Édition du 16 avril 2024

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Canada

Canada INC., la politique étrangère détournée

Est-ce que la promotion des intérêts des entreprises privées devrait être le premier objectif de la politique étrangère canadienne ?Il semble bien que la classe d’affaire de ce pays le pense. Les conservateurs du gouvernement Harper semblent trop heureux de mettre tout le poids du gouvernement dans le soutient de ces intérêts. Ils le font sans grande critique idéologique ou politique.

Yves Engler est l’auteur d’un livre publié récemment : New Commune-ist Manifesto, Workers of the World It Really is Time to Unite. C.f. www.newcommuneist.com

(tiré de COUNTERPUNCH.ORG, 24 DÉCEMBRE 2013. Traduction, Alexandra Cyr)

Récemment, ils ont annoncé que la « diplomatie économique » allait devenir « la ligne de force de toutes les activités du gouvernement canadien au sein de son réseau diplomatique et international ». Selon son plan intitulé Global Markets Action plan (GMAP) : « Toutes les ressources diplomatiques du gouvernement du Canada seront dirigées vers le secteur privé pour augmenter les chances de succès de ses entreprises d’affaires à l’étranger ».

Cette publication est une confirmation évidente de l’engagement des conservateurs à mettre la politique étrangère du pays au service des intérêts corporatifs. Au cours des dernières années ils ont dépensé des dizaines de millions de dollars en activités de lobbying auprès des gouvernements américains et européens en faveur des intérêts des pétrolières liées au développement du pétrole des sables bitumineux, pour ceux de l’industrie de l’armement auprès des monarchies du golfe persique et d’autres abuseurs des droits humains, ou pour resserrer les liens entre nos politiques d’aide internationale et l’industrie minièreautrement responsable d’innombrables abus.

Certains commentateurs avancent que ce plan est une réponse « moderne » aux politiques internationales chinoises. En fait c’est un retour à une époque que beaucoup considèrent comme l’apogée du capitalisme non règlementé. Au début du 19ième siècle de riches individus, sans être employées par le gouvernement, dirigeaient la diplomatie canadienne. Par exemple, George Brown, propriétaire du Toronto Globe a négocié en 1874, les bases d’un traité avec les États-Unis. Sandford Fleming, arpenteur-géomètre du Canadien Pacifique, était le représentant du Canada à la Conférence coloniale de Londres en 1887.

La politique étrangère canadienne affichait ainsi son biais en faveur des considérations économiques. Il y a eu des commissaires commerciaux bien avant qu’il n’y ait des ambassadeurs. En 1907, il y avait 12 commissariats canadiens avec leur personnel « d’agents commerciaux » à Sydney, Capetown, Mexico, Yokohama et dans de nombreuses autres villes en Europe et aux États-Unis.

Mais quoiqu’il en soit de l’histoire, le fait qu’un gouvernement déclare publiquement que les intérêts économiques seront aux commandes de sa politique internationale, devrait soulever la controverse au 21ième siècle. Mais on entend peu de critiques envers ce plan ; il se peut bien que les progressistes se sentent débordéEs par l’agressivité de l’aile droite conservatrice dans toutes les sphères politiques. Peut-être y-a-t-il une explication plus fondamentale. Il se peut bien que les dirigeantEs des médias dominants soient d’accord avec l’idée que les intérêts des entreprises doivent dominer notre politique étrangère.

Dans la foulée de la publication du plan, Postmedia a organisé un débat entreM. John Manley, directeur du Canadian Council of Chiefs Executive et membre du groupe de consultation qui a aidé le gouvernement à élaborer sont plan, et M. Lloyd Axworthy, ancien ministre des affaires étrangères et supporter de la doctrine dite, Responsability to Protect. Alors que M. Manley glorifiait la nouvelle orientation conservatrice, M. Axworthy la critiquait en disant : « …c’est une mauvaise politique. La meilleure façon d’augmenter les perspectives commerciales, de développer des ententes et d’améliorer les échanges c’est d’avoir des contacts à qui vous pouvez démontrer que vous êtes prêt à coopérer en matière de sécurité, de droits humains et de développement ».

M. Axworthy n’a pas critiqué le plan conservateur au niveau des principes, il a simplement dit que les « chasseurs d’occasions d’affaires » (un euphémisme pour nommer les intérêts du secteur privé) seraient mieux servis par une politique étrangère polyvalente. Si M. Axworthy reçoit les louanges de l’intelligentsia libérale, sa critique tire sa substance de la classe d’affaire canadienne qui est la plus orientée vers les échanges internationaux que celles de tous les autres pays du G8.

Les compagnies canadiennes sont largement dépendantes du libre échange et elles font parti du premier groupe d’investisseurs dans le monde. GardaWorld, la compagnie privée de convoyeur de fonds la plus importante au monde, a pignon sur rue à Montréal et son personnel se chiffre à 45,000 personnes. SNC Lavallin, autre compagnie montréalaise, conduit des projets d’ingénierie dans 100 pays. Les compagnies canadiennes les plus puissantes le sont aussi à l’échelle mondiale. Les 5 grandes banques, qui font toute partie des 65 plus importantes dans le monde, opèrent à l’étranger pour la moitié de leur chiffre d’affaire. Par exemple, la Banque de Nouvelle Écosse est présente dans 50 pays.

Le meilleur exemple de cette implication à l’étranger reste le secteur minier. L’essentiel de ses investissements se font à l’extérieur du pays. Les trois quarts des compagnies minières du monde sont basées au Canada ou sont inscrites dans des bourses canadiennes. Elles sont présentes dans presque tous les pays et y opèrent des milliers de chantiers.

Les compagnies canadiennes ont investit 711,6 millions de dollars à l’étranger l’an dernier. Elles ont fait pression et obtenu le soutient diplomatique d’Ottawa, de l’aide directe et du support militaire. Alors que leur empreinte écologique s’alourdit toujours, elles ont encore plus insisté pour que le gouvernement soutienne leurs intérêts. Aucune autre voix ne s’élève pour demander au gouvernement de s’engager positivement dans les négociations internationales sur les changements climatiques, sur le contrôle des armes et d’intervenir pour restreindre les marges de manœuvre des compagnies minières.

L’opposition de fond au néolibéralisme est également limitée. Presque personne ne propose ou défend une alternative au capitalisme. Les syndicats, les groupes communautaires et les militantEs de tous bords mettent de l’avant une alternative économique et une autre vision sociale ; il est toutefois difficile d’imaginer que cela influencera la politique étrangère canadienne. Elle continuera à défendre et faire la promotion des intérêts des entreprises privées.

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