Édition du 23 avril 2024

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Québec

COVID-19 : Les travailleurs migrants sont essentiels

Alors que les mesures visant à prévenir la propagation de la pandémie de COVID-19 au Québec continuent d’être mises en place, parmi ces dernières il y a des coûts économiques à assumer. Ainsi, le 23 mars 2020, nous avons été témoins de l’arrêt de toute activité économique « non essentielle » dans la province.

Les auteurs sont du Centre des travailleurs et travailleuses immigrants

La liste des activités déclarées essentielles pour les consommateurs ne devrait surprendre personne. On y trouve des épiceries, des pharmacies, des magasins à grande surface (s’ils ne sont pas rattachés à un centre commercial), le transport des marchandises, l’agriculture, l’entretien des bâtiments, la fabrication de produits essentiels, etc. Toutefois, nous sommes ici en présence d’emplois précaires, mais où les travailleurs de ces entreprises sont sur la première ligne afin de fournir les services essentiels au reste de la population pendant la lutte contre cette pandémie. De plus, dans chacun de ces secteurs d’activité, les travailleurs (im)migrants et issus des minorités sont représentés de manière disproportionnée.

À titre d’exemple, Dollarama, qui a été classé comme un service essentiel en Ontario et au Québec, compte presque exclusivement sur les travailleurs (im)migrants (travailleurs temporaires et immigrants récents) et ceux issus des minorités pour son énorme entrepôt de distribution dans la Ville de Mont-Royal. Cette caractéristique de la force de travail semble s’accentuer avec la crise, comme un travailleur en témoigne : « Depuis l’éclatement de la COVID-19, il ne reste que les gens de couleur. Tous les Canadiens blancs ne fréquentent plus l’entrepôt. Les travailleurs, nouvellement embauchés depuis, ne sont que des gars d’Haïti, de l’Afrique et des Latinos ». Parmi ces travailleurs (im)migrants et issus des minorités, presque tous sont employés à l’aide d’agences de placement temporaire, plutôt que d’être directement employés par Dollarama. Cette configuration semble favoriser la diminution des responsabilités en matière de sécurité sur le lieu de travail : « Dollarama n’offre pas de mesures sécuritaires convenables. On a porté plainte, mais ils n’écoutent pas. On a peur. On ne veut pas travailler là. Mais on doit mettre de la nourriture sur la table », souligne un autre employé de la compagnie [1]1.

Par ailleurs, à cause de leur permis de travail fermé (associé à un seul employeur), la majorité des travailleurs migrants risquent de perdre leur statut d’immigration lorsqu’ils sont mis à pied sans garantie de rappel, car la possibilité de trouver un autre emploi dans le contexte actuel est minime. De plus, renouveler ou refaire des papiers auprès de l’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada est presque impossible en ce moment. Cette triste réalité est mentionnée au CTI par un travailleur : « Mon permis expire dans quelques semaines, et il n’y a aucun emploi disponible pour moi. Qu’est-ce que je peux faire ? » Le retour dans leur pays d’origine n’est pas une option pour de nombreux travailleurs migrants. En effet, non seulement nous parlons de pays ayant des difficultés socioéconomiques, mais aussi de pays où la situation sanitaire est plus inquiétante. À cela s’ajoute le fait que plusieurs pays interdisent le rapatriement de leurs nationaux en plus du stigmate associé aux voyageurs pendant cette crise sanitaire mondiale.

Nous devons souligner que les personnes qui perdent leur statut d’immigration et deviennent des sans-papiers se trouvent évidemment dans une situation d’extrême précarité. Aucun programme de subvention publique ne leur est accessible. La seule possibilité pour subvenir à leurs besoins est d’accepter un emploi non déclaré. Malheureusement, plusieurs migrants sans-papiers ont exprimé leur désespoir faute de ressources pour se nourrir ainsi que leur famille.

En ce qui concerne les travailleurs agricoles, la grande majorité sont embauchés à travers le Programme des travailleurs étrangers temporaires du gouvernement fédéral. Si ces travailleurs sont exemptés de l’interdiction de traverser la frontière canadienne en raison de leur importance pour la production, ils semblent être dans une situation de vulnérabilité particulière. Afin d’aider à réduire les coûts des mesures de sécurité imposées par le gouvernement fédéral (2 semaines de confinement et le maintien de la distanciation physique), ce dernier accorde aux employeurs agricoles une subvention de 1 500 $ par travailleur étranger temporaire. Cependant, l’isolement de ces travailleurs et le fait qu’ils demeurent dans une résidence offerte par l’employeur rendent difficile la vérification de l’application des mesures gouvernementales. Selon des informations que nous avons reçues, la directive de rester en quarantaine pendant 14 jours pour les travailleurs en provenance de l’étranger est violée à certains endroits.

À cause de la pénurie de main-d’œuvre agricole, le gouvernement québécois a sollicité la population québécoise pour aller travailler dans ce secteur. Ceux-ci seront payés au salaire minimum et peuvent en théorie recevoir 200 $ supplémentaires par semaine à l’aide du Programme incitatif pour la rétention des travailleurs essentiels (PIRTE) et du Programme incitatif pour la rétention des travailleurs essentiels agricoles (PIRTEA). Toutefois, les travailleurs migrants agricoles profiteront difficilement de ces primes. D’abord, une grande partie des travailleurs sont payés en fonction de la production, donc à un taux inférieur à celui du taux du salaire minimum. De plus, le PIRTE exige, parmi les conditions d’accès au programme, de résider au Québec le 31 décembre 2019 et prévoir de rester tout au long de l’année 2020. Les travailleurs migrants saisonniers sont par conséquent exclus du programme. Quant au PIRTEA, bien que l’accès soit en principe ouvert aux travailleurs migrants, l’inscription auprès du Centre d’emploi agricole est requise. Il est donc fort probable qu’un grand nombre des travailleurs migrants n’en soient pas informés ou ne puissent pas effectuer la demande.

À la lumière des éléments exposés, il est clair que les travailleurs (im)migrants et issus des minorités sont essentiels pour le fonctionnement de l’économie canadienne. Cela est vrai en temps normal et avec une accentuation de leur précarité pendant cette période de crise. Pourtant, non seulement ils méritent, mais ont droit d’être en santé et en sécurité pendant leur travail ; d’avoir une juste compensation pour leur travail ; d’avoir une sécurité d’emploi et un statut d’immigration sécuritaire ; et d’avoir la dignité, tant sur le lieu de travail qu’à l’extérieur.


[1Des pressions effectuées par les travailleurs ont permis d’effectuer certains changements dernièrement.

Jon Milton

Journaliste et marcheur des Peuples pour la Terre Mère.

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