Édition du 23 avril 2024

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Éducation

Quand nos élites imposent la Justice Sociale

Le débat sur la liberté académique et la culture du bannisement (“cancel culture”) est souvent presenter comme une lutte entre des puissants professeurs et des étudiants activists parfois avec l’appuie des administrations. Or, les développements récents met cette image à l’envers. Au moins à McGill, la Justice Sociale est devenue un instrument des élites Canadiennes poursuivant leur propres interêts.
Cette transformation radicale à commencer en Novembre 2017 quand le Ministère fédéral des Sciences et des Sports a commencé à imposer des plans d’action d’Équité, de Diversité et d’Inclusion (EDI) à l’enseignement supérieur, partout au Canada. Outrepassant la souveraineté provinciale en matière d’éducation, le Ministère menaçait les universités non conformes de perdre un financement important.

À l’Université McGill, le bureau EDI compte maintenant sept « conseillers EDI » et en avril dernier, le conseil des gouverneurs – dont plusieurs des membres autodésignés représentent des sociétés parmi les plus puissantes – a approuvé un plan quinquennal EDI. De nombreux comités administratifs EDI ont vu le jour et en novembre dernier, celui du Département de physique a proposé aux membres de sa communauté une « Déclaration de Valeurs » qui ciblait les valeurs personnelles : ce qui est bien et ce qui est mal, comment agir et ne pas agir.

Certaines parties de cette Déclaration avaient une saveur religieuse : « Traitez les autres avec empathie, dignité, courtoisie, respect et considération ». D’autres étaient moralisatrices : « Reconnaissez sincèrement vos erreurs ; présentez vos excuses au besoin ; et engagez-vous à faire mieux à l’avenir ». D’autres encore pieuses : une longue liste de comportements proscrits comprenait même des « blasphèmes ». D’autres était paternalistes : « Valoriser et reconnaître notre personnel administratif, technique, d’entretien et de soutien ». Désormais l’autorité administrative s’étend à la moralité.

Le document était teinté d’une vision anglophone et élitiste du monde. Tout en identifiant les peuples autochtones comme victimes de conquête, les autres victimes de conquête - les Québécois francophones - ont été oubliées, aggravant le malaise de la minorité francophone mcgilloise. Dans une rare révision, la version finale a résolu la question nationale d’une manière typiquement EDI, en introduisant une nouvelle catégorie victimaire : celle des personnes de « langue maternelle non anglaise ». Ainsi, les Québécois francophones peuvent fièrement partager leur identité de victimes avec les immigrants récents.

La Déclaration est apparue pendant la controverse entourant la professeure Verusha Lieutenant-Duval qui a été « bannie », c’est-à-dire suspendue, pour avoir utilisé le mot en « n », et ce, juste avant que des étudiants de McGill demandent à leur propre administration de bannir un professeur émérite pour des transgressions similaires. La logique de cette « cancel culture » était également à l’œuvre dans le département de physique. D’abord, sous prétexte d’éviter de heurter les sensibilités, de multiples injonctions administratives ont tenté de minimiser les critiques. Puis, en réponse à mes propres réticences, un membre éminent du comité EDI a noté que celles-ci « violaient certainement la Déclaration des valeurs » et, m’a accusé de « xénophobie ».

Alors que les militants de la JS continuent de se justifier par la nécessité de s’opposer aux « dynamiques de pouvoir inégal qui découlent de la hiérarchie… et/ou des privilèges sociaux » (la Déclaration), ce qui est nouveau - et ironique - est qu’ils sont de plus en plus instrumentalisés pour imposer des politiques émanant des sphères les plus puissantes de la société.
La croyance erronée selon laquelle l’identité est la source du pouvoir est une aubaine pour les membres du 1% qui - indépendamment de leur genre ou de leur race - sont des experts dans l’exercice du vrai pouvoir. L’idéologie de Justice Sociale favorise des politiques identitaires qui divisent et affaiblissent la gauche. Il permet des idéologues de droite de se positionner en rampart contre « la rectitude politique autoritaire de gauche », et de se hisser en defenseurs des libertés individuelles. Maintenant que la Justice Sociale est institutionnalisée, il est plus que temps que les progressistes reviennent à leur lutte historique et collective pour l’émancipation humaine et une une véritable justice sociale en utilisant les principes éprouvés de solidarité.

 Shaun Lovejoy, Département de physique, Université McGill.
Membre fondateur de l’Union de Forces Progressistes, membre du Comité de l’Environnement de Québec Solidaire.

Shaun Lovejoy
Physics department,
McGill University,

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