Édition du 26 mars 2024

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Livres et revues

"La folie des banques centrales"

Une prochaine crise financière encore plus violente que les précédentes

(Deuxième partie)

Nous publions un deuxième extrait de la conclusion du livre de Patrick Artus et Marie-Paule Virard, intitulé "La folie des banques centrales". Ce livre a été publié chez Fayard.

Lire la première partie.

Après la crise des pays émergents en 1997, celle de la bulle Internet en 2000- 2001, celle des subprimes en 2008-2009, il est évidemment difficile de dire quel sera le sort de la prochaine crise financière. Les points de fragilité de l’économie mondiale sont nombreux : pays émergents, pays périphériques de la zone euro, marchés actions, à moins que l’immobilier ne se rappelle à notre bon souvenir puisque dans beaucoup de pays (Royaume-Uni, Japon, Canada, Chine, Australie…), les prix ont repris leur ascension vers le ciel. Sans oublier, la bulle obligataire qui s’est formée depuis quelques années, aussi dangereuse qu’une bulle actions, car elle peut décimer les assureurs et… les emprunteurs.

Pour autant, il est possible de savoir où et quand la prochaine crise se produira. La question du « quand » est en fait une mauvaise question, puisque le futur n’est pas prévisible et que les banques centrales disposent d’énormes moyens pour retarder l’heure la vérité. Pour que la bulle éclate, il faut la conjonction d’une situation fondamentale déséquilibrée et d’une prise de conscience des marchés.

Mais une telle conjonction commence peut-être à se dessiner : au cours de l’été 2015, les marchés actions ont baissé de 14 % aux États-Unis et de 30 % dans la zone euro. En tout cas, une chose est sûre : si, dans le court terme, la sphère financière dicte sa loi, quitte à ignorer totalement l’évolution de l’économie réelle, dans le long terme, le réel reprend la main et refait irruption dans la sphère financière sous la forme d’une crise. C’est ce qui s’est passé en 2008 – 2009. C’est ce qui se reproduira inévitablement dans un avenir plus ou moins proche. Nous avons plutôt tendance à penser que la fréquence des crises de faire devrait augmenter, car il y a une interaction entre la situation de quasi-récession que nous connaissons, situation qui fait monter l’aversion pour le risque, et le déclenchement des crises financières. Surtout, la prochaine crise devrait être encore plus violente que les précédentes.

Une crise financière est en effet le résultat du basculement d’une masse de capitaux d’un actif risqué (actions, dettes bancaires…) vers un actif sans risque (dette publique des pays « sûrs », cash…) lorsque les investisseurs, tout à coup, prennent peur et qu’un début de panique donne le signal du retournement. Plus la liquidité mondiale est abondante plus ces mouvements sont violents puisque la taille des capitaux qui peuvent migrer d’une classe d’actifs à une autre est, elle aussi, de plus en plus considérable. Il suffit, par exemple, de prendre la mesure des flux de capitaux nets vers (ou depuis) les pays émergents ou la Chine pour imaginer l’impact de la liquidité mondiale sur l’ampleur des flux de capitaux. Ainsi, entre janvier et septembre 2015, les sorties de capitaux massives subies par les pays émergents (ou la Chine) ont provoqué une dépréciation éclair de leurs devises (-20,5 % pour le réal brésilien sur les sept premiers mois de l’année, – 15,4 % pour la livre turque, -9 % pour les pesos mexicain et chilien). Les banquiers centraux n’ont pas tenu leurs promesses : en huit ans, la planète finance n’est pas devenue plus sûre, plus mature, plus responsable. Ils se sont au contraire affranchis de toute règle et se sont laissés aller à jouer avec la monnaie. Les promesses n’engagent décidément que ceux qui les écoutent.

Des réformes institutionnelles pour tenter d’éviter le pire

Seule la mise en place de réformes institutionnelles importantes pourrait déjouer la prochaine crise. Voici pour conclure, et pour résumer notre réflexion sur ce à quoi devrait ressembler une nouvelle politique monétaire, six propositions pour éviter le pire.

1. Si l’inflation reste – comme nous le pensions – durablement faible pour des raisons structurelles (inférieure à 2 %), les banques centrales doivent laisser de côté l’objectif d’inflation pour adopter un objectif plus adapté à l’équation économique actuelle (contrôle des prix d’actifs, de la liquidité…) et veiller davantage sur la stabilité financière.

2. Si la croissance mondiale demeure durablement faible, s’assurer que les banques centrales utilisent la valeur correcte et actualisée de la croissance potentielle et non une valeur antérieure trop élevée, ce qui les inciterait à tenter de stimuler artificiellement la croissance. Prenons l’exemple de la zone euro. Aujourd’hui, la croissance potentielle de la zone est d’environ 1 % contre 2 % il y a dix ans avec une inflation de 1 % en tendance (2% il y a dix ans). Cela signifie que le taux d’intervention de la BCE ne doit pas excéder 2 % (contre 4 % avant la crise).

3. Faire en sorte que le FMI joue le rôle central qui doit être le sien, à savoir coordonner les politiques monétaires (de création de liquidité) et de change (éviter les politiques non coopératives de dépréciation des monnaies). Le rôle du FMI devrait être en effet de vérifier que toute dépréciation du change correspond bien à un véritable problème de compétitivité et de surveiller l’évolution de la liquidité mondiale, ce qui suppose certainement de ne pas accepter que la base monétaire parle de 7 000 milliards de dollars en 1996 à 20 000 milliards en 2015.

4. Renoncer aux politiques monétaires expansionnistes qui durent trop longtemps, car ces politiques sont certes efficaces à court terme en provoquant une baisse importante des taux d’intérêt à long terme, mais deviennent irréversibles et ne peuvent plus être abandonnées. Sachant que la durée de la vie moyenne d’une obligation est de sept ans, une politique monétaire est expansionniste, cela signifie que l’ensemble d’un portefeuille obligataire a été renouvelé avec des coupons à taux très faible. Si les taux entamaient une remontée, la perte en capital serait massive pour les investisseurs. Or le rendez-vous est inscrit à l’agenda pour 2016 puisque la politique de taux bas a débuté en 2009 ! Difficile dans ces conditions d’imaginer voir les autorités monétaires prendre le risque d’un bain de sang, ce qui explique les atermoiements récents de la Fed autour d’une hausse de ses taux directeurs, hausse toujours annoncée, toujours différée.

5. Renoncer à utiliser les politiques monétaires expansionnistes quand le problème de l’économie n’a rien à voir avec la politique monétaire, mais est étroitement lié à l’absence de réformes structurelles (marché du travail, soutien à l’innovation, réforme fiscale…), absence qui bloque la croissance de long terme à un niveau faible. L’utilisation intempestive des politiques monétaires expansionnistes comme substitut aux politiques de réformes structurelles ne peut en effet que déboucher sur une perte de leur efficacité.

6. Se donner un objectif de liquidité (base monétaire) mondiale raisonnable et, pour y parvenir, commencer à la réduire très doucement afin d’éviter tout risque d’accident. Logiquement, la base monétaire du monde devrait progresser à peu près comme le PIB mondial. Or, celui-ci a augmenté sur un rythme annuel de 8-9 % dans les années 2000 – 2008 tandis que la base monétaire mondiale affichait une hausse de 17 % par an, soit deux fois plus que ce qui aurait été raisonnable. Or, si dans le futur la croissance de la création de richesse mondiale ne dépasse pas 5 % en valeur, ce qui aujourd’hui fait figure d’étiage crédible, l’objectif d’augmentation de la base monétaire mondiale ne devrait pas excéder 5 % par an.

Au lieu de remédier aux problèmes de l’économie réelle, les banquiers centraux ont choisi, en réaction à la situation de sous-investissement, de mettre en place des politiques monétaires ultra-expansionnistes bien que, quelle que soit leur ampleur, ces politiques ne puissent corriger les causes de la quasi-récession qui touche désormais l’économie mondiale. Une politique conçue avant tout pour les marchés financiers, avec l’espoir que la confiance ainsi restaurée percolera dans l’économie réelle. Mais l’excès de liquidité qui en résulte est propice à d’énormes déplacements de capitaux tourne une classe d’actifs à une autre, d’un pays à l’autre. Et lorsqu’il s’agit du report massif de capitaux d’un actif risqué vers un actif sans risque, une crise financière peut éclater à tout moment. Petites répétitions avant « la générale » : en 2015, on a eu l’occasion d’observer les colossales sorties de capitaux en provenance des pays émergents et de la forte dépréciation du change de ces pays qui s’en est suivie. Elle a été assortie – dans le courant de l’été du report des actions vers les obligations publiques « sûres », en raison des craintes qui se sont fait jour sur la croissance mondiale, report qui a provoqué la chute des cours boursiers et le recul des taux d’intérêt à long terme sur les dettes publiques.

Pour le moment, le système tient. Nos « gardiens » de la monnaie peuvent ouvrir les vannes (autant qu’ils veulent et chaque fois que l’on en a besoin. Mais s’ils s’entêtent dans une fuite en avant ou l’on entretient le mythe du crédit qui crée de la valeur et où le chacun pour soi domine, il faut s’attendre à ce que surviennent des crises financières de plus en plus fréquentes et de plus en plus violentes. On observe d’ailleurs que le rythme s’accélère. Nous entrons dans l’ère de la crise financière permanente, jusqu’à ce qu’un coup de tabac, plus dévastateur que les autres, déclenche une nouvelle crise mondiale et mette la planète à feu et à sang. Comme le retour du refoulé, le retour du réel s’annonce ravageur. Surtout, une fois de plus, pour les plus fragiles d’entre nous.

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