Édition du 10 décembre 2024

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Québec

Les travailleurs étrangers temporaires ou l’esclavage moderne

La question de l’immigration temporaire est sur toutes les lèvres depuis décembre 2023, alors que Statistique Canada nous apprenait qu’il y a plus d’un demi-million d’immigrants temporaires au Québec. Dans l’ensemble du Canada, le nombre s’établit à 2,5 millions de personnes en situation d’immigration temporaire, réparties selon trois catégories : travailleurs étrangers, étudiants internationaux et demandeurs d’asile.

14 février 2024 |tiré de l’Aut’journal

Des établissements d’enseignement, surtout les collèges privés non subventionnés, de même que certaines compagnies, comme Amazon ou Dollarama, contribuent à cette situation ou, du moins, en profitent beaucoup. Ces organisations à but lucratif ont en commun d’exploiter sans vergogne les populations issues de l’immigration temporaire, qui comptent parmi les plus précaires de notre société.

En éducation, on se rappellera des écoles Matrix qui, par des stratagèmes méprisables, leurraient des jeunes gens d’origine indienne et leur faisaient payer jusqu’à 25 000 $ pour des Attestations d’études collégiales (AEC) de piètre qualité. Du côté des entreprises, un rapport du syndicat des Métallos révèle une explosion du recours au PTET (Programme des Travailleurs Étrangers Temporaires). Le nombre d’individus participant à ce programme est ainsi passé de 7 180, en 2017, à 59 000, en 2023. Pour Dominic Lemieux, directeur québécois des Métallos, cette situation est troublante. Je discute avec lui pour en apprendre davantage.

Orian Dorais : Vous avez signé une lettre ouverte dénonçant un « recours débridé » au PTET et un « détournement » du programme dans des termes assez durs. Pouvez-vous préciser quelles dérives vous dénoncez ?

Dominic Lemieux : Dans les dernières années, le recours au PTET s’est multiplié par huit, ce qui amène certains risques. Le système des contrats fermés du PTET est particulièrement problématique, parce qu’il attache les signataires à une seule entreprise. Autrement dit, quelqu’un qui est sous un contrat fermé pourrait voir un meilleur emploi dans une shop juste en face de son lieu de travail, mais n’aurait pas le droit d’y postuler.

C’est quand la dernière fois qu’au Canada des gens étaient liés de force à un lieu de travail, sans pouvoir légalement aller travailler ailleurs ? À l’époque de l’esclavage. En fait, un rapporteur spécial de l’ONU a dénoncé ce système-là, en parlant d’esclavagisme moderne. On abordait les dérives du PTET, en voici une assez grave.

Il faut aussi souligner que ce programme-là ne permet que très rarement l’accès à l’immigration permanente. À la limite, celles et ceux qui occupent des métiers plus spécialisés arrivent parfois à rester, mais pour des corps de métiers comme journalier, conducteur de chariot élévateur ou préposé au nettoyage, il n’y a pratiquement aucun moyen d’accéder à la citoyenneté canadienne.

Imaginez, on parle d’immigrants et d’immigrantes temporaires qui vont habiter dans nos régions, qui travaillent dans nos usines et qui forment des relations amicales ou amoureuses avec le monde d’ici… mais le programme ne leur permet pas de rester. Même après plusieurs mois. Aussi, l’incitatif d’apprendre le français est moins présent si la personne sait qu’elle ne va rester que trois ans, maximum.

À vrai dire, on observe qu’une immigration plus prospère ou plus spécialisée va systématiquement avoir un accès plus facile à la citoyenneté que les gens du PTET, ce qui est discriminatoire. Le programme fait maintenant en sorte que des gens viennent ici pour une longue période et finissent par s’attacher à leur milieu, mais sans pouvoir y rester… alors que, justement, le Québec a besoin d’attirer du monde dans ses régions. Quand on voit une multiplication des situations comme ce que je viens de vous décrire, on peut dire que le PTET a été détourné de ses objectifs initiaux, qui visaient à combler temporairement des besoins de personnel précis.

Des solutions permanentes à la pénurie de main-d’œuvre

O.D. : Les employeurs vont souvent plaider la pénurie de main-d’œuvre pour justifier leur recours massif et prolongé à ce programme…

D.L.  : La pénurie de main-d’œuvre, c’est pas une légende ; là, on est bien conscients que ça existe. Mais si cette pénurie risque de devenir un problème permanent, faudrait peut-être lui trouver des solutions permanentes… comme permettre aux employés du PTET d’avoir accès à la résidence permanente ! Pour qu’ils puissent rester dans leurs communautés – en région – et y contribuer avec leur travail. Et si la pénurie de main-d’œuvre diminue dans les prochaines années, à cause d’un éventuel ralentissement économique, alors il faudra cesser d’abuser du PTET.

Encore un mot sur la fameuse pénurie, je vous donne l’exemple de la fonderie Laperle, à Saint-Ours. Il y a quelques temps, les patrons là-bas voulaient recruter à l’étranger, en prétextant qu’ils ne trouvaient personne pour travailler dans la région. Le syndicat a insisté pour que la fonderie offre des salaires bonifiés avant de se tourner vers l’international. C’était en milieu de convention collective, nous n’étions pas en mobilisation pour le renouvellement des ententes, mais nous avons réussi à négocier une amélioration majeure de la paie. Comme par hasard, les postes ont été comblés. Dans certains cas, ce n’est pas tant un problème de pénurie, mais un problème de conditions offertes.

Réinstaurer des seuils

O.D. : Quelles réformes votre syndicat propose-t-il au programme ?

D.L. : Aujourd’hui, si des entreprises veulent utiliser le PTET, ça passe comme une lettre à la poste. Il y a environ 300 catégories d’emploi qui peuvent se qualifier. Avant, il y avait des seuils à respecter, par exemple une usine ne pouvait pas compter plus que 10 à 20% de main-d’œuvre internationale. Les entreprises devaient effectuer des tentatives de recrutement local et démontrer la pénurie de personnel. Et le syndicat devait donner son accord. Toutes ces mesures sont maintenant suspendues et nous demandons leur rétablissement.

On demande aussi que l’employeur fournisse des efforts de francisation. D’abord, il existe des programmes gouvernementaux qui couvrent une partie des coûts de francisation, donc ce ne serait pas une grosse dépense pour les entreprises. Ensuite, quand quelqu’un manipule du matériel potentiellement dangereux et que les instructions sont en français, ce serait bien que la personne en question puisse les lire. Ça devient un enjeu de sécurité.

Des histoires d’horreur

O. D. : D’après ce que vous avez pu observer, dans quelles conditions vivent les immigrants temporaires sur un visa de travail ?

D.L.  : On a déjà parlé des contrats fermés et de la quasi-impossibilité d’accéder à la citoyenneté, mais il faut aussi dénoncer la précarité que cause le PTET. Les gens qui sont ici avec ce programme ont droit à une valise de 22,5 kg pour deux, trois ans, ce que les Québécois amènent normalement pour une semaine de vacances. Les travailleurs et travailleuses vivent avec la peur constante de se faire dire de ramasser leur valise et de se faire mettre dans l’avion vers leur pays d’origine, quasiment avec un timbre sur le front.

J’ai entendu des histoires d’horreur. Par exemple, deux journaliers qui se parlent pendant leur quart devant un superviseur. Le superviseur s’étend les bras et se met à imiter un avion, pour leur signifier d’arrêter, sinon ils se font retourner. C’est humiliant et si c’est pas une menace, ça !

Une fois, j’ai enttendu parler d’un employé qui s’était fait escorter de son milieu de travail par deux agents de sécurité qui l’ont forcé à faire ses bagages. Ils allaient l’emmener à l’aéroport. Le syndicat a été informé et il a carrément fallu appeler la police pour dénoncer un enlèvement ! Heureusement, on a réussi à régler le problème avant que ça finisse en expulsion. Mais la peur reste.

C’est certain que le syndicat protège les employés du PTET et que la convention s’applique également à tout le monde. Mais si les gens ont peur, ils ont moins de chance de pouvoir refuser de faire des heures supplémentaires ou de dénoncer des situations dangereuses. On assiste à une augmentation massive des cas de blessures au travail chez les immigrantes et immigrants temporaires. Maintenant, il faut qu’on se pose la question : va-t-on accepter, comme société, de voir des gens dans des situations comme ça ?

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