Édition du 16 avril 2024

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Canada

Pendant que le protectionnisme monte aux États-Unis, le Canada implore Washington : ne sommes-nous pas des amis ?

Au cours de la campagne présidentielle de 1980, le Républicain Ronald Reagan avait promis de protéger les emplois du secteur américain de l’auto. Un dollar américain fort a provoqué des mesures de protection dans le secteur automobile, de l’acier et des textiles contre les compétiteurs étrangers qui, profitant de la faiblesse de leur propre monnaie, augmentaient leurs exportations aux États-Unis.

Duncan Cameron, rabble.ca, 10 janvier 2017
Traduction : Alexandra Cyr

En 1981, Reagan a imposé aux producteurs d’auto japonais une réduction « volontaire » de leurs exportations aux États-Unis. En 1985, les Américains ont organisé l’Accord Plaza ; il s’agissait d’un réalignement de la valeur des monnaies. En 1986, le yen japonais a augmenté de 50 % par rapport au dollar américain. Le prix des autos japonaises est donc devenu considérablement plus élevé.

Les Japonais ont répondu aux politiques protectionnistes en investissant aux États-Unis et y ont construit leurs autos. Honda et Toyota ont donc remplacé leurs exportations par des véhicules fabriqués aux États-Unis. Les manufacturiers japonais de pièces se sont aussi installés sur le territoire américain.

Volkswagen et d’autres fabricants étrangers se sont également installés aux États-Unis sous les pressions de Washington. Comme les Japonais, ils ont trouvé des gouverneurs dans certains États disposés à leur accorder des subventions pour leur relocalisation et des garanties d’adoption de lois autorisant des usines sans syndicalisation. Les États offrent très souvent des politiques de manipulation des règles commerciales dans leur compétition les uns avec les autres.

Les politiques commerciales de R. Reagan ont été élaborées par Robert Lighthizer qui vient tout juste d’être nommé responsable du United States Trade Representative (USTR) par D. Trump. Dans un long mémoire préparé en 2010, M. Lighthizer présente une approche agressive par laquelle les États-Unis s’attaqueraient au commerce avec la Chine. Ses arguments ont visiblement favorisé sa candidature à son nouveau poste.

Au cours des récentes années, le secteur manufacturier américain a considérablement diminué le nombre d’emplois en délocalisant ses industries en Chine, au Mexique et dans d’autres pays à bas salaires. Annuellement, le déficit commercial des États-Unis avec la Chine est autour de 300,000 mille milliards de dollars. Ce déficit représente les pertes d’emplois manufacturiers sur lesquelles D. Trump s’est lamenté aux cours de sa campagne.

L’émergence de la Chine comme puissance économique à bas coûts a permis de réduire l’inflation dans le monde industrialisé ; des bas prix signifient des gains de salaire. Mais cela n’a pas été suffisant pour empêcher les derniers Présidents américains de la pointer du doigt pour pratiques commerciales déloyales. Ce sont les investissements américains en Chine qui ont provoqué la montée des exportations chinoises et ce sont les Chinois qui ont mis en place le cadre politique qui a permis aux investisseurs américains d’exploiter les travailleurs-euses à bas salaire dans ce pays. C’est devenu un tel succès que maintenant la Chine en est blâmée. En réalité, ce sont les entreprises américaines qui tirent leurs profits de cette production à l’étranger.

Le spécialiste de la Chine, installé à Beijing, Christopher Balding, a étudié le commerce américano-chinois en passant par la nationalité des compagnies exportatrices plutôt que par la localisation géographique de la production. Il conclut que cela prouve que les rapports commerciaux entre les deux pays sont équilibrés.
L’administration Obama a répondu à la pénétration des exportations chinoises aux États-Unis en critiquant vigoureusement la Chine pour ses pratiques commerciales les qualifiant de profondément frauduleuses. C’est ce que recommandait l’USTR dans son mémo de 2010.

Pour sa part, M. Lighthizer veut poursuivre la Chine et d’autres pays pour « manipulation du cours de leur monnaie ». La montée de la valeur du dollar américain fait baisser celle des autres monnaies. Dans la logique de l’ USTR, les pays dont la monnaie est faible devraient donc être sanctionnés pour cela plutôt que de profiter de la montée du dollar.

Les observateurs-trices canadiens-nes et les législateurs-trices qui travaillent à cherchent la réponse possible à donner à la montée du protectionnisme américain, feraient bien de lire attentivement ce que M. Lighthizer soutient à propos de la manipulation du cours des devises.

On s’attend à ce que la Banque centrale américaine maintienne sa politique de hausse du taux d’intérêts pour au moins deux autres interventions. Sa présidente, Mme Janet Yellen, perçoit les baisses de taxes et les dépenses pour les infrastructures prévues par le Président désigné comme une poussée inflationniste. Des taux d’intérêts américains plus élevés feront augmenter la valeur du dollar et affaibliront un peu plus le faible dollar canadien.

Pour soutenir les exportations canadiennes et le développement de l’emploi, la Banque du Canada poursuit une politique de dollar faible. Il faut s’attendre à ce que l’administration Trump et l‘USTR ciblent le Canada pour manipulation du cours du taux de change. La volonté de l’équipe Trump de rapatrier l’industrie manufacturière aux États-Unis est une menace pour les exportations canadiennes. Beaucoup de travailleurs-euses ont de bonnes raisons d’avoir peur.

Le soi-disant libre marché attaché à l’ALÉNA constitue la politique industrielle canadienne. Donald Trump a juré de démanteler ce traité ; ce qui créeraient des incertitudes pour l’industrie de l’auto comme pour d’autres secteurs manufacturiers, dont la production est intégrée sur tout le continent.

M. Trudeau a fait parvenir une vidéo aux membres du Congrès américain dans laquelle l’amitié entre les deux peuples est soulignée. Cette attitude ressemble beaucoup à un substitut infantile à la diplomatie. Les hauts fonctionnaires attachés-es au bureau du Premier ministre rencontrent le personnel de D. Trump qui a ses propres raisons pour emmagasiner des renseignements de ces visiteurs-euses.

Si nous réussissons à maintenir le statut quo sur les traités commerciaux, attendons-nous à ce que le futur gouvernement américain s’en prenne au Canada pour manipulation des taux de change. En fait, il vaut mieux s’attendre à ce que l’administration Trump veuille punir le Canada à cause de la faiblesse de son dollar. Tenter de convaincre l’USTR que cette faiblesse provient de nos déficits commerciaux et de la faiblesse de notre économie ne donnera pas de grands résultats.

Il vaudrait mieux que le gouvernement libéral trouve des moyens d’améliorer la vie ici au pays plutôt que de penser que les Américains pourraient agir en fonction de « leur amitié » envers nous.

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