Édition du 16 avril 2024

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Canada

Quelques réflexions sur le Québec et la stratégie contre l'impérialisme canadien

Le Premier ministre Harper a poussé les politiques canadiennes à un tel point qu’il devient difficile de les critiquer. Tout paraît si évidemment désastreux.

The Bullet, 31 mars 2014.

Dan Freeman-Maloy est un militant et un écrivain qui travaille entre la Grande-Bretagne, l’Ontario et le Québec. Il collabore à un site internet : www.notesonhypocrisy.com

Traduction, Alexandra Cyr

Au plan international, il suffisait de voir l’air satisfait qu’ont échangé Ms Binyamin Netanyahu et Avigor Lieberman pendant que M. Harper s’adressait au parlement israélien en janvier dernier. Il insistait pour que les dirigeantEs d’Israël gardent le cap sur les guerres régionales. M. Harper ressemblait à un diplomate occidental des années soixante qui vient de visionner le film Exodus et qui répète les vieux propos du Sionisme à propos du « verdissement du désert ». Il s’est ensuite expliqué au cours d’une conférence de presse conjointe avec M. Netanyahu. Il a admis que le Canada est vraiment seul à soutenir une diplomatie anti-palestinienne. Mais il a aussi insisté pour dire que l’isolement du Canada devant l’opinion mondiale était un élément « de son éthique fondamentale ».

Si la diplomatie palestinienne du gouvernement Harper est un marqueur de son entreprise pour façonner un rôle impérial au Canada, c’est bien sûr la participation à la guerre en Afghanistan qui en est l’élément le plus probant. Il s’oriente ainsi sur les politiques américaines ; pas tellement celles de l’administration en place mais bien sur celles de l’opposition républicaine.

Jeffrey Simpson écrit dans le Globe and Mail, ce journal au service de l’establishment centriste canadien, que le Canada « a perdu la guerre mais a gagné une bataille ». Il se penche sur les résultats (des engagements militaires canadiens) avec une certaine satisfaction : « Comme le Canada s’était exclu de la guerre en Irak, la division impériale du travail exigeait qu’il s’implique dans celle en Afghanistan ». Il admet que la situation afghane est lugubre mais est-ce que l’establishment canadien ne s’est jamais vraiment soucié du sort de l’Afghanistan ? « Si cet engagement dans cette contrée lointaine a apporté quoi que ce soit, ce fut de rapprocher les Forces armées de la population ». Il suggère que la plupart de ceux et celles qui ont soutenu cet engagement voulaient surtout renforcer l’idée que la capacité de l’armée canadienne à entrer en guerre pénètre la culture politique générale du pays. Ces espoirs d’effets internes se sont accompli.

L’avenir nous promet une sale convergence internationale entre les interventions militaires et la crise écologique. L’État canadien est prêt à jouer le pire rôle qui soit dans cette perspective. Il ne sera donc pas facile de développer une opposition anti-impérialiste conséquente au Canada. C’est pourtant fondamental. Deux des pires éléments de la politique canadienne sont présents dans le gouvernement Harper : le groupe populiste ontarien « Commen Sense Revolution » et les représentants du pétrole albertain. La bataille devra être des plus dures pour contrer leurs effets délétères surtout avec une opposition qui ne s’objecte que sur le degré des attaques. Même si on ne peut envisager de « véritables » victoires, par exemple des transformations sociales qui iraient dans le sens qui nous intéresse, on peut quand même envisager quelques gains valables. Des manifestations d’opposition populaire qui mettraient à mal les capacités du gouvernement à poursuivre ses interventions destructrices à l’étranger seraient déjà un bon début. La priorité pour la gauche canadienne est donc de trouver les moyens de construire une base populaire à la hauteur de la tâche.

La base conservatrice de l’Alberta et de l’Ontario s’est décidément renforcée et soutient la politique impérialiste du gouvernement Harper. Celle du Québec risque le plus de s’y opposer et elle est la plus forte. Pour le formuler brutalement, les scénarios qui sont le plus susceptibles de réussir à animer et mobiliser régionalement devront obligatoirement inclure la gauche souverainiste québécoise ou, au moins une partie du mouvement québécois qui a de fortes inclinations souverainistes. Il sera important de garder cette donnée en tête au cours des nouvelles discussions sur la souveraineté qui vont se développer à l’occasion des élections actuelles [1]. L’establishment fédéraliste a tenu son discours habituel : l’équipe éditoriale du Maclean soutient qu’il est urgent qu’un « front populaire » des forces politiques canadiennes se prépare à combattre toute prétention québécoise à la souveraineté. Pour les forces de gauche anti militaristes, l’arrivée dans les prochaines années de politiques souverainistes qui iraient dans le bons sens est vue de façon positive. Il y a de bonnes raisons d’envisager cette possibilité. En attendant, il faut perdre l’habitude de défendre à tous prix de la Confédération.

Le Canada et le « Bloc anglo-saxon »

Le manque d’échanges politiques entre les générations est une faiblesse de la gauche canadienne. Je ne crois pas, par exemple, qu’il y a ait beaucoup de personnes dans la gauche qui ne reconnaissent pas que la vague de protestations qui a traversé le Québec au cours des années soixante-dix soit une des plus importantes luttes anti-impérialistes populaires que le Canada ait connues dans son histoire. Même si, de façon contradictoire, elle s’identifiait aux mouvements de libération nationale du Tiers monde comme le démontre Sean Mills dans son plus récent livre, The Empire Within : Postcolonial Thought and Political Activism in Sixties Montréal, (McGill-Queen’s University Press, 2010). Toutefois, les discussions sur les retombées de cette période et sur les enseignements que nous pourrions en tirer sont plus que limitées à travers le pays.

Le contenu des connaissances et reconnaissances des luttes passées fait défaut dans la gauche canadienne. Nous sommes toujours à approcher les enjeux comme des débutantEs ; notre vision et nos analyses de ce qui se passe au Québec sont largement marquées par les idées reçues au Canada anglais. Trop souvent les discussions à propos des politiques souverainistes québécoises dans la gauche anglo-canadienne sont interreliées, entre la critique de gauche et celle du nationalisme canadien. C’est une position inconfortable.

Je n’ai pas grand-chose de particulier à dire à propos des politiques souverainistes. Plus loin dans ce texte, je vais mentionner ce qui semble évident et important mais qui est souvent négligé dans les discussions de la gauche du « Reste of Canada » (ROC). Il faut réaffirmer que le premier ennemi des anti-impérialistes de ce pays est l’establishment fédéraliste et ses orientations internationales qui copient celles des pays anglo-saxons.
Dans Europe and the Arab World : Patterns and Prospects for the New Relationship (London, Zed Books, 2005,) Samir Amin et Ali El Kenz parlent d’un « bloc des peuples anglo-saxons ». Selon eux, ce bloc est un élément particulier des politiques internationales qui entretient la belligérance impériale. Ils ont de bonnes raisons de tenir ces propos. Le 20ième siècle a commencé avec les déclarations de Ms Balfour et Chamberlain en Angleterre vantant les vertus du « patriotisme de la race » anglo-saxonne pour le monde. Aux États-Unis au même moment, le Président Roosevelt pavoisait à propos des « particularités de la conquête coloniale » des terres amérindiennes dans son pays, en Australie et au Canada. À ses yeux, cela les distinguaient positivement des autres colonialistes occidentaux. Il faut se rappeler que ce Président a aussi conquis les Philippines en y massacrant la population.

Après la 2ième guerre mondiale, Winston Churchill, cet impérialiste enthousiaste, a repris ce thème. Dans son discours à Fulton (Missouri), il insistait sur la nécessité d’une alliance anglo-américaine. Il préconisait « une association fraternelle des peuples ayant la langue anglaise en commun » comme le meilleur instrument pour que l’Angleterre puisse exercer son pouvoir. Il donnait comme exemple le récent rapprochement des armées canadiennes et américaines et soutenait que ce modèle devrait s’étendre aux autres pays occidentaux où la langue anglaise est d’usage.

Ce siècle s’est refermé sur ce que Ms Amin et El Kenz appellent « la 2ième guerre du Golfe, celle de 1998 qui n’a pas eu lieu ». Le refus des Européens de participer au bombardement de l’Irak à ce moment là et d’ainsi déclencher une guerre plus étendue, a empêché les anglo-américains d’aller de l’avant avec leur projet. La France a rejoint la Chine et la Russie au Conseil de sécurité des Nations Unies appelant à une augmentation des sanctions contre l’Irak et au renvoi des diplomates australiens responsables de la prétendue supervision des sanctions appliquées jusque là. Plus tard, quand les bombes britanniques et américaines ont commencé à tomber le chef des libéraux canadiens, M. Jean Chrétien, en bon libéral internationaliste qui ne s’était jamais engagé au-delà de Londres et Washington, a appuyé l’agression. W. Churchill avait été le premier à permettre des bombardements sur l’Irak après la première guerre mondiale. Il serait sans doute très fier de constater que son « association fraternelle » préférée a survécu.

Les institutions canadiennes sont associées au pouvoir anglo-américain. Cela comprend la participation au système inter opérationnel militaire américain particulier qui inclut aussi l’Angleterre et l’Australie. Cette association est de plus en plus profonde. Les Conservateurs du gouvernement Harper l’ont reprise et proclamée de la plus curieuse façon, quasi identitaire. Comme je l’ai écrit en décembre dernier, (Palestine in Canadian Politics) M. Harper, bien anachroniquement, s’est déclaré en public être « un patriote britannique » du 21 ième siècle.

Le potentiel particulier de la lutte contre la guerre au Québec

Il est un peu amusant de lire ce que les universitaires écrivent à propos de la participation du Canada à l’« anglosphère ». Le moins que l’on puisse dire c’est qu’il s’agit d’un membre bien considéré. Contrairement à l’Australie, dont les politiques impérialistes ont souvent été un peu effrontées dans ce club, la confédération canadienne a tenu son rang. Elle a d’ailleurs minimisé les « prédilections québécoises vers des options non violentes ». Dans son étude intitulée « The Anglospere : A Genealogy of a Racialized Identity in International Relations, Srdjan Vucetic rapporte que les sondages ont montré, par exemple, que le Québec a souvent « poussé les moyennes nationales canadiennes vers la gauche sur plusieurs enjeux dont les affaires internationales ».

Pour ce qui concerne la guerre, il s’agit d’un fait bien établi. Déjà, au début du 20ième siècle, l’opposition des Québécois à la guerre a été un facteur important dans la politique canadienne quand le pays a décidé d’envoyer des troupes combattre en Afrique du Sud sous les drapeaux britanniques. La conscription au moment des deux guerres suivantes y a provoqué des crises importantes. On retrouve cet élément de continuité dans la plus importante manifestation du pays qui s’est tenue à Montréal en 2003 contre la guerre en Irak. Mais c’est au cours des années soixante et particulièrement soixante-dix que cette tradition a pris ses dimensions les plus prometteuses.

Durant ces années la lutte pour la souveraineté s’est présentée comme un élément des luttes anti coloniales sur la base du racisme structurel. Sans doute le racisme du Canada anglais ne se limitait-il pas aux Québécois. Il avait déjà dépossédé les AmérindienNEs d’un océan à l’autre et sévi contre les immigrants asiatiques en Colombie Britannique. Ce racisme se concentrait particulièrement contre les « gens de couleur ». Mais, pour reprendre la formule d’un représentant souverainiste de l’époque, Charles Gagnon, il y avait une certaine vérité de leur part à lutter contre le « racisme blanc anglosaxon » dans la lutte contre les structures nord- américaines qui en sont porteuses.

Les commentateurs politiques l’avaient eux-mêmes laissé entendre depuis longtemps. C’était le cas de l’auteur J.B.Brebner dans son livre « North Atlantic Triangle » publié en 1949. Il y traçait la position du Canada dans le monde de l’après deuxième guerre mondiale. Pas de doute qu’il était empêtré dans l’Empire britannique mais aussi avec les États-Unis. Brebner souligne que ce voisin était (est toujours n.d.t.) « des mêmes souches humaines sauf pour ce qui concerne les Français et les nègres ». La classique autobiographie du souverainiste Pierre Vallières, Nègres blancs d’Amérique, a pu créer la surprise avec son titre mais il ne dévoilait rien de neuf.
Il arrive qu’on analyse l’histoire québécoise comme celle de colonisateurs se présentant comme des colonisés. Cela ne fait pas beaucoup avancer le débat. Pas plus que l’analyse des statistiques sur la distribution de la richesse et du pouvoir dans le pays. Sean Mills en fait une présentation nuancée dans The Empire Within.

Je veux insister ici sur une évidence : les politiques syndicalistes et anticoloniales qui ce sont développées à l’époque, ont eu une très grande importance. Et en plus, leurs effets sont toujours d’actualité. Cela contraste avec ce qui s’est passé aux États-Unis par exemple. Là, les gains de la gauche qui avaient atteint la culture populaire ont presque tous été annulés par des décades de campagne par les pouvoirs établis contre le soi-disant « syndrome du Vietnam ». Comparativement, selon les standards nord-américains, le militantisme syndical et une certaine sympathie pour les luttes internationales pour l’indépendance sont toujours vivants et répandus au Québec.

Bien sûr, les contradictions abondent dans tout ça. L’identification de la gauche souverainiste avec le courant de libération du tiers monde a laissé des traces constructives. Mais comme Pierre Vallières l’admettait lui-même, le Québec fait parti de « l’occident privilégié » non pas du tiers monde, malgré les similarités invoquées au cours des années soixante-dix.

Souvent, le projet de souveraineté québécois est accusé d’avoir jeté aux orties les « Canadiens français », la religion et l’identification ethnique pour adopter une plateforme politique basée sur la langue et le territoire. Pourtant, la composante ethnique est constamment dans les mémoires encore aujourd’hui et demeure une force sous jacente pour ces militantEs.
En ce moment, le PQ représente le pire de tout cela. Pour combattre la défense ordinaire du fédéralisme, il faut faire plus que lancer une formule de gauche. La force, spécialement le potentiel de force, des alliéEs dans l’environnement des militantEs contre la guerre, des syndicalistes québécois comme des étudiantEs de la révolte du printemps 2012, ne peut être dissociée des aspirations séparatistes. Pour poursuivre la lutte il faudra qu’une coordination effective et respectueuse se fasse entre toutes les facettes du mouvement.

Continuité et stratégie dans la conception du colonialisme

Un point de vue répandu dans une partie de la gauche canadienne anglaise veut que, puisque le Québec est une société issue du colonialisme, la lutte pour la souveraineté n’est rien d’autre qu’une lutte coloniale. Évidemment, la tension entre les revendications territoriales québécoises et celles des amérindiens pour leurs propres droits territoriaux est cruciale. Mais il est impératif de l’aborder avec sérieux et avec une certaine cohérence. C’est un débat qui a lieu partout en Occident. Les effets de la colonisation se font sentir partout dans les Amériques ; l’installation des colons sur ces territoires n’est pas une exception mais bien la règle. C’est une donnée fondamentale qui peut mener à toutes sortes de directions politiques. On peut dire que la lutte des amérindiens se doit d’être centrale pour toute organisation progressiste qui se targue de ce nom. On peut aussi l’utiliser comme moyen pour discréditer tout projet social dérangeant. Ça n’a rien d’hypothétique.

Rappelons-nous que Ronald Reagan s’est fait le champion des droits des peuples aborigènes en déclarant avec justesse que le gouvernement sandiniste du Nicaragua était responsable « d’une campagne qui peut mener au génocide des Indiens Miskitos ». Pourtant l’administration Reagan avait aussi sous les yeux certaines des pires atrocités commises au cours du 20ième siècle contre les Amérindiens dont les meurtres systématiques des Mayas de la région d’Ixil au Guatémala. Le soit disant soucis pour les droits autochtones était le moindre prix à payer pour justifier la politique de guerre menée par cette administration en Amérique centrale. Le fait qu’il y avait de réels problèmes au Nicaragua autour de cet enjeu ne fait que rendre le cas plus instructif.

Revenons au Canada et à sa devise : « A Mari Usque Ad Mare ». C’est une déclaration typiquement coloniale. Les journalistes fédéralistes la ressortent en l’accolant aux droits autochtones chaque fois que la question de la souveraineté québécoise revient dans l’actualité.

Inutile de rappeler que le Canada est un état défini par ses frontières coloniales : l’« Empire de l’Ontario » comme l’appelaient ses premiers dirigeants ; la Colombie britannique qui s’est accaparé des territoires amérindiens non cédés par traités pour y installer des colons blancs et qui a agressivement lutté contre le « péril jaune ». Le Québec comme le reste du Canada et de ce point de vue, comme le Chili, le Venezuela, le Nicaragua, est issu de la colonisation. Le projet souverainiste inclusif, basé sur le territoire et la langue se dresse comme une contestation de ce modèle. Mais on ne peut faire confiance une seule minute à l’actuelle direction du PQ pour donner une orientation constructive à ce programme. Dans ce contexte une ligne d’attaque souverainiste de gauche demeure une alternative au fédéralisme. L’histoire politique déclenchée par ce mouvement de protestation va dans ce sens.

Voici quelques exemples qui parlent d’eux-mêmes. Le cas classique de la fusion du militantisme syndical et de la conscience souverainiste des années soixante-dix : au niveau organisationnel, le développement du Conseil central de Montréal de la Confédération des syndicats nationaux (CSN) en une entité forte de gauche et au niveau de l’action, la vague de grèves qu’a connu la province à l’époque.

On connait surtout ces militantEs de la CSN pour leur implication dans la solidarité internationale en regard du Chili et de la Palestine. Mais le matériel d’éducation populaire qu’ils et elles ont développé commençait à traiter de façon intéressante la place de la lutte anti colonialiste des Amérindiens à l’intérieur de l’histoire québécoise. Dans son Petit manuel d’histoire du Québec, (1970), Léandre Bergeron inscrit les attaques contre le régime anglo- saxon dans un cadre plus large en condamnant le racisme occidental et l’histoire coloniale. Ce petit livre a été largement distribué par la CSN. Bien sûr des contradictions subsistent. Il y a par exemple, des tensions entre l’interprétation historique de L. Bergeron et la façon dont la classe ouvrière souverainiste se situe parfois sur ces questions. M. Bergeron cible un racisme structurel contre les indigènes comme cause première de leur réalité. Cela implique aussi bien les Anglais que les Français, les riches que les pauvres. Pour les souverainistes cet enjeu du racisme anti amérindien est une réalité d’arrière scène. Néanmoins, cette approche de la question indigène a été constructive.

Sean Mills note que ces réflexions se sont finalement traduites dans des actions concrètes. Par exemple, au début des années soixante-dix, dans la volonté du gouvernement québécois d’assoir son autorité sur le nord de la province jusque là administré par le fédéral, on peut voir la substitution d’un colonialisme par un autre. La lutte des Amérindiens pour le contrôle de leurs communautés, de leur éducation s’est heurtée aux obstacles habituels. Il souligne que cela est : « une nouvelle mouture des vieilles politiques colonialistes sauf que le Français plutôt que l’Anglais est devenu la langue de l’assimilation. (Mais) les enseignantEs francophones de la région ont fait grève pendant 2 mois aux côtés des Inuits pour la préservation de leurs droits culturels ». Par la suite, le rapport de la centrale syndicale des enseignants (CEQ), était titré : Le Nouveau-Québec, ou comment des colonisés traitent leur colonie. Il y était déclaré : « Qu’au droit des États d’organiser les populations, nous opposons celui des peuples à s’organiser eux-mêmes ».

Finalement, si on s’arrête à la crise d’Oka en 1990, on peut dire que ce fut une occasion où tout le Québec a fait preuve d’un racisme primaire et déplorable. Les souverainistes de gauche et crédibles ne pouvaient laisser passer une telle situation. Le président de Conseil central de Montréal, à la CSN, entre 1968 et 1978 , Michel Chartrand, qui est devenu une icône politique depuis ce temps même après sa mort en 2010, a soutenu les actions des Mohawks et défendu avec force une politique d’intégrité. Il a clamé que cette lutte était justifiée quelque soient les moyens employés : « Après 200 ans, qu’est-ce qu’il reste à faire pour défendre ton territoire que de prendre les armes ». [2] C’est le déploiement de la Sureté du Québec qui était criminel, la lutte des indigènes exigeait un support organisé. M. Chartrand soulignait que la propagande à propos d’éléments dangereux parmi les Mohawks n’était qu’une réminiscence de « l’infiltration communiste » qu’utilisait le gouvernement du Québec à une époque pour justifier ses attaques contre les travailleurs-euses syndiquéEs.

CertainEs pourraient objecter que les politiques souverainistes québécoises qui supportent les luttes des Premières nations et intègrent cet appui dans leurs actions, ont quand même une odeur de colonialisme. C’est vrai. Mais pour poursuivre le débat sur ces questions il faut faire preuve de sérieux et de constance. Nous sommes déjà chargéEs politiquement et enclinE à suivre le Maclean’s ou Reagan.

Ceci dit, rien de tout cela n’efface le fait que l’actuel PQ et sa direction sont des ennemis politiques. On peut oublier la plateforme originale du PQ de 1970. Ses revendications allaient des réformes sociales démocratiques jusqu’au retrait de l’OTAN. Et le parti a entretenu des liens avec la gauche extra parlementaire au cours des années qui ont suivi. Ce sont les reliques du passé de ce parti. Pour les progressistes sérieux il ne reste que quelques éléments d’espoir dans certaines cooptations d’aveugles invétéréEs.

« Le gouvernement de Pauline Marois, depuis 2012, a appliqué méthodiquement le manuel de l’austérité ».

C’est ce qu’avait déjà fait le gouvernement Bouchard au milieu des années quatre-vingt-dix en partenariat avec le gouvernement Chrétien-Martin. Il avait imposé de dures politiques néo libérales. Donc les politiques d’austérité n’ont pas cessé avec la défaite des Libéraux en 2012. Même s’il s’agissait d’une dure défaite.

Et il faut ajouter la fameuse « charte xénophobe » [3] du gouvernement Marois, cette basse attaque contre les travailleuses voilées du secteur public. Le prestige des vieilles luttes québécoises contre le clergé catholique réactionnaire n’en est en rien entaché et garde sa valeur, car l’exploitation de ce faux débat sur la laïcité est transparente. Cette campagne lamentable contre une fraction de la population, par exemple celle de l’Afrique du nord et du Liban, devient centrale. Rien à voir avec le projet québécois inclusif basé sur le territoire et la langue.

Redisons-le, après ce recul dans la campagne électorale (celle du 7 avril. N.d.t.), s’est ajouté le pire des arguments pour reprendre la discussion sur la souveraineté : l’annonce de la candidature du millionnaire magnat des médias, Pierre Karl Péladeau. Il est propriétaire de la chaîne Sun News au Canada anglais, la porte-parole de la droite. Elle pratique à satiété le « Québec Bashing » avec les méthodes les plus discutables. Il faut ajouter au débit de P.K.Péladeau le lock-out au Journal de Montréal pour venir à bout du syndicat. Pourtant, en dépit de ce tableau désastreux, les médias se sont immédiatement emparés de cet événement.

Les leaders amérindiens du Québec ont réagi avec une hostilité justifiée. Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations au Québec et au Labrador, a insisté pour dire que toute discussion sur la souveraineté du Québec est impossible et illégitime si elle ne prend pas en compte leurs demandes légitimes quant au respect de leurs droits inaliénables sur leurs territoires, et leur droit à l’auto-détermination. Les syndicalistes, pour des raisons qui leur sont propres et en dépit de leur orientation souverainiste ont été choquéEs par la direction que le PQ adopte en ce moment. Le Québec, comme presque partout ailleurs, vit en temps d’austérité et de résurgence du racisme.

Mais il faudra plus qu’une remise à jour du multiculturalisme canadien pour faire écran à l’anachronique course au patriotisme britannique colporté dans le monde en notre nom. Ou encore pour masquer le fait que le pays est intimement lié aux interventions armées anglo-américaines. La réponse au statu quo de la base électorale de ce gouvernement est de se permette de critiquer le Québec avec suffisance.

Les QuébécoisEs n’expriment pas, en ce moment, tout leur potentiel de lutte contre les guerres. Le gouvernement Harper y mène ses campagnes de recrutement aussi ardemment qu’ailleurs au pays. Le cœur de l’establishment politique commence d’ailleurs à se poser la question évidente : « Qu’allons-nous faire de ces soldatEs » ? À Montréal par exemple, où la gauche organisée est relativement forte, des affiches de recrutement des Forces armées sont en évidence dans les transports en commun sans aucune réaction. On pourrait pourtant les enlever aussi facilement qu’on retire une feuille autocollante. Venir à bout de l’apathie face à la lutte anti-impérialiste peut être une tâche ardue partout.

L’ennemi ici, n’est sûrement pas qu’« Anglo-saxon ». Les Québécois ont contribué aux politiques impérialistes fédérales lorsque ses représentantEs, membres de l’establishment politique ont participé à un des pires crimes de la politique étrangère canadienne au 21ième siècle : le renversement en 2004 du gouvernement dûment élu en Haïti. Ils et elles ont participé à l’occupation du pays ensuite. L’élite canadienne française, comme l’ont souvent souligné des souverainistes comme Michel Chartrand, se place souvent du mauvais côté de la barricade. L’Europe de l’ouest nous l’a démontré : subir l’aliénation anglo-américaine n’empêche pas de commettre des crimes à l’étranger. Les mouvements québécois qui veulent dénoncer l’État criminel n’ont pas à chercher bien loin.

Mais, un fait demeure ; si un mouvement national de contestation des crimes de l’État canadien s’organise dans les années à venir d’un océan à l’autre, les mouvements québécois en seront un des éléments de tête. Et la direction de ce mouvement national devra faire preuve de respect envers l’histoire politique particulière de laquelle sont issues certaines de ses inspirations et de sa dynamique.


[1Référence aux élections québécoises du 7 avril dernier.

[2Fernand Foisy, Michel Chartrand : Les dires d’un homme de parole. Ed. M. Brulé, Mtl 2012

[3En Français dans le texte. N.d.t.

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