Édition du 26 mars 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

Le pouvoir : le prendre ou le fuir

Depuis longtemps, les mouvements populaires cherchent le bon chemin pour trouver l’émancipation. Parfois, on pense l’avoir trouvé et puis, quelques années plus tard, cela n’est plus évident. Par exemple, pendant longtemps, plusieurs mouvements ont pensé qu’on pouvait avancer en appuyant des partis ou des projets qui se disaient progressistes. Au Québec, cela était le cas avec le PQ, du moins dans ses premières années. L’idée sous-jacente était un peu pessimiste, comme si les mouvements, même en se mettant ensemble, ne pouvaient pas présenter leur propre projet.

Dans les pays capitalistes industrialisés, au Québec comme ailleurs, on a eu ainsi une sorte d’alternance : d’un côté, le pire, soit la droite bête et méchante (comme Duplessis ou Harper) et de l’autre, le moins pire, le capitalisme « à visage humain ». Le plus ennuyeux était le fait que des groupes qui se disaient au départ socialistes, devenaient, au fil des années, des partisans du « moins pire », comme le PQ justement, ou encore le NPD.

Une certaine pensée de gauche entretenait ce défaitisme en prétendant qu’en soi, le pouvoir était une mauvaise chose, un piège à éviter. Sous prétexte d’être Révolutionnaire (avec un R majuscule), on se tenait loin d’une scène politique passablement abêtie : « c’est perdu d’avance », disait-on. Restait alors la rage de résister, sinon une pensée un peu magique à propos d’un grand changement qui ne venait jamais.

Ce débat est encore présent aujourd’hui, mais pas nécessairement de la même façon. Lors du dernier Forum social mondial à Montréal, plusieurs sessions ont abordé la question : faut-il s’insérer dans le jeu politique tel qu’il existe aujourd’hui (avec ses côtés pervertis, voire aliénants), ou encore, se réfugier dans des espaces « libérés » où, se pensant à l’abri du pouvoir, on pourra construire le pouvoir populaire, quitte à le faire dans un quartier, un village, une ville ?

Je dirais que la majorité des militant-es s’inscrivent dans la première option, mais ils sont beaucoup plus prudents qu’avant. Et pour cause. Les interventions politiques des mouvements populaires en Amérique latine par exemple, ont permis des avancées sociales, une amélioration de la vie des gens ordinaires. Mais elles n’ont pas débouché sur une reconfiguration du pouvoir, comme on le voit au Brésil. Porté au pouvoir par les mouvements populaires, le populaire Lula a préféré s’accommoder avec les réseaux occultes qui continuent de contrôler la société et l’économie brésilienne. 15 ans plus, on est dans une impasse avec le retour de la droite alors que les couches populaires, démobilisées par les pratiques controversées du PT, sont passives. On pourrait dire que quelque chose d’un peu semblable s’est passé en Grèce. Au départ, Syriza portait le drapeau du changement. Une fois élu, on a négocié, à la baisse, une sorte de capitulation devant l’oligarchie financière européenne.

De là à dire qu’on doit délaisser ce terrain, il y a une marge. Il y a encore des projets politiques qui ont le vent dans les voiles, comme en Espagne ou en Bolivie. La situation est loin d’être parfaite, mais il y a un changement significatif dans les dispositifs du pouvoir avec une irruption citoyenne. L’élection des candidats progressistes est la conséquence, et non la cause, d’une transformation de la société. À savoir si cela va continuer longtemps, eh bien, il est trop tôt pour le dire…

Du côté des sensibilités libertaires (je préfère ce mot à celui d’anarchistes, car les libertaires représentent un éventail plus vaste de conceptions politiques non-traditionnelles), il y a aussi une évolution. Sans penser une seconde qu’on peut changer la situation de manière radicale en gérant, de manière plus humaine, le pouvoir capitaliste actuel, on peut penser que des interventions sur le terrain politique peuvent aider (en Amérique latine on dirait « capaciter ») les luttes et les mouvements populaires. C’est le cas, par exemple, à Barcelone, où la mairie progressiste, loin de se substituer aux mouvements et de se prendre pour d’autres, devient un outil de plus pour défier les dominants.

En réalité, on ne peut pas « échapper » au pouvoir et son « gérant général », c’est-à-dire l’État. Cet État n’est pas une chose, un lieu, un organisme, mais un rapport social, qui investit toutes les spores de la société. Il n’y a pas réellement un « ailleurs » ou un « au-delà » de l’État et par conséquent, il faut lutter à la fois sur tous les terrains. En occupant des parcelles de pouvoir (que cela soit dans les municipalités, les institutions, voire les parlements), les mouvements participent à une vaste « guerre de position », qui se joue aussi et surtout à la base, dans la société, partout où le peuple peut s’auto-organiser. La transformation, c’est justement cela, l’auto-organisation du peuple, et non pas l’élection de 10 ou 50 conseillers municipaux ou députés.

Par contre, les 10 ou 50 élus peuvent aider, faire résonner la voix du peuple dans les enceintes du pouvoir, et enrichir les mouvements des connaissances qu’on acquiert en côtoyant les dominants. Pour que ce « mariage » entre élus progressistes et mouvements populaires se fasse, il faut cependant être vigilant. Les élus ne sont pas les « cheufs ». Les partis ne commandent pas aux mouvements. La réalisation des mandats élus doit se faire de manière stricte, ce qui inclut le respect des engagements, la révocabilité et aussi, de s’en tenir à des conditions matérielles en phase avec celles que connaît le peuple. Des élus qui triplent leur salaire, cela ne sent pas bon, car inévitablement, ils vont avoir tendance à s’accrocher à leurs mandats au lieu de représenter ceux qui les ont mandatés.

Comme on a appris de ne pas se fier aux belles paroles, il ne faut pas entendre les chansons des partis qui disent « ne vous en faites pas, on ne sera pas comme les autres »… Il faut mettre en place des mécanismes. Par exemple, des mouvements populaires peuvent construire des plateformes unitaires, des sortes de tables de convergence permanentes, pour vérifier ce que font les élus, même de gauche. Jamais, ils ne doivent devenir dépendants (politiquement et financièrement) des structures politiques. Organisationnellement et intellectuellement, les mouvements doivent se tenir debout, alertes, critiques et mobilisés. C’est un beau pari.

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