Édition du 19 mars 2024

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Québec

Le discours d’ouverture de François Legault : un appel à la solidarité nationale pour le plus grand profit des possédants

Dans son discours d’ouverture de cette session de l’Assemblée nationale, François Legault a appelé les Québécois·e·s à se serrer les coudes au nom de la cohésion nationale et à travailler tous ensemble pour le Québec. « Ce qu’on veut, a-t-il dit, c’est un Québec plus prospère, plus vert et plus fier… ». Mais, que cachent ces propos ? Derrière sa rhétorique fumeuse, il nous prépare les mêmes politiques conservatrices taillées sur mesure pour défendre les intérêts de la classe dominante.

Le premier ministre se préoccupe de l’écart de richesse … avec l’Ontario

Il a abordé la question de l’écart de richesse, non pour parler du renforcement des inégalités et de la concentration des richesses au sommet de la société, mais pour déplorer l’écart des richesses de la société québécoise par rapport à l’Ontario. Pour ce qui est de réduire l’écart des richesses qui se creuse dans la société québécoise à l’heure de la montée de l’inflation, c’est là son moindre souci. Ce n’est pas des chèques de 600$ et 400$ envoyés à la population du Québec qui va s’attaquer au développement des inégalités. La fixation d’un plafond de 3% de hausse des tarifs gouvernementaux est un bien piètre bouclier contre l’inflation. L’indexation des salaires, qui pourrait empêcher l’érosion du pouvoir d’achat n’est même pas envisagée. Il rejette toute perspective de hausser le salaire minimum à 18$ de l’heure, de bloquer la hausse des loyers et de taxer les surprofits des entreprises pétrolières et gazières et des grandes chaînes d’alimentation qui engrangent des profits comme jamais. Pour ce qui est d’une réforme permettant de mettre en place une fiscalité davantage progressive et de lutter contre les paradis fiscaux afin de lutter contre les inégalités sociales, cette perspective n’est même pas envisagée par le premier ministre.

Le premier ministre demeure aveugle aux fondements de la pénurie de main-d’œuvre

François Legault nous a parlé de pénurie de main-d’œuvre, mais il a été incapable d’identifier les fondements de cette pénurie qui se retrouvent dans la précarité imposée aux travailleuses et travailleurs dans nombre de secteurs allant de l’hôtellerie aux services publics et dans l’insuffisance des salaires payés par les entreprises et les services publics. C’est cette précarité et ces trop faibles salaires qui poussent à la grande démission. Cette grande démission, que l’on retrouve dans toute une série de pays, est au fondement de cette pénurie de main-d’œuvre, mais le parti pris capitaliste du premier ministre le rend tout à fait capable de saisir cette réalité.

Le sous-investissement en santé et en éducation, la détérioration des conditions de travail qui en découlent expliquent à la fois le caractère peu attractif de ces secteurs pour les nouveaux arrivants sur le marché du travail, mais aussi la faible capacité de rétention des employé-e-s de ces secteurs. Le manque de personnel conduit à une utilisation du travail supplémentaire obligatoire qui est un véritable cancer pour les travailleuses et travailleurs de la santé. Ce sous-investissement va même au-delà des mauvaises conditions de travail. Il débouche sur la détérioration du cadre bâti lui-même qui transparaît par des écoles vétustes et mal aérées ou des hôpitaux dont les rénovations sont sans cesse repoussées.

Au lieu du réinvestissement massif qui s’impose, le premier ministre propose la mise en place d’hôpitaux privés. Soumettre la santé de la population du Québec à la logique des profits et des économies des propriétaires des cliniques et d’hôpitaux privés ne pourra que déboucher sur la diminution des effectifs du secteur public et conduira à un nouvel affaiblissement de l’accessibilité aux services. Mais, François Legault garde le silence sur les agences de placement en santé qui drainent des personnels vers le privé... Sa politique de privatisation ouverte va affaiblir encore plus le système de santé…

L’enthousiasme du premier ministre pour l’économie verte

Dans son discours, François Legault accorde au Québec un satisfecit en ce qui concerne sa politique climatique. Il souligne que le Québec émet moins de 50% de GES que le reste de l’Amérique du Nord et qu’il est donc un leader en ce qui concerne la lutte aux changements climatiques. Comme le soulignait Gabriel Nadeau-Dubois, se comparer à des États pétroliers, c’est se donner le beau rôle, mais c’est refuser de préciser les défis qui sont devant nous.

Pour le premier ministre, le soutien à une économie verte passe par le développement de nouveaux secteurs : production de batteries (au lithium), d’aluminium vert, d’acier vert, d’hydrogène vert… En fait l’économie verte, à laquelle il identifie faussement la lutte aux changements climatiques est présentée comme une occasion rêvée pour les entreprises de développer leurs capacités d’accumulation et leur rayonnement sur la scène internationale. Son gouvernement, promet-il, continuera à aider financièrement les entreprises pour profiter de cette manne que peuvent constituer ses nouveaux champs d’investissement. Cette économie verte est clairement tournée vers l’exportation, à commencer par l’hydro-électricité afin de satisfaire aux besoins des États-Unis. Sa volonté de construire de grands barrages s’inscrit dans son projet de croissance sans frein de l’économie… Ce serait là un moyen non seulement de développer les capacités d’exportation d’énergie, mais également de faire du Québec un pôle d’attraction d’investissements des entreprises multinationales les plus consommatrices d’énergie et particulièrement d’une énergie à bon marché.

En passant le premier ministre se dit prêt à soutenir les investissements dans l’éolien ou le solaire pour rappeler aussitôt que ces énergies sont intermittentes et qu’elles ne sauraient donc pas éviter de grands investissements dans de nouveaux barrages.

Le premier ministre ne souligne pas qu’il se propose de continuer à faire plus d’investissements dans les infrastructures autoroutières que dans le développement du transport en commun. Il pousse son humour cynique au point de plaisanter sur le consensus qu’il dit percevoir autour du 3e lien alors qu’il sait pertinemment qu’il n’en est rien.

Il n’a pas osé rappeler que le Québec n’a pas été capable de parvenir à ces cibles de réduction des GES. Il n’a pas osé avouer que son « Plan pour une économie verte (PEV) contenait des mesures ne permettant d’atteindre que la moitié de son objectif de 37,5% de réduction des GES. .

L’économie verte est une économie de la croissance rapide. La croissance capitaliste refuse de tenir compte des limites de la planète et de ses ressources. Voilà une autre perspective que le premier ministre Legault refuse d’envisager. Un des vecteurs de cette croissance est le tournant numérique de l’économie capitaliste . Le mot innovation mobilise le premier ministre. L’augmentation de la productivité de l’économie passe par sa numérisation… Il semble s’enthousiasmer face aux autos intellligentes, et autres objets connectés. Que ce tournant numérique, autour de la mise en place d’un réseau 5 G, lui jamais identifié, soit très émetteur de GES, ne le préoccupent nullement. L’économie verte comme occasion d’affaires semble le seul biais par lequel le premier ministre voit la lutte aux changements climatiques, alors que ces orientations croissancistes nous mènent droit dans le mur. En l’absence d’une rupture avec les modèles actuels d’investissements favorisant la production d’une multitude d’objets connectés, l’hyperconsommation et l’utilisation des plus en plus d’énergies et de ressources, le développement de l’économie numérique va nous conduite à un nouveau bond dans l’augementation des émissions de GES.

L’immigration, un danger pour la langue française et pour la nation québécoise elle-même soutient le premier ministre

La restauration de la fierté passe pour lui par l’arrêt du déclin du français en particulier à Montréal. Il n’hésite pas à faire porter l’avenir de la langue française sur les épaules des personnes migrantes. Il refuse d’identifier la domination de l’économie par les élites canadiennes et américaines comme la principale source de la domination de l’anglais. Il refuse de voir que ce n’est que notre indépendance qui pourrait faire du français une langue nationale qui pourrait s’imposer. Mais la fondation de son parti écartait cette perspective. Il identifie donc un bouc émissaire de l’affaiblissement du français et ce sont les personnes migrantes. Ces dernières constitueraient même un danger pour la survie de la nation québécoise. Il pousse la démagogie à ce niveau semant ainsi les germes de la xénophobie. Il utilise des critères civilisationnels pour le choix des immigrant-e-s dont 100% des personnes qui postulent à une immigration permanente devraient avoir une connaissance du français avant d’arriver au pays… Mais, en fait, il favorise de plus en plus une immigration de travailleuses et travailleurs précaires et sans droits que l’on retrouve dans l’agriculture, les services publics, la restauration et l’hôtellerie. Mais surtout, sa vision étroitement économiste de la question des migrations l’amène à identifier les demandeurs d’asile, comme des indésirables… et des coûts pour sa province. C’est ainsi qu’il finit son discours en soulevant ses préoccupations sur le nombre de demandeurs d’asile passant par le chemin Roxham.

Son refus de reconnaître l’existence du racisme systémique est particulièrement pénible pour les Premières Nations qui y voient le refus de reconnaître le colonialisme que ces nations ont subi tout au long de leur histoire… Pour les Premiers Nations, il a de bons mots, mais il refuse de se prononcer sur l’essentiel.

À son appel à la solidarité nationale pour le plus grand profit des possédants, il faut opposer un appel à une solidarité des classes ouvrières et populaires dans toutes composantes afin de pouvoir opposer à ce gouvernement une société égalitaire, démocratique, libre et indépendante. À ce gouvernement de l’aplaventrisme devant Ottawa, nous opposons un projet d’un Québec indépendant, égalitaire et internationaliste.

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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