Nous citons nul autre que le Premier ministre Philippe Couillard : "L’un des premiers devoirs d’un gouvernement est de déposer des projets de loi qui respectent les lois actuelles et les chartes." Cité dans, Bélair-Cirino, Marco. "Les débats sur la neutralité religieuse et l’indépendance ressurgissent". Le Devoir, 13 et 14 juin 2015, p. A3.
Depuis le 30 janvier 2015, le droit de grève jouit d’une protection constitutionnelle au Canada. Dans le jugement Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, 2015 CSC 4, la juge Abella écrit, au nom de la majorité de la Cour suprême du Canada, que « [l]e droit de grève n’est pas seulement dérivé de la négociation collective, il en constitue une composante indispensable. Le temps me paraît venu de le consacrer constitutionnellement. » (Para. 3).
Les travailleuses et les travailleurs de l’industrie de la construction sont en arrêt de travail depuis mercredi le 24 mai 2017. La veille, la ministre du Travail, Dominique Vien, annonçait que le gouvernement ne tolèrerait pas une trop longue interruption des activités dans ce secteur d’activité de production dont la contribution au PIB semble « capitale ». Elle répète à satiété que la grève coûte 45 millions de dollars par jour à l’économie du Québec. C’est d’ailleurs au nom d’un critère uniquement économique qu’elle justifie, à ce moment-ci, le recours éventuel à une pièce législative liberticide. Il est maintenant connu que cette loi sera présentée pour étude et adoption par les membres de l’Assemblée nationale, lundi le 29 mai 2017 et ce, après un arrêt de travail de seulement trois jours.
Nous vivons dans une société libérale. Dans ce type de société, le travail est réputé « libre ». Les personnes à l’emploi ont le droit de refuser les conditions de travail proposées par les employeurs. Il s’agit ici d’une différence fondamentale entre le travail forcé (ou obligatoire) et le travail libre.
L’adoption d’une loi spéciale démontre que l’exercice du droit de grève est, pour certains parlementaires, un droit qui peut donner lieu à une application sélective et variable. Ils sont prêts à l’accepter pour une période prolongée - si cela ne se répercute trop pas trop sur le PIB ou si cela se passe dans certains services publics jugés non essentiels (comme la grève récente des juristes de l’État qui a duré 14 semaines) - et à l’interrompre promptement, s’il a, selon leurs critères, un impact économique ou social négatif.
Le Premier ministre Couillard a beau y aller avec de belles déclarations qui le présente comme un être qui se dit respectueux des droits inscrits dans « les lois actuelles et les chartes » ; les travailleuses et les travailleurs de la construction sont aujourd’hui en mesure de constater qu’il s’agit là de paroles fausses et creuses.
Après leur arrêt de travail de 9 jours en 2013, constatons que le droit de grève des salariéEs de l’industrie de la construction est un droit dont l’exercice se situe dans une période de temps qui s’écourte de plus en plus – et ce sans égard à la loi qui leur donne le droit de grève (Loi R-20, art. 45.4) et sans égard non plus au jugement de la Cour suprême du Canada du 30 janvier 2015 -. Il ne s’agit plus d’un droit fondamental, mais d’un droit qui se rapproche dangereusement d’un droit « fictif ».
Dans le Québec de 2017, l’exercice du droit de grève peut toujours être suspendu selon la volonté du Prince. Il en est encore ainsi quand un gouvernement dispose d’une majorité parlementaire dont les députés ministériels adhèrent inconditionnellement au point de vue de « leur » Premier ministre. Les membres du parti au pouvoir ont la capacité d’adopter des lois spéciales de retour au travail sans se soucier, dans l’immédiat, de la loi en vigueur et de la jurisprudence existante.
Nous ne vivons pas dans une société totalitaire. C’est vrai. Nous vivons plutôt dans un système politique et juridique qui postule l’existence de droits « fondamentaux » et qui n’empêche pas que ces droits soient, à certains moments, réduits « en peau de chagrin ». Quand un gouvernement suspend l’exercice de droits inscrits dans la loi et adopte une loi spéciale qui va à l’encontre de droits reconnus par la jurisprudence, nous avons le devoir de constater que la démocratie parlementaire prend alors une direction… autoritaire.
Yvan Perrier, Politologue, Cégep du Vieux Montréal
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