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Une première internationale : deux militaires guatémaltèques condamnés pour mise en esclavage sexuel en temps de guerre

Lawrence Reichard, progressive.org 28 février 2016. L. Reichard est journaliste indépendant et travaille au Guatemala.
Traduction, Alexandra Cyr

C’est le premier procès de la sorte dans le monde. Une cour guatémaltèque a condamné deux officiers militaires pour avoir réduit des femmes en esclave sexuel durant la longue guerre civile dans ce pays. Cette cause est connue sous le nom de Sepur Zarco du nom de la localité où les crimes ont eu lieu, à soulevé l’attention médiatique nationale et de la communauté de lutte pour les droits humains.
Jusqu’ici, ce genre de crimes avaient toujours été jugé par des tribunaux internationaux. C’est donc la première fois qu’ils le sont dans des instances nationales.

Il y a deux ans, peu de gens en dehors du chaud et humide département d’Izabal dans les basses terres du nord du Guatemala, avaient entendu les mots, Sepur Zarco. Tout a changé en 2014. Dix huit ans après la fin des trente six ans de la guerre civile en 1996, deux soldats de l’armée nationale, postés notoirement à Sepur Zarco ont été arrêtés et accusés de meurtre et mise en esclavage de femmes pour fin de travail et d’activités sexuelles. La petite localité allait prendre sa place dans l’histoire des droits humains.

Le procès s’est tenu à Guatemala City et a duré quatre semaines. Douze victimes survivantes, toutes d’origine maya s’exprimant en Q’eqchi, ont pris place derrière la longue table de l’accusation le visage presque complètement dissimulé derrière leurs foulards colorés. Trente ans après leur cauchemar, elles craignent encore d’être identifiées.

Dans ce qui restera sans doute le témoignage le plus percutant de tout ce procès, une frêle vielle dame le visage presque complètement couvert, raconte comment sa fille et deux de ses petites filles âgées de deux et trois ans, sont descendues à la rivière faire la lessive et ne sont jamais revenues. Elles avaient été capturées par des soldats des baraquements de Sepur Zarco. Sa fille a été réduite en esclavage.
La témoin était toute droite sur son siège et parlait tranquillement dans sa langue. La traduction se faisait vers l’Espagnol par un interprète assis à ses côtés. Elle a raconté que sa fille était revenue une fois à la maison durant sa capture et qu’elle portait des marques de coups sévères. Ensuite elle a complètement disparu. Des années plus tard, la témoin a pu identifier des objets appartenant à sa fille près de restes humains partiellement décomposés et non identifiables. On à jamais retrouvé de traces de ses petites filles.

Le 26 février, le jour où le jugement allait être livré, la salle du tribunal était bondée des centaines d’observateurs-trices, militants-es des droits humains et de journalistes. Quand les douze témoins sont entrées, elles ont été applaudies pendant trois minutes.

Au moment où la juge Yassmin Barrios Aguilar a annoncé les verdicts et les sentences le slogan « Justice ! Justice ! » a surgit et électrisé l’atmosphère. Le lieutenant Colonel Esteelmer Francisco Giron a écopé de 120 ans d’emprisonnement et l’ancien Commissionnaire militaire Heriberto Valdez Asij, de 240 ans.

La juge Barrios a rétablit l’ordre et a poursuivi la liste des sentences. Les chants ont augmenté : « Mon cœur est Sepur Zarco » ! Et « Oui on peut le faire » ! Il y a aussi eut quelques « Assassin » ! dirigés contre les condamnés. On a chanté et pleuré. De leur place, les femmes Q’eqchi ont levé les bras pour saluer la cour et quand elles sont sorties de la salle du tribunal le cri de « Sepur Zarco » ! à surgit avec force. Il a duré tant que les femmes sortaient du palais de justice.

La lauréate guatémaltèque du prix Nobel de la paix et militante des droits humains, Rigoberta Menchu et la lauréate vermontoise d’un prix Nobel et militante contre les mines personnelles, Jody Williams, ont assisté au procès comme des militants-es des droits humains venant d’aussi loin que de France. Mme Menchu à donné une entrevue après les verdicts et sentences où elle a déclaré que les États-Unis avaient également une responsabilité dans cette affaire : « Ils ont soutenu l’armée, ils savaient exactement ce qui se passait ici et ils n’ont rien fait. Ils connaissaient la brutalité (exercée par l’armée). Des documents le prouvent. Donc ils ont une responsabilité et doivent l’assumer ».

Au cours du procès, l’avocat de la défense, Mtr Moisés Galindo a aussi soulevé l’enjeu de l’implication des États-Unis dans la guerre. Il y a probablement eu 200,000 morts-es et les Américains ont vu les massacres et les incendies de villages entiers. Mtr. Galindo a dénoncé le fait que la cour avait refusé de faire comparaitre l’actuel ambassadeur américain, M. Todd Robinson qui aurait pu témoigner de la doctrine de la sécurité nationale des États-Unis. Il a souligné qu’elle avait suscité une doctrine semblable au Guatemala et servi de base pour l’introduction de la brutalité dans la guerre : « Le ministère public a déclaré que tout cela avait eu lieu dans le cadre des politiques de sécurité nationale mises en place par l’armée. Dans ce cadre, la population était considérée comme un ennemi intérieur » a ajouté Mtr Galindo lors d’une entrevue après le procès. « Nous avons donc demandé le témoignage de l’ambassadeur T. Robinson parce que si l’armée guatémaltèque est coupable, c’est grâce à la formation donnée par les États-Unis. Donc ils devraient être ici.

L’ambassadeur devait expliquer ce qu’est leur politique de sécurité nationale que les procureurs publics disent s’est appliquée ici. Il devrait nous expliquer si cette politique, comme on le dit, comprenait systématiquement les viols de masse ».
Les trois juges dans cette cause devraient ordonner des dommages et intérêts payables par l’État guatémaltèque le 2 mars 2016. Les médias parlent de sommes allant jusqu’à 300,000$ par victime. Cela se passe dans un pays où le salaire minimum, souvent ignoré dans les zones rurales comme Sepur Zarco, se chiffre à 4,000$ par année.

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