Édition du 26 mars 2024

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Serrer la main du diable

Le 5 février dernier, le tout dernier Ministre conservateur du développement international, Christian Paradis, lançait sa toute nouvelle « Politique de partenariat avec la société civile ». Saluée de parts et d’autres par de multiples intervenants et associations, cette « nouvelle » politique se veut une promesse quasi électorale de réparation des dommages directs et indirects infligés aux organisations canadiennes impliquées en coopération internationale par le gouvernement Harper depuis son arrivée au pouvoir en 2006. Certains voudraient bien y croire.

Mais avant même de parcourir les lignes de la nouvelle politique, qui sans moyens ne vaut pas le papier sur laquelle elle est écrite, il importe de jeter un regard sur les dernières années du règne de Stephen Harper pour comprendre les intentions de ce gouvernement en rapport avec le secteur de la coopération internationale. Malheureusement, les faits parlent fort. Il évident ici que le seul gagnant de la nouvelle politique est le gouvernement conservateur.

Massacre à la scie mécanique

Beverly Oda fut la toute première ministre chargée de la coopération internationale sous le règne Harper. Connue pour son style agressif et ses dépenses plutôt discutables, la ministre Oda fut essentiellement responsable de la destruction de l’ensemble des programme de partenariat avec la société civile au sein de la défunte Agence canadienne de coopération internationale – ACDI. Elle a d’abord et sans raison administrée des coupures directes à plusieurs groupes, dont Alternatives et Kairos, en plus de fermer d’importants guichets, dont justement celui appelé le « Partenariat » qui permettaient aux groupes de disposer d’un minimum de marge de manœuvre pour effectuer leur travail de solidarité. Juste avant, elle avait resserré les critères au point où toute propositions de ces groupes devaient essentiellement s’aligner sur les priorités géographiques et thématiques du gouvernement canadien. En 2009, quand Alternatives a vu son programme coupé de 14 à 3 pays, les seuls projets autorisés à continuer furent justement ceux en Haïti, en Afghanistan et en Irak, les trois priorités du gouvernement canadien d’alors.

Beverly Oda fut également responsable de la coupure de 100% des financements liés à l’engagement des canadiens (les fonds qui permettaient aux groupe de parler de leur travail ici), de la fin du programme Initiative jeunesse, de la mise en place des nouvelles « clauses bâillon » interdisant aux groupes de divulguer toute information sur leurs projets sans autorisation préalable de l’ACDI, de la fermeture de Droits et démocratie, des coupures drastiques au Conseil canadien de la coopération internationale et de la mise en place des programme d’appels d’offre de l’ACDI qui devaient finalement lui-même être réduit à une peau de chagrin dans les années subséquentes. Elle a en plus entrepris une virulente chasse aux sorcières contre les actions de plaidoyer des groupes auprès du public et du gouvernement, réinterprétées alors comme d’inadmissibles affronts contre ce dernier et plus particulièrement contre le parti de Stephen Harper. Les attaques actuelles visant les status de bienfaisance des groupes et qui font que plusieurs risquent maintenant de perdre ces statuts, et conséquemment beaucoup de moyens autonomes, découlent directement de cette approche où le Parti de Stephen Harper considère que la position gouvernementale devrait la seule à être autorisé dans l’espace publique. Les organisations sont, au mieux, perçues essentiellement comme des agences d’exécution des plans gouvernementaux, ou encore comme des ennemis à abattre.

Secteur privé en renfort

En juillet 2012, Bev Oda démission dans la controverse. Ni le saccage de l’ACDI, ni les mensonges éhontés devant le Parlement concernant Kairos n’avaient suffit ; c’est finalement un verre de jus d’orange à $16 qui convaincront Harper de la pousser vers la porte ! Son successeur, Julian Fantino, ancien chef de police de Toronto, arrive en poste avec sans doute la pire expertise en terme de coopération internationale, tous partis confondus, de l’histoire de l’ACDI. À son premier voyage à Port-au-Prince en janvier 2013, il gèle les fonds de l’ACDI vers Haiti prétextant que « les Haïtiens devraient faire davantage pour ramasser les déchets dans leur pays ». Fin de l’analyse !

Mais la vision sclérosée du ministre ne s’arrête pas qu’à Haïti car c’est sous son règne que sonne le glas même de l’ACDI dont les ultimes programmes, notamment humanitaires, sont intégrés au sein du Ministère des affaires extérieures et du commerce auquel on ajoutera désormais le mot « développement ».

Dès lors, Julian Fantino ne jure que par le secteur privé, « La croissance des entreprises demeure l’une des principales façons d’assurer la croissance économique durable à long terme ». En avril 2013, à partir d’une rencontre tenue à Washington avec la Banque mondiale, il réitère que le développement « à la canadienne » sera « axé sur les innovations dans le secteur financier et sur le développement durable du secteur de l’extraction », un secteur évidemment où le Canada détient des intérêts énormes puisque que 3 minières sur 4 sont canadiennes.

Grogne québécoise et sauveur

Alors qu’au Canada anglais, certains osent saluer les exploits du Ministre Fantino (dont la fermeture de l’ACDI !), les groupes membres de l’Agence québécoise des organisations de coopération internationale – AQOCI fustigent. En février 2013, au terme d’une importante campagne de plaidoyer de l’AQOCI, le Ministère des relations internationales du Québec annonce la création d’un comité ayant le mandat de réfléchir à ce que devrait être une Agence québécoise de solidarité internationale (AQSI). En février 2014, un rapport présentant des recommandations pour la création d’une AQSI est soumis au soumis au Ministère.

Si le contexte austère des derniers mois semble avoir relégué le processus de la mise en place de l’AQSI aux oubliettes du côté du gouvernement du Québec, le processus lui, et l’opposition constante des organisations d’ici ont forcé Stephen Harper à changer d’approche.

En juillet 2013, c’est donc à un Québécois, Christian Paradis que revenait la gestion du Ministère des affaires extérieures, du commerce et du développement. M. Paradis fait rapidement plusieurs voyages vers le Québec et, contrairement à ces deux prédécesseurs, acceptent de rencontrer les intervenants d’ici soucieux de préserver ce qui reste. Les échanges sont courtois, les promesses vont bon train jusqu’à même l’adoption de la nouvelle politique qui semble confirmer un étonnant virage à 180 degrés du gouvernement conservateur face au secteur associatif dans la coopération internationale. Il va sans dire que certains sont tentés de diminuer la pression... le résultat sans doute recherché par les conservateurs du gouvernement Harper.

Quand même les cancres du développement

Au moment d’écrire ces lignes, à quelques mois des élections fédérales, les nouvelles promesses de partenariat avec la société civile, les affirmations qui reconnaissent le rôle central et essentiel des groupes citoyens en démocratie, les déclarations sur l’expertise canadien dans le développement ou dans le respect des droits demeurent des promesses électorales qui valent justement ce que valent des promesses électorales.

L’approche Paradis semble porter certains fruits au bénéfice du parti conservateur qui calme ainsi le jeu au Québec, mais les moyens ne sont toujours pas là. En 2010-2011, l’aide internationale comptait pour 0,34% du PIB, puis chutait à 0,27% deux ans plus tard. Toutes les prévisions budgétaires indiquent que cette baisse se poursuivra jusqu’à descendre en bas de 0,25%. On peut sans équivoque se demander d’où viendraient d’éventuels nouveaux fonds affectés au développement alors qu’il est clair que ce gouvernement ne coupera pas dans ceux destinés au privés ou dans le secteur extractifs pour refinancer des programme de respects des droits humains ou environnementaux !

Cynique ou porteuse d’espoir la nouvelle politique ?

Le gouvernement de Stephen Harper a utilisé les 9 premières années de son pouvoir à désorganiser voire détruire la coopération internationale canadienne. Des groupes ont du fermer leurs portes, des expertises ont été perdues, des centaines sinon des milliers de programmes au Sud au bénéfice des populations les plus pauvres ont du être abandonnés.

Prétendre aujourd’hui que les quelques pages de sa nouvelle politique de partenariat représentent autre chose qu’une tentative cynique de calmer la tempête relève non pas d’un espoir réaliste mais de l’aveuglement volontaire.

L’unique espoir pour la coopération internationale canadienne réside de fait dans les élections de 2015, lesquelles, il faut y travailler encore plus fort, verront le départ de l’équipe dévastatrice du parti conservateur.

Michel Lambert

Directeur général d’Alternatives.

http://journal.alternatives.ca

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