Édition du 3 décembre 2024

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Débat sur la question nationale

Cinq arguments pour une assemblée constituante avec mandat

Cinq arguments pour une assemblée constituante avec mandat.

Je m’intéresse à l’enjeu de l’indépendance du Québec depuis aussi longtemps que je me souvienne. Animé par cet enjeu, j’ai été délégué de notre parti lors du référendum écossais de 2014 et des élections référendaires catalanes de 2015. Finalement, en tant que candidat dans Hochelaga-Maisonneuve, un quartier qui a voté « oui » à 65% en 1995, c’est un sujet toujours présent dans mon travail de terrain.

Depuis notre fondation en 2006, nous avons gagné énormément de crédibilité dans les milieux progressistes, féministes et écologistes. Malheureusement, il faut faire le constat difficile que nous n’avons pas gagné autant d’appuis dans le milieu indépendantiste.

QS vit un paradoxe : notre proposition sur l’assemblée constituante gagne du terrain dans le milieu indépendantiste, mais pourquoi ses militants et militantes ne se joignent donc pas à nous en plus grand nombre ? Après plusieurs années à évoluer dans ces cercles, j’en suis venu à la conclusion que c’est en raison de l’ambiguïté de la position actuelle de QS, c’est-à-dire de la constituante « sans mandat ». La proposition de modification qui sera soumise à un vote au congrès de mai découle de ces constats.

Le but n’est pas de faire en sorte que QS ne parle que d’indépendance tout le temps. Le but est d’en parler avec plus de clarté et d’assurance.

Une constitution pour faire quoi ?

Rien n’empêche actuellement le Québec d’adopter une constitution provinciale sur ses propres bases. On pourrait y enchâsser la Charte québécoise des droits et libertés, la Charte de la langue française et d’autres dispositions. En ce moment, ces deux chartes ainsi que l’ensemble des lois sont modifiables par simple vote majoritaire à l’Assemblée nationale. Par contre, si elles étaient protégées par une constitution, ces lois ne pourraient être modifiées sans un procédé plus complexe, comme un vote au 2/3 de l’Assemblée nationale. C’est là le véritable intérêt d’une constitution provinciale. Le député péquiste Daniel Turp a déjà déposé un projet de loi en 2007 pour rassembler les lois québécoises au sein d’une constitution québécoise de ce genre.

On pourrait profiter de la préparation d’une constitution provinciale pour donner plus de pouvoirs aux citoyens via des référendums d’initiative populaire, par exemple. On pourrait suivre l’exemple de l’Islande et donner le droit aux citoyens, moyennant quelques balises, d’introduire des projets de loi directement à l’Assemblée nationale.

Cependant, l’ambition de l’assemblée constituante de QS est beaucoup plus vaste. Elle vise à se détacher de l’ordre constitutionnel canadien et à faire du Québec un pays. En ce sens, il importe de faire une distinction claire entre une constitution pour une province et une constitution pour un pays : la première n’a pas le choix de respecter le cadre de la constitution canadienne tandis que la seconde vise à rassembler en son sein l’ensemble des pouvoirs d’un pays libre.

Constituante avec ou sans mandat ?

Les tenants de la constituante sans mandat souhaitent laisser à l’assemblée constituante le pouvoir de décider ce qui sera soumis en référendum, peu importe qu’il s’agisse d’une proposition d’indépendance, d’une forme ou une autre de fédéralisme renouvelé ou encore de statu quo. Ce faisant, on demande à la constituante de régler deux débats en même temps : faut-il faire du Québec un pays et à quoi ressemblera ce pays ? On ne précise jamais, d’ailleurs, lequel de ces deux débats devra être résolu en premier. De plus, dans ce scénario, le débat à savoir s’il faut faire du Québec un pays est fait deux fois : une fois au sein de la constituante et une autre fois lors du référendum pour ratifier la nouvelle constitution.

Au contraire, nous croyons que l’assemblée constituante a un mandat : celui d’en arriver, à la fin de ses travaux, à une proposition de constitution d’un Québec indépendant. Cette nouvelle constitution devra être adoptée lors d’un référendum. C’est bien là que s’exercera la souveraineté populaire.

1) Clarté et honnêteté

Adopter la constituante avec mandat est une question de clarté et d’honnêteté. En effet, laisser entendre que le résultat de ce processus ne débouchera pas nécessairement sur un projet de pays sème la confusion. Cela nous éloigne des indépendantistes convaincus sans nous rapprocher des indécis.

Il est souvent dit qu’en ne présumant pas de l’issue du débat, la constituante sans mandat ratisserait plus large et attirerait les fédéralistes à participer au processus. Cependant, il est impossible de dire si plus ou moins de fédéralistes et d’indécis participeront ou pas à notre initiative. Les personnes de bonne foi ne deviendront pas de mauvaise foi du jour au lendemain si l’on donne un mandat à la constituante. Il faut également se rappeler que le contexte y est pour beaucoup. En 1995, plus de 93% des Québécois et Québécoises ont voté. Il est raisonnable de croire qu’une forte proportion du peuple québécois voudra participer d’une manière ou d’une autre au processus proposé par QS, quel qu’il soit.

Cependant, il faut clarifier que la constituante ne sert pas à déterminer si on veut un pays ou non. Ça, c’est le vote sur la constitution qui va le décider à la fin du processus. La constituante sert à dessiner les contours du pays : veut-on une République ? Si oui, de quelle forme ? Quels droits seront protégés par la nouvelle constitution ? Quel système judiciaire sera adopté pour les appliquer ? Quelles seront nos relations avec les nations autochtones ? Y aura-t-il une armée québécoise ? Etc.

Toutes ces questions seront bien sûr soumises à de larges consultations au sein de la population québécoise. Débattons, consultons, discutons, écoutons, mais sur des bases claires, celles d’un projet du Québec indépendant.

2) La place des fédéralistes dans une constituante avec mandat

Adopter la constituante avec mandat permet de répondre à une importante critique qui est adressée à la constituante sans mandat : qu’adviendra-t-il si jamais une proportion importante de fédéralistes y sont élus ?

Tout d’abord, ce scénario est plutôt improbable, notamment car il n’existe pas une majorité de fédéralistes dans la société québécoise. Ensuite, en donnant un mandat à l’assemblée constituante, celui de rédiger une constitution pour un pays, on s’assure d’encadrer le débat des constituants. Ainsi, on limite le risque de s’égarer et de voir dérailler tout le processus. Ce mandat ne garantit pas automatiquement que tout ira bien, bien sûr, mais il fait suite à un autre mandat : celui de faire l’indépendance qui vient avec l’élection de QS. Personne ne peut nier que voter pour QS, c’est voter pour un parti indépendantiste et pour l’indépendance. C’est cela qu’il faut rendre clair aux yeux du peuple. Ce mandat sera issu d’une bataille politique majeure. L’assemblée constituante est une des étapes de cette lutte.

3) Réformer le Canada : un mirage

La constituante sans mandat ouvre, grosso modo, la porte à trois options : l’indépendance, le renouvèlement du fédéralisme canadien et le statu quo.

Toutefois, laisser planer la possibilité d’une réforme de la fédération canadienne est une contradiction sur le fond et sur la forme.

Sur le fond, notre position sur l’indépendance adoptée en 2009 dit la chose suivante : « Le fédéralisme canadien est irréformable sur le fond. Il est impossible pour le Québec d’y obtenir l’ensemble des pouvoirs auxquels il aspire, sans même parler de ceux qui seraient nécessaires aux changements profonds proposés par QS. » Pourquoi, alors, laisser entendre qu’une réforme est possible si ce n’est pas ce que nous croyons ?

Sur la forme, la répartition des pouvoirs entre le fédéral et les provinces est prévue aux articles 91 et 92 de la constitution canadienne. Toute réorganisation de la distribution de ces pouvoirs ne peut se faire qu’en modifiant la constitution canadienne, c’est-à-dire avec l’accord des provinces et du fédéral. En d’autres mots, une assemblée constituante n’a pas le pouvoir de redéfinir elle-même les rapports entre le fédéral et les provinces. Tout au mieux peut-elle émettre des intentions, mais sans plus. Une proposition de constitution provinciale avec de nouveaux pouvoirs serait donc invalide et inopérante.

D’ailleurs, en termes de rapatriement de pouvoirs pour le Québec dans le cadre canadien, on connait depuis longtemps les demandes minimales du Québec. On peut certainement les réviser, mais il serait surprenant qu’elles soient bien différentes des cinq conditions de Meech :

1. Retrait complet du fédéral des champs de compétence des provinces (éducation, santé, etc.)

2. Reconnaissance du Québec comme société distincte

3. Droit de veto du Québec sur tout changement à la constitution

4. Nomination par le Québec du tiers des juges de la Cour suprême

5. Compétence exclusive en matière d’immigration du Québec sur son territoire

Réformer la fédération canadienne et faire un nouveau pays sont deux démarches bien distinctes qui ne se règlent pas dans le même forum et qui n’impliquent pas les mêmes interlocuteurs. En somme, les deux démarches ne peuvent pas se faire en même temps.

4) Le rôle de QS

Pour appuyer la constituante sans mandat, on se réfère parfois à l’exemple de la Fédération des femmes de Québec (FFQ). En préparation du référendum de 1995, la FFQ avait mené de larges consultations, sans position préalable, pour en aboutir à un appui clair au projet souverainiste. C’est un peu l’esprit qu’on tente de recréer en convoquant une assemblée constituante pour administrer un débat dont l’issue ne serait pas connue d’avance.

Mais la FFQ n’est pas une organisation créée dans le but de faire l’indépendance du Québec. Au contraire, un des objectifs de QS est de faire l’indépendance. De plus, c’est un contexte politique particulier, celui du référendum de 1995, qui a poussé la FFQ à entreprendre ces consultations. Ce contexte a été déterminé principalement par le parti au pouvoir. Or, le rôle que QS sera appelé à jouer dans un scénario futur sera celui d’un parti politique qui détermine le programme politique, et non celui d’un mouvement social qui réagit à celui-ci.

5) Les exemples de l’Écosse et de la Catalogne

À notre avis, autant l’expérience écossaise que catalane accrédite la thèse de la constituante avec mandat.

En Écosse, il n’y a pas eu d’assemblée constituante préalable au vote de septembre 2014. Toutefois, le gouvernement écossais avait produit un livre blanc sur l’indépendance plusieurs mois avant le référendum. Contrairement au livre vert, qui n’a pas de position préalable, le « livre blanc met » la table pour la discussion, mais avec une orientation assumée. Le White paper intitulé Scotland future était une imposante brique de 600 pages riches en détails sur ce qu’aurait l’air cette nouvelle Écosse dans l’éventualité d’un « YES ».

Quelques mois avant le vote, le gouvernement avait également déposé un projet de constitution temporaire qui aurait immédiatement été adopté advenant un vote pour le oui. Ces deux initiatives avaient donc le même effet rassurant que nous cherchons à obtenir via la constituante, qui déterminerait les contours du pays à venir avant la tenue du référendum comme tel.

Quant à eux, les Catalans ont une démarche d’accession à l’indépendance très proche de celle de QS. La campagne électorale de septembre 2015 s’était terminée sur l’engagement de commencer la marche vers le pays en 18 mois. Ce sont les députés nouvellement élus au parlement catalan qui auront le mandat de rédiger la proposition de constitution. La seule et unique hypothèse de travail sur la table est celle d’une Catalogne indépendante.

Conclusion

Québec solidaire est fondé sur cinq principes forts : progressisme, féminisme, écologisme, altermondialisme et indépendantisme. Sur chacun de ces principes, nous avons une position assumée. Nous allons réaliser la justice sociale, mettre sur pied Pharma-Québec, amorcer la transition énergétique, atteindre la parité homme/femme, combattre les paradis fiscaux, etc. Pourquoi ne disons-nous pas aussi haut et fort : nous allons faire du Québec un pays ?

On joint QS parce qu’on adhère à l’ensemble de ces 5 valeurs. Chaque membre attache une importance variée à l’une ou l’autre de ces valeurs. Chaque militant priorise selon ses intérêts. Bien sûr, l’indépendance n’est pas prioritaire pour tout le monde et c’est bien ainsi. Cela fait la force et la diversité de notre parti.

Par contre, nous qui militons quotidiennement pour rendre QS crédible au sein des milieux indépendantistes avons besoin d’outils : la constituante avec mandat, c’est l’outil.

(une vidéo qui résume certains de ses arguments se trouve ici)

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