Édition du 30 avril 2024

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Québec

Avis de la FIQ et de la FIQP sur la vaccination obligatoire contre la Covid-19

La Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec–FIQ et la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec | Secteur privé–FIQP sont des organisations syndicales féministes qui représentent 76 000 membres infirmières, infirmières auxiliaires, inhalothérapeutes et perfusionnistes cliniques œuvrant dans les établissements de santé et de services sociaux québécois. La FIQ et la FIQP ont toujours participé activement aux diverses consultations qui ont marqué l’histoire du réseau de la santé, se portant à la défense des intérêts et des préoccupations de leurs membres, mais aussi des patient-e-s et de la population.

L’enjeu de la vaccination obligatoire pour le personnel de la santé concerne directement les Fédérations, alors que 92,1 % du personnel de la catégorie 1 œuvrant au sein des établissements publics et des établissements privés conventionnés (EPC) a reçu une première dose de vaccin et que 87,5 % est déjà pleinement vacciné de façon volontaire, selon l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ, 22 août 2021), un taux nettement supérieur à celui de la population générale. Les Fédérations exposeront d’abord leur position, résolument en faveur de la vaccination, mais avec des réserves sur son caractère obligatoire, puis mettront de l’avant l’ensemble des moyens de protection toujours nécessaires afin d’enrayer la propagation du virus au sein des établissements.

Par ailleurs, la FIQ et la FIQP déplorent d’emblée n’être en mesure d’intervenir qu’au moment où la décision d’imposer la vaccination est déjà prise et annoncée, sans avoir eu accès aux dernières conclusions de la santé publique. Dans le dernier avis disponible rendu public à la mi-janvier 2021, portant spécifiquement sur la vaccination obligatoire des travailleur-euse-s de la santé contre la COVID-19, le Comité d’éthique en santé publique (CESP) de l’INSPQ recommandait « une campagne de vaccination non obligatoire qui repose sur les valeurs de réciprocité et de solidarité si importantes pour favoriser la vaccination, surtout en temps de pandémie. » Cette approche n’est visiblement plus le choix du gouvernement, mais les bases scientifiques qui le guident aujourd’hui ne sont pas accessibles à la veille du débat auquel les Fédérations sont conviées. La participation à l’actuel exercice de consultation se fait donc sans avoir eu accès à tous les éléments d’analyse
pertinents, ce qui soulève de nombreuses questions.

Le réseau de la santé est par ailleurs dans un état de fragilité sans précédent, alors que le gouvernement et les employeurs semblent assister, impuissants, à l’exode des professionnelles en soins, qui ont travaillé sans relâche depuis le début de la pandémie, au péril de leur santé physique et psychologique. Tout effet collatéral qui risquerait de priver davantage le réseau de la santé des professionnelles en soins doit être impérativement prévenu.

1. Positions de la FIQ et de la FIQP
Sur la vaccination et la vaccination obligatoire

Les Fédérations ont toujours recommandé le recours à la vaccination à l’ensemble de leurs membres. Dès le commencement de la campagne de vaccination contre la COVID-19, elles ont réitéré fortement cette recommandation allant même jusqu’à réclamer de rendre le vaccin disponible plus rapidement pour les professionnelles en soins. Elles partagent ainsi l’objectif du gouvernement de vacciner le plus grand nombre de professionnelles en soins possible.

Depuis avril dernier, les professionnelles en soins sont soumises aux modalités de l’arrêté ministériel 2021-024. Cet arrêté prévoit que les professionnelles en soins non vaccinées ou celles qui ont reçu une première dose depuis moins de 14 jours doivent subir des tests de dépistage à raison de trois fois par semaine minimum pour être en mesure d’effectuer leur travail. Les Fédérations n’ont pas remis en question cet arrêté et les modalités qu’il contient.

Le taux de vaccination important des professionnelles en soins est une démonstration qu’une campagne de vaccination volontaire donne des résultats impressionnants. Malgré le contexte difficile et le manque évident de personnel qui perdure depuis bien avant l’urgence sanitaire, les professionnelles en soins adoptent en pandémie les comportements recommandés et donnent l’exemple, puisqu’elles jouent un rôle important pour contrer l’hésitation de la population à recourir à la vaccination. Ces résultats ont été obtenus par l’encouragement, l’information et la collaboration. Toujours selon l’Avis du CESP, « (…) une stratégie de vaccination respectueuse des TdeS [travailleurs de la santé] passerait par la reconnaissance de leur contribution volontaire essentielle à l’effort collectif pour contrer la pandémie. »

La situation actuelle n’est pas celle d’un faible taux de couverture vaccinale qui serait persistant chez les professionnelles en soins. Ainsi, le choix de recourir à la vaccination obligatoire pour les professionnelles en soins, et les modalités d’application qui se dessinent pourraient comporter des écueils. Les Fédérations croient plutôt que le gouvernement aurait avantage à saluer l’engagement des professionnelles en soins en faveur de la vaccination, à reconnaître leurs efforts, à s’appuyer sur cette expérience positive et les résultats impressionnants de leur campagne de vaccination.

Sur les craintes des effets pervers du caractère obligatoire de la vaccination

L’hésitation vaccinale est un phénomène plus courant dans la population générale que chez les professionnelles en soins, dont le rôle d’éducation et de sensibilisation revêt une importance stratégique fondamentale pour atténuer cette hésitation. À ce chapitre, l’obligation vaccinale pourrait entraîner des effets pervers. En effet, la confiance des travailleur-euse-s de la santé envers les autorités est un des éléments déterminants dans leur volonté de recommander avec énergie la vaccination à leurs patients (Karlsson et coll., 2019). Le gouvernement tient un discours de protection à l’égard des professionnelles en soins, mais ces dernières se souviennent des incohérences auxquelles elles se sont heurtées des batailles qu’elles ont dû mener pour assurer cette protection. C’est le cas, notamment, de l’accès à la protection respiratoire requise en contexte de transmission aérienne du virus, que le Tribunal administratif du travail a autorisé, alors qu’une ordonnance du directeur national de santé publique l’a restreint pendant plusieurs mois, même si de nombreuses preuves scientifiques reconnaissaient la transmission aérienne. Dans la mesure où l’obligation vaccinale pourrait être perçue comme une nouvelle manifestation de la culture de gestion autoritaire qui prévaut dans le réseau de la santé et des services sociaux, il y a lieu d’anticiper que cette obligation vaccinale affecte davantage la confiance de certaines professionnelles en soins envers les autorités. Cela aurait des répercussions sur leur travail d’éducation et de sensibilisation de la population. Or, pour contrer la pandémie, il ne s’agit pas seulement d’améliorer le taux de vaccination des travailleur-euse-s de la santé (déjà très élevé), mais surtout d’améliorer le taux de vaccination de la population en général.

La vaccination doit aussi être considérée comme un moyen de prévention sur le plan de la santé et de la sécurité du travail (SST). La littérature dans ce domaine est claire : l’imposition des moyens de prévention n’est pas compatible avec un renforcement de l’adhésion à ceux-ci. Concrètement, en obligeant la vaccination, il y a un risque de diminuer l’adhésion et le respect des autres moyens de prévention SST, qui restent tout aussi importants (disponibilité des équipements de protection individuelle et particulièrement la protection respiratoire contre la transmission aérienne, l’organisation du travail qui respecte les différentes zones, la ventilation adéquate étant donné la transmission aérienne, etc.). La vaccination est une mesure de prévention, imbriquée dans une série d’autres mesures de prévention, tout aussi importantes. En axant son discours public principalement sur la vaccination obligatoire et unilatérale, le gouvernement n’envoie pas le bon message et pourrait, bien malgré lui, contribuer à la baisse de l’adhésion à l’ensemble des mesures de protection.

Par ailleurs, la question de l’obligation vaccinale surgit au moment où le réseau de la santé et des services sociaux est ébranlé par une grave pénurie de personnel, une situation qui doit entrer en ligne de compte. Ainsi, la question se posera rapidement à savoir où seront affectées les travailleureuse-s de la santé qui refusent de se faire vacciner. Faute d’obtenir une adhésion volontaire à la vaccination, certain-e-s travailleur-euse-s de la santé risquent de cesser d’offrir une prestation de travail ou d’être réaffectées, ce qui pourrait aggraver davantage la pénurie de main-d’œuvre et déstabiliser les équipes de travail. Cela risque d’affaiblir davantage un système qui ne peut se le permettre, déjà fragilisé par une pénurie structurelle de personnel aggravée par la crise.

En plus de ces conséquences indésirables appréhendées, certaines données préalables permettraient de s’assurer que la mesure proposée ait véritablement l’impact attendu : le portrait de la situation des professionnelles en soins qui ne sont pas encore entièrement vaccinées est à ce titre essentiel. Sont-elles enceintes, immunosupprimées, en arrêt de travail ? Font-elles partie de cette infime proportion qui hésite toujours à se faire vacciner, en raison du contexte particulier ? Sont-elles en contact prolongé avec les patients ? Ce portrait doit être précisé pour mettre en œuvre les stratégies pertinentes et poursuivre le travail d’éducation et de sensibilisation auprès de ces personnes, s’il y a lieu. De même que l’on doit continuer de mettre en œuvre un ensemble de mesure pour assurer la protection des professionnelles en soins et de leurs patient-e-s.

RECOMMANDATION 1 : Rendre disponible le portrait exact (non nominal) de la situation des professionnelles en soins non vaccinées

2. Mesures nécessaires pour assurer la protection complète des patient-e-s et des professionnelles en soins et diminuer la transmission de la COVID-19

Afin de protéger les patient-e-s et prévenir la transmission de la COVID-19 au sein des établissements du réseau de la santé et des services sociaux (RSSS), il est nécessaire de déployer l’intégralité de la hiérarchie des moyens de prévention. Ainsi, dans leur lutte contre la COVID-19, le gouvernement et les établissements du réseau de la santé doivent mettre en place des mesures de contrôle et d’ingénierie, des mesures administratives et organisationnelles et fournir les équipements de protection individuelle (ÉPI) appropriés.

La vaccination est un moyen de prévention crucial s’intégrant dans la hiérarchie, mais elle ne doit pas devenir l’unique moyen déployé. Une combinaison de plusieurs moyens de prévention est nécessaire afin de freiner la propagation de la COVID-19, le tout en ayant à l’esprit que les mesures d’ingénierie demeurent parmi les plus efficaces. Bien qu’il ne s’agisse pas de remettre en question les bienfaits de la vaccination, il serait imprudent de ne compter que sur elle, comme s’il s’agissait de l’unique remède à tous les maux de la pandémie. En axant principalement la stratégie de prévention et de contrôle de la COVID-19 sur la vaccination, le gouvernement occulte plusieurs autres moyens tout aussi bénéfiques, voire plus efficaces.

La FIQ et la FIQP suggèrent donc de continuer d’appliquer et/ou mettre en œuvre les mesures de prévention suivantes, le tout en conformité avec la hiérarchie des moyens de prévention :

x Améliorer la ventilation des établissements du RSSS en augmentant le nombre de changements d’air à l’heure. Plusieurs centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) du Québec n’ont aucune ventilation mécanique permettant un apport d’air frais dans les chambres des résidents, augmentant ainsi la concentration de particules inhalables. Lorsqu’un système de ventilation mécanique est disponible, certains CHSLD n’atteignent même pas un changement d’air à l’heure, en raison de la vétusté des systèmes et des bâtiments. Il est impératif que le gouvernement revoie sa stratégie de prévention de la COVID-19 en améliorant la qualité de l’air.

x Poursuivre le dépistage et augmenter l’accès aux tests rapides. Le dépistage est une mesure organisationnelle peu invasive pour les professionnelles en soins qui permet une réduction de la propagation de la COVID-19 en retirant en temps opportun du milieu de travail toute personne porteuse du virus.

x Augmenter la formation en prévention et contrôle des infections (PCI). Depuis le début de la pandémie, les professionnelles en soins n’ont pu obtenir le soutien nécessaire pour appliquer les méthodes de travail les plus sécuritaires, les équipes en PCI étant incomplètes et ce secteur d’activité souffrant d’un sous-financement chronique. Ces lacunes se sont fait cruellement ressentir et il était impératif d’améliorer le soutien aux professionnelles en soins en matière de PCI. Des ajouts importants ont été consentis, mais il s’agit d’un élément sur lequel il faut rester vigilants. Les professionnelles en soins doivent être formées afin d’appliquer ces méthodes de travail sécuritaires. La fréquence de ces formations doit également être augmentée.

x Favoriser des interventions ciblées dans les établissements où la couverture vaccinale n’est pas élevée en vue de susciter un maximum d’adhésion volontaire à la mesure.

x Continuer à limiter la mobilité du personnel. Certains employeurs ont recommencé à recourir au déplacement du personnel pour combler des absences prévisibles, malgré la Directive sur la stabilisation de la main-d’œuvre des milieux de vie publics et privés conventionnés des établissements du réseau de la santé et des services sociaux (décembre 2020). Une des importantes leçons de la première vague de la pandémie est que les travailleur-euse-s déplacé-e-s peuvent malheureusement devenir des vecteurs de propagation du virus. Cette directive doit être appliquée de façon stricte.

x Maintenir la fourniture d’appareils de protection respiratoire (APR) de type N-95 aux professionnelles en soins œuvrant en zone chaude ou tiède. La fourniture des appareils de protection respiratoire constitue le dernier rempart contre la COVID-19 dans la hiérarchie des moyens de prévention. Il est impératif que le gouvernement favorise l’accès aux APR et n’en restreigne aucunement l’accès, comme ce fut le cas dans le passé.

RECOMMANDATION 2 : Continuer d’appliquer et/ou mettre en œuvre les mesures de prévention suivantes (mesures de contrôle et d’ingénierie, mesures administratives et organisationnelles et fournir les ÉPI appropriés) :

 Améliorer la ventilation des établissements du RSSS ;

 Poursuivre le dépistage et augmenter l’accès aux tests rapides ;

 Augmenter la formation en prévention et contrôle des infections ;

 Favoriser des interventions ciblées dans les établissements où la couverture vaccinale n’est pas élevée ;

 Continuer à limiter la mobilité du personnel ;

 Maintenir la fourniture d’appareils de protection respiratoire de type N-95 aux professionnelles en soins œuvrant en zone chaude ou tiède.

Transparence et accès aux données concernant la vaccination

Il demeure également important que les syndicats, à titre de partenaire en santé et sécurité du travail, soient au fait des données les plus à jour concernant la vaccination en temps opportun et que le paritarisme soit favorisé. Cela implique un travail étroit du gouvernement, du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) et des établissements du réseau de la santé avec les syndicats. Sans les informations pertinentes, le syndicat ne peut remplir pleinement son rôle de représentation et d’information auprès de ses membres. Les bons résultats de la campagne de vaccination sont aussi le fruit de certaines initiatives paritaires (participation à la diffusion d’un message commun à la demande du MSSS pour promouvoir la vaccination), mais les Fédérations croient qu’il est possible d’en faire plus. En effet, avec une plus grande transparence et un partage des données pertinentes, il serait envisageable d’intervenir de manière ciblée là où les taux de vaccination seraient jugés insuffisants, comme cet avis le recommande, ce qui ne s’est pas produit fréquemment jusqu’à maintenant. Une meilleure collaboration permettrait de partager les bonnes pratiques entre les établissements et les syndicats et de mettre de l’avant les stratégies gagnantes, au bénéfice de la vaccination. Une telle collaboration permettrait peu à peu le rétablissement de la confiance chez les professionnelles en soins.

RECOMMANDATION 3 : Améliorer le partage des données pertinentes relatives à la vaccination et impliquer davantage les syndicats dans le développement de stratégies ciblées, dans un processus paritaire.

Conclusion

L’importance de la vaccination et sa nécessité pour tous et toutes sont des consensus forts : les professionnelles en soins en font elles-mêmes la promotion. La question au cœur de l’obligation vaccinale est davantage celle du lien de confiance entre les professionnelles en soins et le gouvernement, un lien qui s’est graduellement effrité en raison de l’approche coercitive que ce dernier a choisi d’appliquer à de nombreuses reprises avec les travailleur-euse-s du réseau de la santé. Les professionnelles en soins ont vu leur quarantaine réduite pour retourner plus rapidement au travail, leur présence y a été requise alors qu’elles présentaient des symptômes de la COVID-19, elles ont dû se battre jusque devant les tribunaux pour être protégées adéquatement et des arrêtés ministériels régissent encore leurs conditions de travail. L’imposition de la vaccination obligatoire s’ajoute à cette série de mesures qui ne relèvent pas de la collaboration et de l’adhésion.
Et c’est principalement sur cette base que certaines professionnelles en soins ont des réserves.

Ce que les Fédérations proposent, c’est de documenter de façon précise le portrait de la situation des professionnelles en soins non vaccinées, de déployer l’intégralité de la hiérarchie des moyens de prévention et d’accentuer la collaboration, notamment en vue d’interventions ciblées. On ne peut en aucun cas remettre en doute l’engagement des professionnelles en soins dans la lutte contre la COVID-19, autant par le taux de vaccination atteint, par leur participation aux campagnes vaccinales que par leur présence de tous les instants auprès de leurs patient-e-s. Dans l’éventualité où certaines de ses membres étaient visées par différentes mesures découlant de leur non-vaccination, il va de soi que les Fédérations les représenteraient, en vertu de leurs obligations prévues au Code du travail. Alors que les bris de services se multiplient, que les professionnelles en soins sont nombreuses à démissionner, les mesures choisies doivent être examinées à la lumière de l’état actuel du réseau de la santé et les effets pervers, prévisibles et nuisibles doivent être évités.

La présidente de la FIQ,

Nancy Bédard

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