouvernement Trudeau et de tenir le Canada responsable de son soutien à l’éco-criminalité.

Les actions de désobéissance civile menées par des groupes tels que le mouvement climatique mené par les jeunes, ainsi que par les Premières nations et d’autres militants, devraient être largement soutenues par le public. En effet, l’un des principes fondamentaux de ces mouvements est de « dire la vérité sur l’urgence climatique », ce qui implique donc de dénoncer les échecs monumentaux du Canada qui se garde de condamner la destruction de l’environnement et les atteintes aux droits humains perpétrées par des entreprises canadiennes. Cela implique aussi la dénonciation de l’inefficacité du gouvernement et de ses politiques énergétiques dangereuses.

Dans le cadre des prochaines élections fédérales, le climat sera sans aucun doute un sujet de premier plan pour la politique canadienne. La plupart des candidats sauront avec fourbe saisir l’inquiétude croissante que suscite le climat pour gagner des points auprès du public. Sans surprises, le parti libéral s’en est déjà servi pour atténuer le récent scandale du blackface de Trudeau.

C’est un moment crucial pour que les Canadiens dénoncent l’hypocrisie du gouvernement en matière d’environnement et exigent que les abus commis par des sociétés canadiennes à l’étranger soient dénoncés.

De plus, compte tenu de l’urgence de la crise climatique, la condamnation de la population canadienne devrait aller au-delà des urnes et dans la rue - une action collective importante est nécessaire pour renforcer la responsabilité climatique et promouvoir une transition juste et durable tenant dûment compte des droits et des luttes des Premières Nations.

D’ici là, la rhétorique perverse du Canada sur le climat reste vide et risible.

*Article publié d’abord sur le site de Roar Magazine. Traduit par Elizabeth Leier.

Elizabeth Leier

Elizabeth Leier est journaliste pigiste et étudiante diplômée à l’Université Concordia à Montréal. Elle s’intéresse à la politique internationale, à la politique étrangère et à la justice climatique. Elizabeth est membre du comité de rédaction du Journal des Alternatives.

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