Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Environnement

Mémoire déposé au BAPE

Non à l’écocide, non à l'oléoduc Énergie Est !

TransCanada/Oléoduc Énergie Est vient devant ce BAPE et d’autres instances pour faire connaître et éventuellement approuver son projet de construction d’un pipeline traversant le pays sur plus de 4500 kilomètres. Voici ma réflexion sur le sujet. Elle emprunte quelques détours obligés au-delà du projet d’oléoduc.

Je trouve tout de même triste et aberrant de devoir essayer de convaincre mon gouvernement que la survie de l’Humanité est plus importante que quelques profits à court terme. Ceci étant que le Canada passe pour un modèle de démocratie et s’entend souvent qualifier de « plus meilleur pays au monde ».

Crise

L’Humanité traverse une crise. À côté du mouvement « Nuit debout » pendant lequel les Parisiens manifestent contre une loi du Travail contraignante, des familles traversent des eaux peu sûres en quête de liberté ; dans les pays en guerre, des dizaines de personnes sautent sur des bombes au bout de leur rue à n’importe quel moment ; enfin, aux quatre coins du Monde, des citoyens innocents meurent quotidiennement dans des attentats initiés par des fous furieux.

Pourquoi tant de violence ? Nous, les sept milliards d’êtres humains, sommes-nous trop nombreux pour arriver à nous entendre ? Faut-il questionner la Justice sociale qui, d’après les statistiques, brille de plus en plus par son absence ? L’appât du gain et le peu de morale ne sont certainement pas étrangers à cette misère, matérielle pour certains, spirituelle pour d’autres.

La Croissance comme croyance

Pourtant, face à toutes les menaces ambiantes, ici au Canada et dans les médias internationaux, on n’a qu’un mot à la bouche : croissance. La croissance économique, encore et toujours. Le remède miracle qui jusqu’ici ne fait que déglinguer le climat et pousser davantage de populations à l’exode. Plus que ne le font les conflits politiques. On veut « créer de la richesse ». Une richesse qui se traduit par l’acquisition de biens obsolètes à court terme. On ne parle jamais de croissance intellectuelle ou morale ; à peine fait-on l’éloge de l’instruction, parce qu’elle nous rend solvables, aptes à consommer. Dans un contexte où notre Planète suit une courbe de réchauffement climatique mettant notre espèce en péril si nous n’agissons pas radicalement dès maintenant, nous sommes en droit de nous demander à qui profite cette croissance.

Comment grossir indéfiniment sur une Terre aux dimensions finies ? Les économistes, les politiciens, les prêcheurs de croissance et marchands de tout acabit préfèrent ignorer cette constante. Cela permet aux premiers de conserver leur emploi, aux seconds leur siège au parlement et aux autres d’augmenter leur marge de profit. Une marge dont le gestionnaire ne se satisfait jamais et dont il justifie la démesure par « l’apport de son entreprise à la richesse ». Si encore c’était vrai parce que la dite richesse était redistribuée, on pourrait discuter l’ampleur de la marge mais pas sa notion. Notre économie capitaliste empêche jusqu’à y réfléchir et nous confine dans la croyance en la Croissance. Une croyance qui nous ferme aux préceptes de la Science et à la lecture des signes que nous envoie l’actualité.

Richesse et énergie

La richesse accumulée sur les dos d’une main-d’œuvre à rabais—d’ici et surtout d’ailleurs — est source de tensions et de conflits à moyen terme. Si cette richesse profitait à peu près équitablement, donnait accès au plus grand nombre à un confort minimum inhérent à la dignité humaine, il y aurait lieu d’applaudir, mais la situation est à l’opposé. Ce sont les pays développés, qui pèsent moins lourd au point de vue démographique, qui accaparent l’ensemble de la richesse, laissant des miettes à une grande majorité d’êtres humains. Les flots migratoires en témoignent. À présent que l’information circule dans de plus en plus de mains, les victimes du capitalisme, ceux qui ont manqué du nécessaire, qui crèvent la faim et dont les proches meurent d’infections pour nous bénignes, exigent leur part du gâteau. Et cela au moment même où les habitants des pays riches s’en remettent à la croissance « pour préserver leur mode de vie » et aussi il faut l’avouer, pour sauvegarder leur retraite.
Les médias de masse ne parlent jamais de la patate chaude qu’est la Croissance. On s’intéresse cependant au problème des changements climatiques, lesquels font l’objet de Sommets de la Terre qui débouchent sur de belles intentions. Les bien nantis refusent de sacrifier leur confort, lui-même revendiqué par les laissés pour compte. Confort qui mobilise toujours plus d’énergie, retrouvée généralement à l’état fossile et toujours plus difficile à extraire et avec des opérations qui dégradent de plus en plus l’environnement. Qu’à cela ne tienne, on n’a que peu de remords à se rendre coupable d’écocide sur notre planète. « Scier la branche sur laquelle on est assis. »

Aussi simplette que soit l’image, on ne la voit pas. On nous a tellement habitués, dans notre confort douillet, à ne pas penser, qu’on élit majoritairement des gouvernements qui ne parlent que du futur immédiat, en tentant de nous faire croire que continuer dans un modèle économique désuet et inadapté va tout régler. Pourtant ces derniers et ceux qui les dirigent, j’ai nommé les marchands, le savent très bien et ils n’agissent pas, obnubilés par le pouvoir et l’argent. Et comme nous tous, ils pensent très peu à leurs descendants.

Écocide

L’écocide se poursuit donc, moins lentement qu’on voudrait et plus sûrement. Peut-on espérer que dans un avenir proche, une loi – avec des dents — soit votée, faisant de l’Écocide le cinquième crime contre l’Humanité ? Les échéances du présent Bape sur Énergie Est ne me permettent pas d’en discuter. En regardant autour de moi, malgré le profond endormissement dans lequel gît le Québec, le Canada, les pays riches, je vois se former des groupes citoyens pour réclamer l’arrêt de l’Écocide. C’est dire que l’heure est grave. De tous côtés, on s’élève en faveur de la transition énergétique.

Et au moment où les économistes, conjointement avec les scientifiques, devraient plancher sérieusement sur un système fondé sur la décroissance, ou du moins sur la transition énergétique ici et maintenant, TransCanada/Oléoduc Énergie Est propose aux Canadiens d’aménager un ancien tuyau et d’en construire un neuf afin d’acheminer le pétrole lourd de l’Alberta vers l’Atlantique, ce qui les libérerait enfin de leur dépendance au pétrole, en plus de créer 14 000 emplois d’ici les 9 prochaines années, dont près de 4000 au Québec. Aussi, grâce au pipeline, les Canadiens n’auraient plus à appréhender des drames comme celui de Mégantic. Se disant extrêmement sécuritaire et soucieuse de la chose environnementale, TransCanada, par la voix de Louis Bergeron, a tenu à préciser que le pipeline Énergie Est « fait partie » de la transition énergétique (16 mars).

Les vraies intentions de TransCanada

La vérité c’est que TransCanada ne réduira pas notre dépendance au pétrole puisqu’elle en exportera 80 %. L’augmentation de la production pétrolière entraînera une demande plus élevée de transport par rail, d’où un risque à la hausse des accidents ferroviaires.

Sachant que le tuyau vieux de 40 ans a connu sa plus récente explosion importante en 2014, on peut supposer que la fiabilité des installations laisse à désirer. Rien ne nous garantit que le futur pipeline, celui qui traversera des centaines de cours d’eau au Québec dont le Saint-Laurent sera absolument étanche. On sait cependant qu’un déversement de pétrole lourd provoquerait des catastrophes dans les écosystèmes terrestres et marins. Advenant un déversement majeur en hiver, on connaît approximativement le temps d’intervention de l’entreprise, mais on ignore comment il est possible de récupérer ce type de pétrole dans les eaux glacées. Au BAPE, personne ne nous a répondu sur ce point.

Les emplois générés seront éphémères, comme on peut le lire entre les lignes et parce que tôt ou tard, les gens se tourneront vers les énergies renouvelables.

Finalement, en aucune façon la production et le transport de pétrole bitumineux ne peuvent être qualifiés de stratégies vertes, car ils augmenteront la teneur en GES d’une valeurcorrespondant aux émissions du parc automobile québécois, et ce, annuellement.

Oléoduc énergie Est est un projet à 100 % destructeur.

Même les travailleurs de Local 144, présents à Lévis le 17 mars, ne sont pas dupes. Je ne parle pas de ceux qui ont hué les Autochtones. Ceux-ci n’ont plus tellement d’années à faire dans le métier et craignent tout simplement des changements. D’autres avec qui j’ai discuté, dans la vingtaine, se montrent très lucides. Ils reconnaissent que s’ils avaient le choix, ils prendraient un emploi qui participe à la transition énergétique, durable et garant de l’avenir de leurs enfants.

La réalité crue c’est que TransCanada est animée par une seule ambition : se remplir les poches par tous les moyens.

 Par des campagnes de promotion basées sur la désinformation ou la non-information tout court.
 En jouant sur l’interprétation des lois.
 En bafouant les données scientifiques sur le réchauffement climatique.
 En proférant les plus vils mensonges avec un aplomb qui fait lever le cœur.

L’avidité de TransCanada n’a d’égale que son mépris de la Vie. Si l’Écocide comptait parmi les crimes contre l’Humanité, ses comparses et des milliers d’autres entrepreneurs partageant la même foi croupiraient sous de lourdes peines d’emprisonnement.

Connaissant les visées de TransCanada et notre aveuglement devant la Croissance, on comprend mieux comment un tel projet, économiquement non viable à long terme, peut avoir droit de cité.

Exhortation au pouvoir en place

Les gouvernements québécois et canadien prendront-ils la décision salvatrice ? Où vont-ils, par un savant calcul de popularité, faire semblant de croire aux mensonges de TransCanada ?

Auront-ils le courage d’écarter ce projet qui tient du délire ? Ou laisseront-ils l’écocide se poursuivre, contribuant à exacerber des tensions mondiales qui risquent de finir dans la violence. Dans pareil cas, on pourrait dire adieu à notre cher « mode de vie ». Les élus voudront-ils comprendre que si les populations n’en peuvent plus, c’est en grande partie parce que notre Maison à tous se dégrade et qu’il faut agir maintenant.

Le temps n’est plus auxtergiversations ni aux compromis.

Messieurs les premiers ministres Couillard et Trudeau : Prenez vos responsabilités ! Nous ne nous laisserons plus berner par de belles paroles, des sourires, des promesses sans lendemain. Nous, les Québécois et les Canadiens, sommes en train de sortir de l’enfance. Les berceuses ne nous endorment plus. Si vous n’agissez pas, nous le ferons. Le pouvoir citoyen, ça existe.

Non à l’écocide, non à Oléoduc Énergie Est !

Hélène Boily

Membre du groupe SOCN

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