Édition du 23 avril 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Canada

Le Canada en guerre

Pas en notre nom !

Le 7 octobre dernier, le Canada entrait en guerre contre le groupe armé État islamique (ÉI). Comme à son habitude, le gouvernement Harper, poursuivant sa politique militariste, s’est aligné servilement sur la politique étrangère américaine comme, à une autre époque, un vassal portait allégeance à son seigneur.

Que signifie « entrer en guerre » ? Nous l’avions étrangement oublié. « C’est incompréhensible, nous sommes une nation en paix ! » répliquait-on abasourdis après les attentats tragiques de Saint-Jean-sur-Richelieu et du Parlement canadien qui nous ont tout à coup donné une idée de ce à quoi pouvait ressembler l’atroce réalité de la guerre, avec son lot de victimes innocentes. Revenir à cette paix factice serait de l’hypocrisie. Ce serait faire le jeu de ceux qui aspirent à faire de la paix une partie intégrante de la guerre, devenue sans fin. Or, c’est un peu ce à quoi nous accule précisément la « guerre au terrorisme », qui vient renforcer la mainmise des États-Unis et de leurs alliés sur les zones géostratégiques et pétrolifères en ces temps instables où de nouvelles alliances à prétention hégémonique cherchent à se former (« Un monde qui vacille », Relations, no 770, 2014).

Les vertueux de la guerre rétorqueront que celle-ci est l’unique option devant la barbarie sans bornes de l’ÉI. On disait la même chose pour l’Afghanistan… même si Ben Laden ne s’y trouvait pas ; pour l’Irak… qui n’avait finalement pas d’armes de destruction massive ; puis pour la Libye d’un tyran qui s’est avéré, encore là, un faux prétexte. Ces guerres soi-disant nécessaires se sont révélées de véritables fiascos et elles ont contribué à jeter dans les bras des extrémistes des pans entiers des populations de ces pays, livrés aux massacres, à la terreur, à la désolation.

C’est de la cendre fumante de ces sociétés et de ces États en ruine qu’est né l’ÉI. Tout comme c’est le nouveau pouvoir irakien, entre autres, sous le regard bienveillant des puissances occidentales – et principalement des États-Unis –, qui le consolide par son ostracisme envers l’importante minorité sunnite irakienne outrageusement marginalisée.

À qui profite la spirale infernale de cette « guerre du Bien contre le Mal » ? Si ce chaos a été désastreux pour les populations de la région, ne peut-il pas en revanche s’avérer hautement stratégique pour les puissances qui cherchent à maintenir coûte que coûte leur hégémonie et accroître leur contrôle ? L’ÉI apparaît ainsi comme l’ennemi tout désigné dans la poursuite de cet objectif. Il permet de mettre en scène, pour de nombreuses années encore, une guerre froide, ou plutôt tiédasse, qui alimente juste assez la peur du terrorisme chez nous pour nous mettre au garde-à-vous devant le « nécessaire » déploiement de l’arsenal sécuritaire et militaire censé maintenir la « paix ». La manière dont les médias ont réagi à la fusillade au Parlement témoigne éloquemment du fait que la peur peut engendrer l’anesthésie de la pensée critique. À l’occasion de cet événement, la pensée unique a trouvé une assise honorable au nom de la défense de la patrie. Le monde devenait soudainement lisse, il n’y avait que le Mal, clairement identifié, à combattre.

La barbarie de l’ÉI sert malheureusement d’écran à celle tout aussi abjecte qui ronge notre société « démocratique ». Certes, on n’égorge pas des innocents sous les feux de la rampe, mais on ne se gêne pas, comme le font les États-Unis, pour envoyer des drones qui bombardent et massacrent, toutes lumières éteintes, des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants, victimes innocentes et anonymes de la chasse aux terroristes. Massacres qui se perpétueront d’ailleurs maintenant à plus large échelle avec l’officialisation de la guerre. Quoi qu’en disent les bien-pensants, une critique radicale doit se faire entendre à son endroit. D’autant que sous l’apparence du progrès technique, la démocratie de marché tant portée aux nues dépossède de plus en plus les citoyens de leurs pouvoirs et produit en masse des déracinés et des cyniques en tout genre. Certains, désespérés du vide qui les accable, s’inspireront ou se retrouveront sans doute dans les rangs de l’ÉI ou d’autres groupes semblables – parfait ersatz religieux d’un monde déshumanisé et marchandisé.

Il est plus que temps de ramener le combat sur le terrain politique et de s’attaquer aux causes profondes du conflit : une longue histoire de colonisation, d’oppression, d’exploitation qui tente de se perpétuer dans la guerre actuelle. Quand les représentants politiques agissent en valetaille des pouvoirs au service du désordre établi, l’action citoyenne doit prendre le relais pour les obliger à œuvrer à une paix fondée sur la justice, sans laquelle le terrorisme ne peut que prospérer.

Accepter d’être soumis à la logique de guerre nous dépossèdera un peu plus chaque jour de notre dignité, nous habituant à enjamber des cadavres dans l’essor d’un monde où la conscience aura été étouffée au profit d’une paix factice – nous laissant, dans le noir, seuls avec notre honte.

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Jean-Claude Ravet

Auteur de la revue Relations.

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