Édition du 23 avril 2024

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Canada

Idle No More

Les Innus de Pakua Shipi protestent contre Nalcor

Depuis qu’il est né, à l’automne 2012, le mouvement de protestation Idle No More ne cesse de monter en puissance. Et avec lui éclosent des luttes aux quatre coins du pays. C’est dans ce sillage que s’inscrivent les actions menées par la communauté innue de Pakua Shipi (basse Côte-Nord) depuis mars dernier. À deux reprises, du 2 au 5 mars, puis du 30 avril au 3 mai, une vingtaine de membres de cette communauté innue ont posé des barricades au Labrador et au Québec. C’est d’abord sur la 510, entre Goose Bay et Cartwright, puis sur la 389, un peu au-dessus de Baie-Comeau au niveau de l’énorme barrage Manic 5, qu’ils se sont postés pour protester contre la construction par Nalcor d’une ligne hydroélectrique à haute tension sur leur territoire ancestral.

Tiré du journal Ensemble.

La toundra s’étend à perte de vue aux alentours de la route 510, là où Denis Mestenapéo, le chef de la Première Nation de Pakua Shipi (Saint-Augustin), a décidé de poser une barricade au début du mois de mars dernier. Le barrage filtre les automobiles et laisse passer civils et urgences, seuls les véhicules estampillés Nalcor et liés au chantier du barrage de Muskrat Falls sont priés de rebrousser chemin. En effet, c’est à Nalcor – entreprise énergétique de la province Terre-neuve et Labrador - que s’adressent les protestations.

Muskrat Falls sera le troisième barrage du complexe Churchill Falls, celui qui divise le Québec et le Labrador depuis sa construction. Construit sur la Lower Churchill River, il générera 824 megawatts d’électricité qui seront transportés jusqu’à la côte est des États-Unis par 1500 kilomètres de ligne à haute tension. C’est cette ligne qui est la cause du conflit entre Nalcor et la Première Nation de Pakua Shipi. Ces derniers reprochent à l’entreprise de ne pas les avoir pris en considération depuis le début du projet, en 2012. La ligne de transport doit traverser leur territoire ancestral qui s’étend de part et d’autres de la frontière entre le Québec et le Labrador. En effet, les Innus sont traditionnellement nomades et ils parcouraient déjà cet espace bien avant la colonisation.

Que Pakua Shipi soit situé au Québec est l’argument employé par Nalcor pour refuser de négocier. Il se trouve qu’après plusieurs années de bras de fer, les Innus du Labrador sont arrivés à une entente comprenant un traité territorial et une « entente sur les Répercussions et les Avantages ». Les ententes ERA (IBA en anglais) prévoient notamment emplois et formations pour la communauté autochtone concernée.

C’est à une solution de ce type que Pakua Shipi aspire. Guy Bellefleur, négociateur sur cette action et ancien chef de La Romaine, a déclaré que les Innus n’étaient pas contre le progrès, ils savent que la ligne se fera avec ou sans leur accord. Mais il a souligné l’importance pour eux d’être consultés, de bénéficier de possibilités de développement, et de faire reconnaître leur savoir ancestral en ce qui concerne le territoire.

À l’issue de la première barricade, qui réclamait la réouverture de négociations, Ottawa, Terre-Neuve et Pakua Shipi se sont assis autour d’une table. Mais la province de Terre-Neuve a bloqué le dossier, refusant d’entendre les réclamations. Les Innus ont donc mis leurs menaces à exécution en barricadant à nouveau une route empruntée par les véhicules de Nalcor. C’est cette fois au Québec, au nord de Baie-Comeau, sur la 389, qu’ils sont venus manifester.

Des épinettes ou une simple bande de rubalise (ruban de sécurité rouge et blanc) composent les barrages filtrants. La GRC et la SQ sont venues assurer la sécurité et, s’il y a bien quelques passants mécontents, l’ambiance reste calme.

Lors de la première barricade, les gardes-chasse sont venus à plusieurs reprises, rappelant que la question de la chasse au caribou dans cette région est un dossier sensible : la population de caribous au Labrador subit un déclin drastique depuis quelques années. Le gouvernement provincial rejette la faute sur la chasse sportive, tandis que les Premières Nations accusent les projets énergétiques.

La deuxième barricade était un simple message selon François Lévesque, l’avocat du conseil de bande. Si la situation ne se débloque pas, des protestations « plus sérieuses » sont à attendre.

L’affaire est donc à suivre.

Alice Lefilleul

Journaliste pour le journal Ensemble (Québec)

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