Pour vous donner un exemple de ces épigrammes, nous reproduisons la seizième, celle dédiée à la muse Sappho :
« On répète qu’il y a neuf Muses. Quel manque de considération.
Voici encore Sappho de Lesbos, la dixième. »
Selon la mythologie, les neuf muses président des arts : Calliope (le beau visage : la poésie épique), Clio (celle qui proclame : l’histoire), Érato (la passionnée : la poésie lyrique), Euterpe (celle qui se réjouit : la musique), Melpomène (la mélancolique : la tragédie), Polymnie (celle aux nombreuses chansons : les hymnes sacrés), Terpsichore (celle qui aime danser : la danse), Thalie (la joyeuse : la comédie) et Uranie (la céleste : l’astronomie) (Graves, 1967). Et Sappho ? Elle est reconnue pour sa poésie au même titre ou presque qu’Érato. Mais comment Platon, qui met en doute la valeur et l’utilité de la poésie, de la rhapsodie et des histoires fantastiques, puisqu’elles détournent la pensée d’un travail de perfectibilité de soi-même permettant une élévation de l’âme, en serait venu à rédiger lui-même cette forme d’expression ? Serait-ce une preuve d’un changement d’attitude explicable dans une succession entre le Platon avant sa rencontre avec Socrate et le Platon de l’après — qui aurait apporté d’ailleurs de nombreuses objections à ce présent écrit ? Difficile de statuer. N’empêche que le moment mémorable attribué à une personne se justifie essentiellement dans une intention de la garder vivante, pour qu’elle ne soit donc pas oubliée, ce qui lui impose une qualité exclusivement terrestre en ignorant ainsi son âme dont la destinée lui permet un retour sous une forme humaine ou autre. Et pourquoi Platon n’aurait-il pas écrit une épigramme à Socrate, alors qu’il l’aurait fait pour son épouse Xanthippe ? Serait-ce par elle qu’il rencontra plus personnellement Socrate, supposant alors que ce texte aurait été écrit avant sa rencontre avec son futur mentor ? Rappelons toutefois que l’épigramme repose sur la satire, faisant en sorte que les éloges supposés peuvent en fait exposer une médisance. Dans ce cas, Platon se serait-il permis d’utiliser les armes du poème pour s’en servir contre ce mode d’expression et ses défenseurs ?
Guylain Bernier
Yvan Perrier
9 août 2022
yvan_perrier@hotmail.com
Références
Brisson, Luc (Dir.). 2020. Platon oeuvres complètes. Paris : Flammarion, p. 307-310.
Dixsaut, Monique. 1998. « Platon ». Dans Dictionnaire des philosophes. Paris : Encyclopaedia Universalis/Albin Michel.
Graves, Robert. 1967. Les Mythes grecs. Paris : Fayard, 1 185 p.
Sans auteur. 2014. Écrits attribués à Platon. Traduction et présentation par Luc Brisson. Paris : GF Flammarion, p. 141-148.
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