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Système de santé en Ontario : du public au privé, un gouffre financier

De nouveaux chiffres sidérants montrent que les soins de santé privatisés sont de loin plus coûteux que les soins de santé publics – de très, très loin. Que de la petite bière politique puisse déclencher de grands tollés, tandis que des scandales politiques purs et simples sont traités comme de simples boulettes, voilà qui m’étonne au plus haut point.

Tiré de Rabble

Mardi 23 mai 2023 / PAR : Linda McQuaig
traduction Johan Wallengren

Prenons, par exemple, les nouveaux chiffres sidérants qui montrent que les soins de santé privatisés sont plus coûteux que les soins de santé publics – pas juste un peu plus chers, mais exorbitants !

Tous les ingrédients pour produire un scandale sont présents – surtout en Ontario, où le premier ministre Doug Ford a fait avancer à marche forcée des plans visant à accroître considérablement la privatisation des soins de santé, plans jamais sortis des cartons avant sa réélection de l’an dernier.

Or, de nouveaux chiffres illustrent à quel point ces plans sont estomaquants : les données du gouvernement du Québec rendues publiques en avril montrent que les interventions chirurgicales dans les cliniques privées coûtent systématiquement plus cher au gouvernement, et souvent plus du double !

Un rapport de la CBC du 12 mai a révélé que nos hôpitaux publics, de plus en plus contraints à faire appel à des préposés aux soins infirmiers venant d’agences privées, versent à ces agences des émoluments pouvant atteindre huit fois le tarif courant.

Pour montrer à quel point la situation des préposés aux soins infirmiers confine à la folie, prenons ces deux cas et comparons-les.

Le préposé aux soins infirmiers nº 1, employé au service des urgences de l’hôpital général de Toronto, ne gagne que 37,10 dollars de l’heure, bien qu’il travaille fréquemment dans des conditions très éprouvantes. (Il s’agit du salaire médian réel des préposés aux soins infirmiers diplômés des hôpitaux du réseau universitaire de santé de Toronto.)
En imposant un plafonnement à 1 % par an des augmentations salariales depuis 2019, le gouvernement Ford s’est assuré que le préposé aux soins infirmiers nº 1 ne puisse obtenir de majoration substantielle de son salaire, alors même que l’inflation a fait un bond de plus de 7 %.

On pourrait conclure un peu vite que le gouvernement Ford est tout simplement déterminé à minimiser les coûts des soins infirmiers. Mais on serait loin de la réalité – ce qui nous amène au cas du préposé aux soins infirmiers nº 2.

Ce dernier a été à ce point découragé par la faible rémunération et le traitement dédaigneux de Monsieur Ford qu’il a quitté son emploi à l’hôpital et travaille maintenant pour une agence privée de soins infirmiers, avec à la clé un salaire à peu près doublé.

Beaucoup d’autres préposés aux soins infirmiers ont fait le saut de la même façon, ce qui a laissé nos hôpitaux en grave pénurie de personnel et les a obligés à faire appel à des préposés aux soins infirmiers d’agences privées. Or, ces agences ont profité au maximum de la détresse des hôpitaux en gonflant leurs tarifs – pouvant les faire grimper, en période de grand achalandage, à 300 dollars de l’heure – ce qui coûte à l’hôpital (et, in fine, au gouvernement) environ huit fois le salaire versé au préposé aux soins infirmiers nº 1, pour le même travail.

Le gros de la rémunération excédentaire atterrit dans les coffres des agences privées qui, en jouant leur rôle d’intermédiaire, ramassent des dizaines de millions de dollars d’argent public.

Cette utilisation inconsidérée des deniers publics pourrait être évitée si le gouvernement se contentait de verser un salaire raisonnable au préposé aux soins infirmiers nº 1, mais la fin de non-recevoir de M. Ford à cet égard donne à penser que la bonne gouvernance ne figure pas en tête de son programme.

Ce dernier semble plutôt avoir pour objectif d’anéantir les efforts des préposés aux soins infirmiers – en même temps que ceux de tous les autres travailleurs du secteur public – pour rattraper le retard accumulé après trois ans de plafonnement des salaires à 1 %. Ce plafonnement a certes été invalidé par les tribunaux l’automne dernier, mais le gouvernement Ford fait appel de cette décision et se bat pour le maintenir.

En plus de fouler aux pieds les syndicats du secteur public, M. Ford semble avoir à cœur d’éroder le système de soins de santé public, pour mieux ouvrir la voie à une privatisation poussée. Ce qui domine sans nul doute chez lui, c’est sa fixation sur la privatisation et sur la promotion des intérêts des entreprises privées.

Il ne semble pas comprendre qu’en tant que premier ministre, son rôle est de préserver les services publics, et notamment de protéger nos précieux programmes publics contre les menées des entreprises privées dont la seule préoccupation est de faire de l’argent.

M. Ford et ses ministres, qui se distinguent par leurs manières indécrottablement cavalières, font mine d’ignorer qu’ils ont été élus pour jouer le rôle de gardiens de l’intérêt public (en écrivant ces mots, je réalise à quel point on est ridiculement loin du compte, dans leur cas).
Au Parlement, la ministre de la Santé Sylvia Jones, qui semble incapable de défendre de manière cohérente la privatisation des soins de santé, tend à se replier sur les mantras du club des affaires, se contentant d’affirmer que « l’innovation n’est pas un vilain mot ».

Bien sûr, qu’il n’y a pas de mal à innover ; cela fait même du bien. Là où le bât blesse, c’est la façon dont Madame Jones et le reste du gouvernement Ford utilisent l’« innovation » comme un prétexte pour passer les travailleurs à la moulinette et canaliser les fonds publics vers des intérêts privés.

Ce n’est pas là de l’innovation. C’est une trahison par rapport au rôle de gardien du bien public qui leur incombe. Et, dans tout univers politique raisonnable, on aurait là une recette pour le scandale.

Une version de cette chronique a d’abord été publiée dans le Toronto Star.

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